Dernier jour à l'Etrange Festival
Créatures de l'ombre VS polar coréen

Deux films très attendus sont dévoilés en ce dernier jour de l'Etrange Festival de 2011 : le polar coréen The Man from Nowhere et Don't Be Afraid of the Dark., nouvelle production Guillermo Del Toro. Deux films qui confirment la bonne tenue de cette programmation riche et variée.



Avec des films coups de poing comme J’ai rencontré le diable, The Murderer et ce The Man from Nowhere, le cinéma coréen prouve qu’il est devenu le maitre actuel en matière de polar noir. Gros carton dans son pays (6 millions d’entrées !), The Man from Nowhere est, sur le papier, peu original, se situant quelque part entre le A Bittersweet Life de Kim Jee-woon, le Taken de Pierre Morel et un Man on Fire, tous habités par le thème de la vengeance (omniprésent dans le cinéma coréen).

La seule connexion du mystérieux et très discret Tae-sik, planqué à l’accueil d’un immeuble minable, avec le reste du monde est une fillette du voisinage qui vient lui rendre visite de temps en temps. Sa mère de la fille revend de la drogue en douce sans avertir les trafiquants pour lesquels elle travaille. Lorsque ces derniers s’en rendent compte, ils kidnappent la mère et sa fille. Impliqué malgré lui, Tae-sik est sommé d’effectuer une livraison pour les trafiquants s’il veut revoir les deux filles vivantes…
Si The Man from Nowhere rappelle fortement A Bittersweet Life, il est cependant beaucoup moins poseur et moins référentiel, bien que citant le cinéma de Jean-Pierre Melville et le Léon de Luc Besson.  Le style est plus brutal, plus âpre et plus instinctif (à la coréenne, donc), loin de la sophistication tape-à-l’œil de Kim Jee-woon dans A Bittersweet Life. Malgré sa violence, le film de Lee Jeong-beom (dont c'est seulement le deuxième film) n’en reste pas moins romanesque et très fidèle aux codes du film noir. Récit classique d’un tough guy ténébreux qui s’humanise au contact d’une petite fille (dans de très jolies scènes) et s’en va traquer les criminels pour la sauver. L’enquête menée de leur coté par les flics permet de dévoiler peu à peu le background du héros, un ex super-agent des Forces Spéciales (ce qui explique son implacable maitrise des arts martiaux et des armes) dont la bien-aimée fut assassinée (ce qui explique sa rage), et d’en faire une sorte d’icône invincible et légendaire, statut nourri par les témoins (flics ou criminels) de ses fulgurances. Notre homme ne frémit pas d’un poil au son d’un coup de feu et s’évade d’un commissariat en 20 secondes. A vrai dire, le synopsis de The Man from Nowhere pourrait tout aussi bien être celui d’un Steven Seagal, d’autant plus que les bastons s’y prêtent (il y a même un combat au couteau qui ferait bander Steven). Sauf que le scénario est fin, complexe tout en restant linéaire, captivant de bout en bout (alors que ça dure deux heures), et que le film ne fait pas dans la surenchère.
Traversé d’éclairs de violence, notamment une baston brutale à la Jason Bourne dans les toilettes de la boite de nuit (la scène suivante rappelle celle de Collateral), le film mène à un final intense, un combat/gunfight ultra-violent et virtuose dans le hall (sur une superbe musique), séquence absolument jouissive car très attendue (le héros va enfin trucider les salauds). La fin cède aux sirènes du pathos à coups de pleurs et de gros violons, mais c’est aussi l’emphase coréenne qui veut ça. Pour le reste, c’est un thriller certes expéditif mais parsemé de moments tendres et touchants (les scènes entre le héros et la fille).
The Man from Nowhere propose également de rentrer dans un réseau de trafiquants de drogue (notamment dans des caves ou ce sont des enfants qui préparent la drogue) qui font aussi dans le trafic d’organes (c’est ce à quoi sont destinées la mère et la fille kidnappées), réseau évidemment atomisé par notre héros devenu justicier malgré lui. Comme dans un Taken, l’être humain devient ainsi une marchandise comme la drogue ou les armes.
Incarné par Won Bin, star du drama (donc idole des jeunes) passé au grand format avec l’inégal Frères de sang et le pesant Mother, le héros Tae-sik est évidemment très classe, son style ténébreux fashion n’étant qu’une façade (propice à quelques pointes d’humour) qu’il finira par supprimer (cf. la scène des cheveux rasés). La fillette est mignonne comme tout et émouvante (cf. son discours dans la ruelle), et les méchants sont particulièrement savoureux, mention au thailandais (équivalent des tueurs acharnés dans les Jason Bourne).

The Man from nowhere

Le film de cloture (qui fait suite à Monsters l'année dernière), Don't Be Afraid of the Dark, est le remake homonyme d'un téléfilm oublié (du moins en France) de 1973, qui avait traumatisé Guillermo Del Toro (il y avait d'ailleurs déjà un peu de Les créatures de l'ombre dans son Mimic, L'échine du Diable et Le Labyrinthe de Pan) et qui a donc acheté les droits dés qu'il a pu, afin d'en produire le remake, à sa sauce fantaisie gothique. L'histoire est des plus classiques, reprenant l'éternel canevas des films de maison hantée (les indispensables La Maison du Diable de Robert Wise et Les innocents de Jack Clayton reviennent encore une fois en tête) : une famille en reconstruction emménage dans un manoir en vue de le rénover afin de le vendre. Mais derrière les murs de la demeure se cachent des créatures malfaisantes bien décidées à s'emparer de la fillette dés que l'obscurité le leur permettra.
Dans le même sillon que les précédentes productions d'épouvante de Guillermo Del Toro (L'Orphelinat ou Les Yeux de Julia), Don't Be Afraid of the Dark. joue la carte de l’esthétique gothique, ici plus proche d’un Tim Burton. Comme les films de Del Toro (Cronos, L'échine du Diable et Le Labyrinthe de Pan), le point de vue adopté sur le fantastique est celui d'un enfant, l'occasion d'aborder les terreurs nocturnes et les peurs qui marquent l'enfance (on retrouve même le motif du monstre caché sous le lit), par exemple l'obscurité (la production Del Toro rappelle beaucoup Le Peuple des ténèbres de Robert Harmon, qui semblait déjà s'inspirer du téléfilm de 1973). L'idée du polaroid révélateur comme arme de défense dans le noir est efficace mais loin d'être nouvelle (c'était déjà dans The Silent House, entre autre), et le scénario s’attarde amplement sur les relations orageuses (puis amicales) convenues entre une fillette distante et sa belle-mère pleine de bonnes intentions. Mais le film ressassant le style et les thèmes de Guillermo Del Toro sans en avoir la profondeur psychologique, psychanalytique et mythologique, alors que Del Toro est ici producteur et scénariste (on sent qu'il s'est fait plaisir sans trop s'impliquer), Don't Be Afraid of the Dark. apparait trop comme un best-of des figures thématiques et stylistiques de Del Toro, et ce malgré le talent du réalisateur Troy Nixey (à travers lequel Del Toro défend encore un peu la contre-culture). En tant que dessinateur de comics (Batman : Gotham Knights, The DC Comics Encyclopedia), Nixey sait composer ses plans, remplir le cadre (hélas étrangement pas en 2.35), créer une iconographie marquante, avec l'apport du talentueux chef opérateur Oliver Stapleton (superbe photo très feutrée et contrastée : pour une fois qu'il y a des couleurs dans un film d'épouvante) et du non moins talentueux chef décorateur (le manoir et son jardin sont magnifiques, chaque pièce est un enchantement et la demeure est explorée de fond en comble, ou presque...). Un vrai travail d'orfèvre, orchestré notamment par les responsables en prod design des Monde de Narnia et des Harry Potter. Même si calquée sur le style de Del Toro, la mise en scène est très élégante et aérienne, toute en mouvements (parfois un brin frimeurs). L'ambiance est très réussie (gros travail sur le son), soulignée par la belle partition de Marco Beltrami, et les trois acteurs y évoluent avec aisance : Katie Holmes vieillit bien (ça améliore son jeu) et la fillette Bailee Madison (très drôle dans Le Mytho avec Adam Sandler et Jennifer Aniston et dans Le Secret de Terabithia, dans lequel elle jouait la petite sœur malicieuse) est brillante, tandis que Guy Pearce est inhabituellement effacé.

be afraid the dark

Le plus gros souci, outre l'absence totale d'originalité (les créatures pourraient tout aussi bien être des fantômes ou des démons que ça ne changeraient pas grand-chose), réside dans des choix d'écriture, pourtant de Guillermo Del Toro himself. Le scénario, aussi simple soit-il, est bourré d'invraisemblances (lorsque la fillette écrase l'une des créatures entre deux meubles, pourquoi ne montre-t-elle pas le cadavre de la bestiole afin de prouver qu'elle a raison ??) et se conclue sur un final des plus frustrants qui manque l'affrontement tant attendu et l'occasion de descendre dans les galeries (aperçues dans les pages d'un livre) des créatures, ce qui nous aurait valu un vrai moment de frousse. L'enfant ne peut pas ici vaincre ses peurs, ce qui est pourtant le propre des contes horrifiques, et le film donne ainsi l'impression de ne pas avoir été bouclé. La mythologie des mystérieuses créatures est parfaitement exposée (à travers des recherches de bibliothèque), mais jamais explorée (à l'image de leur repaire). Et, surtout, le problème pour moi réside simplement dans le fait que les créatures, qui sont plus ou moins des gnomes, ne font pas peur à partir du moment, hélas trop précoce, ou elles apparaissent à l’écran (puis à la base, difficile d’être effrayé par des goblins). Si les monstres sont bien faits (et moins kitsch que dans le film original, ou ils étaient incarnés par des acteurs dans des costumes), le film est nettement plus efficace lorsqu'il joue la carte du hors-champs et du suggestif à la Jacques Tourneur. Par ailleurs, rarement les créatures de l'ombre apparaissent comme dangereuses, ne blessant qu’un jardinier (ce bon vieux Alan Dale) au cours du récit, ce qui est très peu. Bref, c’est la déception niveau flippe et angoisse (le réalisateur se repose beaucoup sur la bande-son pour faire sursauter), malgré la séquence sous les draps. Il n’y a pas ici de grands moments d’effroi et d’horreur comme dans Les Yeux de Julia ou L'Orphelinat (Richard B. trouve d'ailleurs le film "globalement" fortement décevant).

Auteur : Jonathan C.
Publié le mardi 13 septembre 2011 à 10h40

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