L'Etrange Festival : Jour 5
Cinéma underground et cinéma d'exploitation
En cette cinquième journée à l'Etrange Festival : du cinéma underground, du cinéma d'exploitation, de la nostalgie, de l'originalité et de la folie. L'Etrange Festival, quoi.
C'est un peu devenu une sorte de coutume, chaque année Ben Wheatley débarque à l'Etrange Festival avec son nouveau film. Et après nous avoir laissé de très bon souvenir avec Kill List et Touristes, nous étions très curieux de voir le petit dernier dénommé English Revolution - A field in England.
Le synopsis est le suivant : pendant la guerre civile, un petit groupe de déserteurs s’échappe. Ils sont capturés par deux hommes. L’un d’entre eux, un alchimiste, force le groupe à l’aider à trouver un trésor enterré dans un champ. En franchissant un vaste cercle de champignons, le groupe sombre dans la paranoïa et devient victime d’énergies terrifiantes…
Bah voilà, depuis qu'on l'a laissé l'année dernière il semble que Wheatley ait depuis attrapé la grosse tête, acquis quelques ambitions mal placées d'artiste underground qui veut la jouer "auteurisant" et signe donc ici un trip halluciné et métaphysique en noir et blanc. OK visuellement il y a quelques jolis plans, d'accord la musique de James Williams (qui semble composer sa première bande originale) est plutôt accrocheuse, oui je veux bien admettre que quelques répliques sont amusantes et que Michael Smiley (Kill List, Le Dernier Pub avant la fin du monde) a toujours une bonne bouille, mais bon sang que c'est tout de même bien ennuyeux dans son aspect global et sacrement prétentieux ! Il apparaît certain que le film n'a rien du couter au réalisateur : un seul décor de tournage, peu d'acteurs, des plans de caméra souvent statiques et longs (hormis sur les 15 dernières minutes ou d'un coup on se retrouve dans un montage ultra speed), bref Ben Wheatley fait tout pour faire plaisir à une certaine élite de critiques qui aiment la pseudo branlette intellectuelle, même si le film n'a finalement aucun sens. Bref si vous aimez vous torturer, allez-y, pour ma part ne comptez pas sur moi pour retourner le voir.
(Avis de Richard B.)
L'Etrange Festival, c'est aussi des documentaires, et en voici un qui nous intéresse particulièrement. A l'heure ce support vidéo est devenu une mode nostalgique, tout comme le registre grindhouse, Josh Johnson a eu la bonne idée de réaliser un documentaire sur l'avènement de la VHS (pour Video Home System) dans les années 80, sur ce qu'elle a apporté dans les foyers (en 1985, tout le monde avait un magnétoscope chez lui), sur l'évolution sociale, économique et technologique qu'elle a engendré, sur ce qu'elle a bouleversé dans l'industrie du cinéma, et sur ce qu'elle représente aujourd'hui. En résulte un film passionnant qui aborde une multitude de sujets et lance plusieurs débats, dans un rythme trépidant soutenu par une bande-son (parfois un peu trop envahissante) et une esthétique évidemment eighties (cf. le générique de début).
Rewind This, c'est d’abord une incroyable galerie de collectionneurs fanatiques qui se font tatouer une VHS sur le bras : il y a celui qui arpente les brocantes à la recherche de films avec "Chuck", Charles Bronson ou Dolph Lundgren en se plaignant de tomber toujours sur la cassette collector de Titanic, il y a celle qui classe ses VHS par couleurs, puis celui qui peut les classer par catégories absurdes (par exemple la catégorie des « films de clochards »), et il y a ceux qui sont fiers de posséder les VHS au contenu totalement improbable tel qu'un film de golf avec Leslie Nielsen (le collectionneur ayant été jusqu'à faire dédicacer sa VHS par Nielsen !) ou un guide Windows 95 présenté par Matthew Perry et Jennifer Aniston (!). Des personnalités originales, décalées et attachantes qui ne manquent pas d'humour et d'autodérision (« Je peux compter dans ma collection 82 films avec les mots "death", "dead" ou "deadly" dans le titre ; on peut dire que j’ai réussi ma vie ») mais dont les propos sont aussi pertinents que touchants. On peut s'en moquer et ils sont très drôles, mais ils inspirent au final plus de respect et d'admiration que de pitié.
Outre ces collectionneurs fous, Josh Johnson est allé interviewer du beau monde, principalement (et logiquement) aux États-Unis et au Japon, les deux pays qui ont crée/popularisé la VHS : on croise là des réalisateurs issus de divers horizons (Mamoru Oshii, Roy Frumkes, Frank Henenlotter, Atom Egoyan, Jason Eisener, Charles Band, Lloyd Kaufman, David Schmoeller, Kevin Tenney, Peter Rowe…), des producteurs/cinéastes de l'industrie du porno, Elvira en personne, l'actrice de Visitor Q, des éditeurs vidéo (par exemple Pioneer), le producteur de Cold Fish, The Machine Girl, Alien versus Ninja ou Tokyo Gore Police, le scénariste de Ring, des journalistes, des commerçants, etc. Un panel extrêmement complet qui permet, même avec beaucoup d'humour de la part des intervenants, de développer toute une réflexion sociale sur la VHS et de passer par de nombreux sujets pertinents, entrecoupés d'extraits rares de curiosités exclusivement en VHS, de séries B ou Z déviantes ou de spots publicitaires pour magnétoscopes (celui avec le chat, fallait oser !).
Rewind This revient ainsi (comme son titre le suggère) sur le charme des jaquettes des films d'exploitation (la VHS devenait ainsi le support de véritables œuvres d'art, bien avant que les dessins ne soient remplacés par Photoshop), jaquettes qui n'avaient souvent rien à voir avec les films sur la bande et qui étaient bien meilleurs que les films en question ; sur l'expansion du cinéma amateur qu'a permis la démocratisation du support vidéo (point culminant de ce sujet : le portrait du trublion dégénéré David « The Rock » Nelson) mais aussi du montage (qui devenait ainsi accessible et compréhensible à tous) ; sur la commercialisation folle de la VHS (cf. la célèbre VHS sonore de Frankenhooker) ; sur l'essor de l'industrie du X et de la série Z (le V cinéma) grâce à la vidéo ; sur la différence entre le Betamax et le magnétoscope ; sur le gros succès des vidéos d'aerobics (l'une des VHS les plus vendues au monde est le cours de fitness de Jane Fonda), etc. Retour dans les vidéoclubs, dans les boutiques d'occasion, visites fascinantes dans l'antre impressionnante des collectionneurs. Rewind This rappelle aussi que beaucoup de films n'existent qu'en VHS et qu'il est nécessaire de les conserver, et remarque aussi de façon plus anecdotique (et humoristique) que l'historique d'un film en VHS est inscrit sur le support-même, puisque l'état d'usure de la bande et les sautes d'images permettent de repérer quels sont les passages qui ont été le plus visionnés.
Rewind This finit en toute logique par aborder le débat entre le support matériel et le support numérique, entre ceux qui veulent tout garder et ceux qui veulent tout jeter, puis conclut d'une belle façon que la VHS représente avant tout des souvenirs précieux et une passion (passée ou toujours intacte), symbolisés par ce fameux sticker qui donne son titre à l'excellent film de Michel Gondry : « Be kind rewind ». Bref, Rewind This est une mine d'or, un documentaire qui transpire le Cinéma : on se marre, on apprend, on s'interroge et on est ému.
(Avis de Jonathan C)
Restons dans le cinéma d'exploitation et le cinéma underground avec Why don't you play in hell. Encore une bonne claque de la part du prodige Shion Sono (alias Sono Sion chez nous). Après deux mélodrames post-Fukushima, l'inclassable réalisateur des Suicide Club ou du chef d'œuvre Cold Fish (encore inédit chez nous, alors qu'il a été présenté il y a deux ans à l'Etrange Festival) revient à un cinéma radical et rentre-dedans avec cette espèce de yakuza comedy empruntant au cinéma d'exploitation (ici, Bruce Lee s'invite dans un yakuza eiga), un divertissement pop-corn total qui s'impose en même temps comme un film extrêmement personnel et passionnant.
Sono Sion construit avec maestria un joyeux bordel (faussement bordélique mais en réalité solidement maitrisé) et orchestre la rencontre improbable entre deux clans yakuza en guerre et une bande de jeunes cinéastes amateurs dont le rêve est de réaliser le film d'action ultime, avec leur Bruce Lee à eux. L'élément déclencheur de cette rencontre : la fille d'un des chef yakuza et ex-enfant star, de laquelle est d'ailleurs amoureux l'autre chef yakuza. En collaborant avec les yakuzas et en filmant leur affrontement, les réalisateurs en herbe saisiront ainsi l'opportunité de réaliser leur chef d'oeuvre, un actioner en 35mm dans lequel les protagonistes meurent pour de vrai, sans trucages et sans système D.
Bref, comme son titre peut d'ailleurs l'indiquer, Why don’t you play in hell est un énorme délire pop-trash, une comédie hilarante et virtuose dans laquelle se succèdent les morceaux de bravoure, jusqu'à ce climax anthologique d'une bonne demi-heure, un final démentiel aussi monstrueux qu'hilarant qui laisse sur les rotules, déluge jouissif et hystérique de gore, de gags, d'émotions et de passion totale ou l'ultraviolence cartoonesque fusionne avec le mélo tragique et ou la mise en abime entre fiction et réalité atteint son point culminant (ce final en bain de sang, c'est le tournage du cinéma-vérité absolu).
Grâce à des idées de mise en scène à la pelle, une réalisation inventive dopée à l'adrénaline, un montage fun et habile qui passe d'un protagoniste à l'autre sans jamais perdre le spectateur et un scénario bourré de rebondissements et de personnages aussi déjantés qu'attachants (mentions au jeune cinéaste fou, au chef yakuza amoureux et à la starlette), il est impossible de s'ennuyer une seule seconde en deux heures, à moins d’être totalement allergique au trip (mais à priori le spectateur qui décide de visionner un tel film n'est PAS allergique à ce genre de délire).
Illustrant toujours les pulsions et les fantasmes, Sono Sion instaure à plusieurs reprises une tension palpable (aussi bien grâce aux dialogues brillants qu'à la mise en scène) et multiplie les fulgurances stylistiques surréalistes et les digressions géniales, tout en restant dans le carcan de la comédie absurde, n'hésitant pas à taper dans le mauvais goût (avec vomi) ou le trash (le baiser avec les bris de verre). Les scènes dramatiques semblent toujours semi-parodiques, comme conscientes d'être des scènes de cinéma. Le tout animé avec vivacité par des acteurs complètement investis comme Akihiro Kitamura (le japonais de Human Centipede), l'irrésistible mais fatale Fumi Nikaidô, Tak Sakaguchi (Versus, Azumi) en sous-Bruce Lee ou le vétéran Jun Kunimura (Ichi The Killer, Audition, Black Rain, Kill Bill, Blood and bones, Outrage, Hana…).
Le plus beau dans tout ça, c'est l’émotion qui ressort de cette « comédie d'exploitation » définitive, audacieuse, punk et transgressive, cette conclusion en forme d'amour du cinéma (faire des films à tout prix), et particulièrement d'un cinéma oublié. C'est Sono Sion qui résume le mieux son film, en le qualifiant de « film d’action sur l’amour du 35mm ». Ce qui n'aurait pu être qu'un délire régressif jouissif se révèle d'une incroyable densité, d'une sincérité à toute épreuve et d'une pertinence remarquable. Why don’t you play in hell, c'est un peu comme si le Jean-Luc Godard de Bande à part avait réalisé un film de Kinji Fukasaku. Quentin Tarantino aurait de quoi en être jaloux et sera probablement un grand fan de ce film dont le final est paradoxalement un gros pied de nez à celui du premier Kill Bill...
(Avis de Jonathan C)
Publié le mardi 10 septembre 2013 à 13h58
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