Critique Nobilis [2001]
Avis critique rédigé par Vincent L. le mardi 25 mai 2010 à 16h05
Un jeu exceptionnel, mais très difficile à faire jouer...
Traduction de la seconde édition d'un jeu culte outre-atlantique, Nobilis est le type même de produit qui, déjà sur la forme, se démarque largement de ses concurrents dans les rayonnages des magasins. Carré, disposant d'une couverture sobre n'indiquant rien de concret sur l'univers du jeu - non, on n'y joue pas des statues ! - imprimé sur un papier légèrement granulé assez classieux, très riche en texte - par ailleurs imprimé en très petit caractère - et particulièrement chiche en illustrations, Nobilis a, au premier coup d'oeil, une gueule vraiment différente de celle tous les autres jeux de rôle. Et il suffit de tourner les premières pages et de se lancer dans quelques minutes de lecture pour bien se rendre compte que cette originalité formelle est mise au service d'un jeu totalement hors-norme, visiblement bien décidé à ne rien faire comme tout le monde (quitte à devoir, si nécessaire, se couper de tout un pan du public).
Et cette volonté de marginalité est totalement jusqu'auboutiste. Rien que dans la désignation du MJ, le jeu fait déjà différent ; en effet, là où les jeux de rôle vont traditionnellement opter pour une classique déclinaison de "maître de jeu", avec un ou plusieurs mots possédant une connotation posant une supériorité vis à vis des autres joueurs (maître du donjon, gardien des arcanes, conteur ou réalisateur par exemple), Nobilis propose, en toute simplicité, d'appeler son meneur "La Divine Rose Tremière". C'est beau, c'est poétique, c'est opaque et c'est obscur, bref, ça fait classe et c'est fondamentalement différent. On pourra certes y voir un côté vraiment prétentieux - à raison ! - mais avouons tout de même que Rebecca S. Borgstrom, l'auteur du jeu, a clairement les moyens de sa prétention, et que c'est cette relative absence de modestie qui donne à Nobilis toute cette audace qui fait sa grande originalité.
A noter, cependant, avant toute autre considération, que Nobilis s'avère très fastidieux à lire et à comprendre. A force de trop se prendre au sérieux, Rebecca S. Borgstrom en a visiblement oublié qu'elle écrivait un jeu dont les règles sont, par nature, destinées à être comprises. Certes, son style ampoulé donne un certain caractère à ce livre de base, mais ce serait oublier que bien écrire ne se résume pas à utiliser des suites de mots rares, et que la poésie ne limite pas à la simple utilisation de métaphores. Avec son style à la fois pompeux et très médiocre, Nobilis s'avère donc très rapidement assez agaçant à lire, et devient réellement insupportable dès lors qu'il s'agit d'expliquer des conceptions métaphysiques à l'aide d'une prose poétique littérairement très pauvre. D'un point de vue ludique, les explications données dans Nobilis sont donc probablement parmis les pires jamais écrites pour un jeu de rôle.
Le jeu se complaisant donc dans un intellectualisme pompeux qui rend sa substance, à la base déjà très particulière, difficile à appréhender, résumer Nobilis en quelques lignes, voire en quelques minutes, s'apparente donc à une véritable gageure. Pour résumer, les joueurs interprètent des humains à qui une sorte de dieu - un Imperator - a confié une partie de ses fonctions. Jusque là, rien de très compliqué ; le personnage devient un Nobilis, c'est à dire une divinité très spécialisée en charge d'un aspect bien précis de la réalité. Là où les choses se compliquent, c'est que les Imperators ne sont pas liés qu'à un seul fragment de la réalité ; ils recrutent donc plusieurs humains - une famille céleste - pour incarner leurs diverses facettes, lequelles peuvent ne rien avoir de commun du tout entre elles (exemple : le vent, les boites de TicTac et le jaune). Les Nobilis sont donc en charge du Domaine qui leur a été dévolu, devenant les gardiens d'un concept métaphysique de la réalité au sens où nous l'entendons traditionnellement.
S'il n'est déjà pas aisé de saisir les tenants et aboutissants de ces conceptions divines, les choses se compliquent sérieusement dès que l'on va aborder le cadre du jeu. En effet, les Nobilis peuvent agir dans différents aspects de la réalité : le Sanctuaire où vit leur Imperator, pour commencer, qui est un lieu à part entière avec ses habitants et ses propres règles, ainsi que les divers mondes qui composent l'univers du jeu. Notre planète n'y est en effet qu'une entité parmi d'autres, toutes accrochées à un arbre - Yggdrasil - dont les racines vont jusqu'en enfer, et dont les branches montent jusqu'au paradis. Les Nobilis peuvent se promener sur cet arbre et "aller" d'un monde à l'autre, plus précisément changer de point de vue sans avoir à bouger physiquement. Bref, les choses ne sont pas simples à intégrer, et elles s'avèrent particulièrement difficiles à expliquer à un groupe de joueurs "normaux", c'est à dire peu portés sur les réfléxions philosophiques et théologiques.
C'est là que se trouve d'ailleurs le principal point faible du jeu : tout réussi qu'il puisse être, il est en pratique presque impossible à mettre en place. Ainsi, le background, très riche et surtout très complexe, s'avère particulièrement prompt à décourager les quelques courageux qui voudraient tenter l'expérience. Impossible à résumer en quelques minutes, il demande des joueurs un véritable investissement pour intégrer correctement les diverses conceptions métaphysiques proposées, et ainsi pouvoir exploiter au mieux toutes les possibilités politiques du jeu. En effet, Nobilis va plus opposer les joueurs que les mettre en véritable situation de coopération, et ce même s'ils sont normalement censés agir dans une optique commune ; si ces derniers n'ont pas au moins saisi les éléments principaux du jeu - et ne parlons pas des très nombreuses subtilités ! - toutes les intrigues mises en place passeront loin au dessus des joueurs, les condamnant à subir sans cesse de sévères échecs.
Mais reconnaissons que faire l'effort d'entrer dans le trip mystico-religieux proposé par Nobilis vaut tout de même sacrément le coup, le jeu se posant comme une alternative quasiment sans équivalent aux traditionnelles ficelles scénaristiques des jeux de rôle (seul Ambre, mais à un niveau moindre, peut à la rigueur y être comparé). Passées les premières parties, nécessairement laborieuses, le jeu se révèle être d'une très grande richesse, offrant des possibilités tout simplement énormes. Les personnages ayant concrètement des pouvoirs divins - donc illimités dans leur conception comme dans leur utilisation - leur donnant une véritable puissance sur leur fragment de la réalité, l'imagination des participants ne s'en trouve que plus stimulée. Nobilis s'avère ainsi à ce niveau être une version poussée à l'extrême de jeux comme Mage : l'Ascension ou Ambre, mettant le joueur au premier rang et le tranformant en véritable "sous-maître de jeu" pouvant tranformer de manière radicale les scénarios.
Pour le maître de jeu - pardon, la Divine Rose Tremière ! - la tâche est donc d'autant plus compliquée. Une fois la multitude de concepts correctement intégrés, il faudra composer avec les actions des joueurs, lesquelles deviendront de plus en plus difficiles à gérer au fur et à mesure que ces derniers saisiront l'infinité de possibilités offertes par le jeu. Il devra jouer tant avec les diverses forces en présences - Nobilis, Imperators, tourmenteurs, Seigneur Ténébreux - qu'avec la multitude de mondes et de conceptions de la réalité proposées, tout en gardant un sens de l'improvisation développé ainsi qu'une faculté de roleplay conséquente. Bref, être une Divine Rose Tremière s'avère fatigant, aussi bien physiquement qu'intellectuellement. A noter enfin que dans les faits, Nobilis trouve tout de même plus de substance dans une utilisation en semi-réel - dans un style murder-party par exemple - que sur une table de jeu classique, la multiplication des intervenants donnant au jeu proportionnellement plus de saveur.
Pour parfaitement compléter ce background totalement hors-normes, Nobilis se devait de posséder un système de jeu sortant également des canons traditionnels ; c'est ainsi un système diceless (sans utilisation de dés) qui est proposé par Rebecca S. Borgstrom. Paradoxalement, là où le cadre du jeu s'avère réellement difficile à appréhender, son système est d'une simplicité et d'une fluidité particulièrement remarquable. Chaque personnage est ainsi caractérisé par une faiblesse connue de tous les autres participants, lesquels peuvent appuyer dessus pour obtenir ce qu'ils désirent ; si le joueur joue le défaut de son Nobilis, il gagnera des points de pouvoir renforçant sa puissance - et lui permettant de créer des effets "magiques" - sinon, il sera condamné à rester une divinité limitée ne pouvant agir que de manière très parcellaire sur son fragment de la réalité. En mettant en balance ses objectifs avec les pertes occasionnées par son défaut, chaque joueur restera donc totalement maître du destin de son personnage.
La conclusion de Vincent L. à propos du Jeu de rôle : Nobilis [2001]
Nobilis est un jeu de rôle totalement hors-norme, et cela aussi bien dans le fond que sur la forme. Il n'est donc pas conçu pour plaire au plus grand nombre, mais au contraire pour aller chercher un public de niche bien précis en quête de jeux complètements barrés. Amis fous furieux qui pensaient déjà que l'on pouvait aller encore plus loin que le concept proposé dans Ambre, jetez-vous sur Nobilis, car celui-ci risque de combler vos espérances les plus folles. Bien sur, il y a une sacrée contrepartie à cette fulgurante réussite, en ce que le jeu est difficile à appréhender, peu aisé à expliquer à des joueurs, et surtout presque impossible à mettre en place sauf, si, bien sur, vous avez la chance d'avoir autour de vous des joueurs aussi dingues que vous. Si ce n'est pas le cas, Nobilis risque de rester un objet de fantasme coincé dans votre bibliothèque, à prendre la poussière...
On a aimé
- Concept de base totalement hors normes,
- Background riche et original,
- Des possibilités de jeu immenses,
- Système diceless bien pensé,
- De grandes qualités formelles,
- Du roleplay, du roleplay !!!!
On a moins bien aimé
- Vraiment difficile à mettre en place,
- Verbeux, et parfois chiant à appréhender,
- Des illustrations rares et très inégales,
- Sans intérêt en one-shot.
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