L'Etrange Festival : Jour 8
Jello Biafra et Stephen Sayadian
Ex chanteur des Dead Kennedys et fondateur du label Alternative Tentacles, le culte Jello Biadra (qui fait aussi de la politique coté écologie) a eu le droit cette année à sa carte blanche dans la programmation de l'Etrange Festival. Il nous présente ici d'abord le court-métrage I Love you…I am the porn queen, très amateur et sans grand intérêt (même pas sulfureux ou provocateur) malgré le talent de sa réalisatrice Ani Kyd (une chanteuse-musicienne de chez Alternative Tentacles), ainsi que cet inédit The Widower, une production indépendante canadienne totalement méconnue et dans laquelle il apparait sous les traits du diable.
Dans cette adaptation version longue d’un court-métrage réalisé en 1988, un homme paumé un brin demeuré vit avec le cadavre de son épouse, ce qui attire l'attention de la voisine, qui s'empresse d’appeler la police. Heureusement pour le veuf illuminé, les deux flics censés se charger de l'affaire sont des incapables.
Autant annoncer d'emblée que c’est fauché, cheap, mal joué, que le décorum de Vancouver est franchement laid et que l'esthétique proche de l'amateurisme est clairement celle d'un téléfilm. Mais la bizarrerie ambiante a son charme, évoquant un David Lynch du pauvre (bande-son à l’appui) saupoudré d'un peu de John Waters. Les scènes de l'homme (très mal interprété) conversant avec le cadavre de sa femme finissent par se répéter et le réalisateur peine à instaurer une tension, mais heureusement l'attraction du film se révèle : les deux flics gays, des branleurs franchement drôles qui, en compagnie du troisième énergumène qu'est la voisine, détournent l'attention du sujet principal (on finit par se contrefoutre de l'homme avec sa femme morte) et orientent The Widower vers le buddy-movie dégénéré. Il en ressort un film étrange et inégal, partagé entre des volontés de drame horrifique autour du deuil et un aspect comique (plus proche du court-métrage d'origine) animé par deux bouffons.
Cette année, un focus est consacré à Stephen Sayadian (alias Francis Delia, Rinse Dream ou FX Pope), figure légendaire du porno arty qui a commencé chez Larry Flint puis a réalisé quelques films X cultes des eighties, dont certains présentés ici (le SF post-apo Café Flesh, son Dr. Caligari présenté comme une suite au Cabinet du docteur Caligari, et un Party Doll Go-go mixant Russ Meyer sixties et porno californien nineties). Stephen Sayadian en personne a fait le déplacement jusqu'à Paris pour venir présenter ces films, dont ce Nightdreams proposé ici dans une copie numérique restaurée par le réalisateur lui-même :
Sorti en 1981 et premier volet d’une trilogie autour des fantasmes féminins, Nightdreams avait fait gronder les amateurs de porno, qui étaient ressortis des séances en réclamant remboursement, ce qu'on peut comprendre en découvrant l'objet en question. En effet, loin d'être un vulgaire porno lambda alignant les cochonneries, Nightdreams se présente plutôt, via son pitch SF (ce qui nous permet d'ailleurs d'en parler sur ce site), comme un film à sketchs psychanalytique et fantasmatique aux influences très BD. Chaque sketch représente le fantasme d'une jeune femme (Dorothy LeMay, pas forcément très belle mais très motivée) enfermée dans un hôpital psychiatrique et étudiée par des scientifiques.
Stephen Sayadian tape clairement dans le fantasme bizarre, pervers et scabreux, au point que certains sketchs affichent un mauvais goût peu excitant et en deviennent même assez dérangeant, par exemple le premier fantasme avec l'homme masqué (qui pénètre l'héroïne avec le nez crochu de son masque !) entrecoupé de plans inquiétants sur des pantins et autres marionettes rigolardes, la séquence mi-voyeurisme mi-viol à la Pulsions (cf. l'affiche, le film de Brian De Palma étant sorti l'année précédente) dans les toilettes sordides avec un homme de nouveau masqué, l'héroïne qui se fait prendre par deux arabes voilés (et se fait pénétrer par un narguilé !) ou la séquence dans les Enfers avec le diable (et sa fourche sexe-toy à double-utilisation) joué par Ken Starbuck (le héros du Sexcalibur de Dinin Dicimino), sans oublier des intermèdes carrément glauques (le cadavre que l'héroïne réveille en tripotant, le poisson…).
D'autres sketchs sont plus sexy, comme la fabuleuse séquence rock’n’roll des cowgirls lesbiennes (qui ont des godes dans leur holster) sur une reprise de Ring of Fire ou le passage glamour au Paradis dont le clou du spectacle est un handjob avec éjaculation face caméra. Quant au sketch « spot TV blues » dans la cuisine, il n'est ni glauque ni sexy (quand bien même l'héroïne suce un black), mais vraiment hilarant, semi-parodique et délirant, presque totalement hors-sujet. Quelques superbes actrices X viennent donner du plaisir à Dorothy LeMay : Danielle (dans l'un de ses premiers rôles X) et Jacqueline Lorians (alias Monique) en cowgirls déchainées, ou la célèbre Loni Sanders en esclave du diable. Stephen Sayadian fait, lui, une apparition.
Esthétiquement, il s’agit d’une véritable œuvre d’art : photo, cadrage, décors, inventivité des compositions picturales, ambiance visuelle et sonore…Chaque sketch a son atmosphère, et le cinéaste fait preuve d'un sens visuel sophistiqué et inspiré (à noter d'ailleurs qu'on lui doit aussi quelques affiches de films de John Carpenter, Brian De Palma - cf. Pulsions - ou de Tobe Hooper). Nightdreams séduit en réalité plus dans son esthétique arty-eighties que dans le contenu pas franchement bandant (du moins pour les spectateurs mâles) des fantasmes exposés. Trop artiste-auteur cérébral et pas assez artisan-mercenaire, Stephen Sayadian aura réalisé peu de films et sa carrière s'arrête en 1993, avènement du cinéma porno en vidéo (les films X en 35mm, c'était terminé). Expérimental, underground, kitsch, onirique, original et souvent très drôle (cf. le médecin et son infirmière), Nightdreams transgressait les règles du cinéma porno d'alors et contrait les attentes du spectateur typique, s’imposant avec les années comme un objet culte des années 80 et du cinéma X. Et quel plaisir de découvrir du porno vintage sur grand écran ! Rien que pour ça, merci l'Etrange Festival.
Publié le vendredi 13 septembre 2013 à 14h12
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