Critique Wake Wood [2012]
Avis critique rédigé par Jonathan C. le samedi 17 septembre 2011 à 13h11
Réveil difficile
Après la mort accidentelle de leur fille unique (Ella Connolly, qui aurait fait une bonne Charlie pour Stephen King), un couple vient vivre à Wake Wood, un petit bled apparemment comme les autres. Mais Patrick (l’irlandais Aidan Gillen, le méchant de 12 Rounds, Shanghai Kid 2 et Blitz, brillant également dans les séries The Wire et Le Trône de fer) et Louise (l’irlandaise Eva Birthistle, révélation du Just a Kiss de Ken Loach, vue ensuite chez Neil Jordan et Peter Grenaway, et elle affrontait déjà des enfants pas nets dans The Children) se rendent compte que la ville est parfois animée par un étrange rite païen séculaire, qui permet de faire revenir à la vie pendant trois jours des personnes décédées depuis moins d’un an. Le gentil couple, d’abord choqué (mais pas pour longtemps), est évidemment tenté par l’opportunité miraculeuse que leur propose le maire (inquiétant Timothy Spall, parfait en gourou influent), ce qui leur permettrait de dire adieu à leur fille et de faire leur deuil. L'expérience fonctionne merveilleusement, comme dans un rêve. Mais quelque chose cloche, on s’en doute. Réveiller les morts n'apporte jamais rien de bon...
Après l'excellent Laisse-moi entrer et le très mauvais La Locataire (dont l’un des rares intérêts était de retrouver Christopher Lee chez la Hammer), Wake wood (qu’on peut traduire par « réveil dans les bois ») est la troisième production de la nouvelle Hammer et reste encore bien loin des réussites d’autrefois du studio mythique. Mélange exact entre Simetierre et The Wicker Man, deux modèles qu’il pompe allègrement, Wake Wood pose une atmosphère inquiétante dés son générique de début, prometteur, mais va rapidement s’embourber dans les invraisemblances. Le pitch en soi n’est pas crédible une seconde : impossible de croire que des parents qui viennent de perdre leur fille se laissent embarquer si facilement dans un rite païen censé la faire revenir à la vie, et encore moins qu’ils aillent profaner la tombe de leur fille morte depuis un an et mutiler son corps (pour prélever quelque chose qui lui appartient physiquement, lui arrachant un doigt alors qu'il suffisait juste par exemple de prélever un cheveux ou de retrouver une dent) ! Et ces mêmes parents qui, insouciants, laissent leur fille jouer avec un bouledogue errant alors qu’elle s’est faite déchiquetée par un chien quelques mois auparavant…La suite ne va pas en s’arrangeant, le film se clôturant sur un final grotesque et ennuyeux dans une forêt particulièrement mal éclairée, alors qu’il avait su jusqu’ici éviter de sombrer dans le grandguignolesque. Le réalisateur en fait trop dans la dernière demi-heure (qui enchaine les mises à mort et les effusions sanglantes avec une certaine monotonie), trahissant un maigre budget et un scénario qui semble inachevé. A vrai dire, ce crash final suivi d’un twist gratuit prouve que le réalisateur ne savait pas trop ou aller. On pourrait même voir dans l'évolution narrative de Wake Wood une métaphore de la résurrection du studio Hammer Films : elle (la résurrection) avait bien commencé mais elle régresse au lieu de s'améliorer. En tout cas, de la même façon que les païens de Wake Wood permettent au couple de faire le deuil de leur enfant pendant 3 jours, Wake Wood nous offre l'opportunité de faire le deuil de la Hammer pendant 90 minutes (et, comme dans le film, ce deuil passe tout en douceur avant de partir en vrille).
C’est d’autant plus dommage que David Keating (qui réalise là son second long métrage, 15 ans après la comédie dramatique The Last of the High Kings avec Catherine O'Hara, Gabriel Byrne, Jared Leto, Christina Ricci, Emily Mortimer et Stephen Rea, rien que ça) n’est pas un manche (pas plus que celui de La Locataire, qui coulait aussi à cause de son scénario) et que son film est visuellement soigné, concocté à l’ancienne. Petit fils du peintre irlandais Sean Keating, David Keating semble s''inspirer grandement des toiles romantico-réalistes de son aïeul (auquel il avait consacré un documentaire en 1997) pour créer ses cadres et son ambiance. Le montage est très décousu, mais c’est plutôt posé, sans effets tape-à-l’œil, privilégiant l’ambiance (en quelques plans contemplatifs) et la psychologie, car telle est l’orientation de la nouvelle Hammer : « Quand nous avons relancé Hammer Films, nous avons décidé de produire des films d’horreur et des thrillers qui reposent davantage sur la psychologie que sur l’horreur pure », dit le producteur Nigel Sinclair.
D’un classicisme appréciable, sans refaire dans l’esthétique gothique comme ça semble être le cas de The Woman in Black (la prochaine production Hammer), Wake Wood retrouve une ambiance rurale et lugubre à la Hammer, plongeant ses personnages au cœur des secrets morbides d’une petite communauté d’un autre âge (on pense à L'invasion des morts-vivants ou au Cirque des vampires), avec ses habitants douteux (conservateurs mais finalement très peu chrétiens), ses superstitions et ses traditions, et une pointe d’ésotérisme qui accentue le parfum de mystère, réussi et très proche de l’œuvre d’un Stephen King. La campagne irlandaise grisâtre et brumeuse se rapproche de la campagne anglaise made in Hammer dans les années 50 et 60, le village n'ayant cependant pas le cachet victorien des Bray Studios. Le contexte rural de l’Irlande profonde est illustré avec un certain réalisme : la ville provinciale a l’air « normale », et ses habitants ne sont pas des rednecks vulgaires mais des gens à priori honnêtes et « normaux ». Afin de renforcer cette réalité tangible, le cinéaste use même de procédés proches du documentaire (genre qu'il connait bien), par exemple lorsqu’il filme l’accouchement d’un veau en live. Comme chez Spielberg ou Stephen King, l’histoire fantastique surgit ainsi dans un cadre commun, afin de bousculer plus efficacement les perceptions et les conventions. Wake Wood revient à une certaine tradition cinématographique du fantastique, quand les citadins terre-à-terre découvrent des coutumes ancestrales, et quand le point de vue cartésien s’oppose au paranormal et aux superstitions. Ici, le surnaturel païen prend clairement le dessus sur les raisonnements scientifiques et même religieux (Dieu n'est plus, les villageois ont pris sa place), l'imaginaire l'emporte sur la réalité. Hélas, c’est justement lorsque le fantastique intervient que le film s’écroule.
Dans le dernier tiers, dont la comparaison avec Simetierre fait mal à Wake Wood, la partie horrifique (lorsque l’enfant revenue à la vie commence son carnage), introduite par une rupture de ton malvenue, est nettement moins réussie, reprenant une esthétique plus proche du slasher lambda (un tueur, des victimes, une forêt) dans une narration brouillonne et un rythme pataud qui ressassent paresseusement les motifs éculés de l’enfant diabolique (avec une Ella Connolly qui la joue glaciale et monolithique), cette dernière inspirant plus l’indifférence que la terreur. En revanche, à mi-chemin, le réalisateur s’attarde sur la partie contemplative, paisible et sereine des retrouvailles entre les parents et leur fille revenue à la vie ; des beaux moments dans un quotidien onirique et hors du temps bientôt bousculé par des signes menaçants. C'est là une des rares occasions ou David Keating exploite l'idée cruelle de parents qui n'ont que trois jours pour faire leurs adieux à leur enfant revenue d'entre les morts comme si de rien n'était (et ils refuseront bien entendu de la rendre). La scène éprouvante ou les parents profanent la tombe de leur fille puis celle de la cérémonie dégagent une certaine poésie morbide, dans la mise en scène symbolique et la représentation très organique et clinique (Cronenberg aurait aimé) d’une deuxième naissance post-mortem à travers des corps inertes sacrifiés et mutilés. A coups de symboles lourds (jusqu’aux professions des parents : un vétérinaire et une pharmacienne qui ressuscitent leur fille), David Keating construit l’ébauche d’un conte horrifique (la fillette ne s’appelle pas Alice pour rien, d’autant plus qu’elle commet ses horreurs dans une forêt).
Tout est déjà vu, sans surprises, et le film reste très sage, tant dans le fond (le versant transgressif du sujet est ignoré, tout comme sa mythologie ; les mythes celtes et rites nécromantiques ne sont qu’une toile de fond) que dans la forme (seules quatre scènes font leur petit effet : le générique du début, le fermier écrasé par un bœuf, le rite de résurrection et les parents qui profanent la dépouille pourrie de leur fille). Dans Wake Wood, les accidents du quotidien, filmés avec réalisme, sont bien plus choquants et crus que les quelques meurtres rigolards d’une fillette boogeygirl mort(e)-vivant(e) adepte des répliques ringardes et des effets spéciaux cheaps.
C’est bien fait (à l'exception de quelques SFX limités et d'un montage fragile), propre (superbe photo dans les intérieurs, lumière chaude et teintes feutrées) et très regardable (d’autant plus que ça se passe en Irlande, donc beaux paysages et charme bucolique), mais l’absence totale d’humour vis-à-vis d’un sujet aussi absurde plonge plusieurs fois le film dans le ridicule (la pirouette finale est cependant très ironique), en dépit de belles fulgurances viscérales.
La conclusion de Jonathan C. à propos du Film : Wake Wood [2012]
Comme dans leurs deux précédentes productions, Laisse-moi entrer et La Locataire, la nouvelle Hammer tente de revenir à un cinéma atmosphérique et psychologique, repiquant au passage des pans entiers de The Wicker Man et Simetierre. Si la première partie distille une ambiance intéressante et un parfum de mystère brumeux dignes de leurs productions d’autrefois, le récit s’écroule progressivement au fur et à mesure que l’élément fantastique s’affirme, jusqu’à finir par patauger dans les pires poncifs du genre (l’enfant diabolique qui commet meurtre sur meurtre) dans un dernier tiers grandguignolesque qui jette par-dessus bord tout ce qui avait auparavant été entreprit et transforme Wake Wood en un téléfilm anonyme. Un sabordage regrettable au regard des qualités (surtout picturales) dont fait preuve le cinéaste et qui rend hélas ce Wake Wood très oubliable en dépit de ses quelques séquences marquantes qui surnagent dans ce script absurde dénué du moindre second degré (c’est surtout problématique dans sa dernière partie).
On a aimé
- Une atmosphère rurale à l'ancienne
- Un retour au classique
- Quelques séquences marquantes
- Mise en scène élégante et belle photo
On a moins bien aimé
- Une dernière partie grotesque
- Un script invraisemblable plein d'incohérences
- Des références encombrantes (The Wicker Man et Simetierre)
- Montage décousu et effets cheap
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