Critique Jusqu'à ce que la fin du monde nous sépare [2012]

Avis critique rédigé par Jonathan C. le mardi 7 août 2012 à 01h46

Love Impact

affiche US

Depuis l’avènement des effets spéciaux numériques dans la seconde partie des années 90, la fin du monde est rendu possible/plausible à l’écran et devient un des grands thèmes des années 2000, régulièrement relancé par des drames (des attentats du 11 septembre à l’Ouragan Katryna, évènements dont certaines images semblaient tout droit sorties d’un film-catastrophe hollywoodien) et des suppositions (les prédictions des Mayas et de l’inénarrable Paco Rabane, les théories scientifiques…). Le cadre de la fin du monde peut tout aussi bien être provoqué par des zombies, des aliens, une guerre mondiale nucléaire, une catastrophe naturelle, un virus ou un astéroïde comme c’est le cas du film dont il est question ici. Alors que ce genre couteux semblait réservé aux artisans d’Hollywood, les auteurs indépendants s’y mettent petit à petit (Luc Besson avait ouvert la voie avec son Dernier combat), abordant le sujet sous un angle plus intimiste et plus humain, argument pour ne pas avoir à montrer des effets spéciaux spectaculaires. Après David Mackenzie pour Perfect Sense, Lars von Trier pour Melancholia, Abel Ferrara pour le arty 4:44 Last Day on Earth ou même les frères Larrieu avec l'insupportable Les Derniers jours du monde, et avant que Drew Barrymore s’y attarde elle aussi avec The End, c’est la scénariste de Une Nuit à New York qui, pour son premier long métrage en tant que réalisatrice, reprend le contexte de la fin du monde (et surtout de ce qu'il se passe juste avant), comme l’amusant titre du film l’indique. Hasard ou pas, Jusqu'à ce que la fin du monde nous sépare sort peu de temps avant la date de la fin du calendrier Maya.

Keira, Sorry et Steve Carell

Mais ici, la fin du monde est plus suggérée que montrée ; il n’y a en effet aucune image spectaculaire (ce qui est en fond sur l’affiche n’est pas dans le film), pas d’effets spéciaux, pas de décors dévastés, au mieux une émeute et quelques personnes affolées dans les rues. L’argument-catastrophe, un astéroïde de 110 kilomètres nommé Matilda, est brièvement évoqué au journal télévisée, à coups d’explications scientifiques fumeuses (parodie évidente du genre). La réalisatrice Lorene Scafaria n’a de toute façon pas le budget pour illustrer une fin du monde, son film étant une production indépendante de 10 millions de dollars. L'histoire se déroule dans un futur très proche mais pas daté, ce qui n’a aucune importance. Le coté anticipation ne ressort pas dans les décors (anodins) mais se traduit plus dans l’ambiance, Lorene Scafaria s’inspirant notamment du Rendez-vous au Paradis d’Albert Brooks (ou des individus devaient prouver leur courage et leurs valeurs devant le tribunal d’un au-delà américain) et du suédois Chansons du deuxième étage de Roy Andersson (film chorale s’attardant sur une série d’évènements étranges tandis que plane la menace d’un chaos imminent). Il y a bien du 2.35 (format spectaculaire par excellence) et quelques séquences nerveuses (la fuite en voiture au milieu des émeutes, que la réalisatrice a voulu proche de la célèbre séquence de la voiture dans Les Fils de l'homme mais « dans une mesure plus minimaliste »), mais le film reste plutôt calme, feutré et posé (comme la mise en scène) en dépit des évènements.

Ce qui intéresse la réalisatrice-scénariste (et par ailleurs chanteuse, on peut notamment entendre ses morceaux dans Bliss ou Mes Meilleures amies), c’est surtout comment les gens appréhendent un tel évènement. Telle une psychologue, Lorene Scafaria se sert de la fin du monde pour développer une étude de mœurs sur les réactions engendrées par ce compte à rebours à échelle mondiale, sur les rapports qui changent entre eux, sur les caractères qui se révèlent, sur les derniers choix qu’ils font. Ses « patients » sont des gens ordinaires, ce qui facilite l’identification avec le public (Steve Carell est l’incarnation parfaite du type ordinaire, du monsieur-tout-le-monde). En de telles circonstances, certains continuent leur petite vie quotidienne, d’autres s’enferment dans un bunker sophistiqué ou vivent paisiblement sur une plage en attendant le moment fatidique, mais la plupart se lâchent complètement et n’en ont plus rien à foutre de rien car plus rien n’a de sens ; même une promotion pour un poste très haut placé n’intéresse plus les modestes employés alors que la même offre aurait illuminé leur vie quelques jours auparavant (constat qui amène une scène très drôle). Ainsi les citoyens se lancent-ils dans des pillages et des orgies, ils baisent n’importe qui et consomment drogue et alcool sans avoir à se soucier des conséquences (cancer, SIDA & Cie, tout cela n’a plus d’importance). Mais c’est aussi le moment de régler ses comptes avant la fin. « L’apocalypse met tout le monde sur un même pied d’égalité », lance l’un des personnages à Steve Carell, qui, lui, ne sait pas comment en profiter.

Connie Britton et Steve Carell

En effet, Steve Carell alias Dodge est un pauvre courtier en assurance qui a raté sa vie, faute d'ambition et de prises de risque. En apprenant que la fin du monde est proche (la collision de l'astéroïde est pour dans 3 semaines), sa femme décide de le plaquer dés la scène d’intro, jouée par Steve Carell et sa propre épouse à la vie, l’actrice Nancy Carell (le Saturday Night Live, The Office…). Dodge se rend compte qu’il a vécu dans le mensonge et qu’il est passé à coté de la vie, mais maintenant c’est trop tard pour y changer quoique ce soit. Alors qu’il se morfond chez lui, continue d’aller au boulot et contemple le tumulte autour de lui, il rencontre sa voisine de palier, la charmante mais excentrique Penny (Keira Knightley). Ensemble, accompagnés d’un chien abandonné, ils fuient les émeutes de leur quartier et entament un long périple dont le but est de retrouver l’amour de jeunesse de Dodge.

Steve Carell et Keira

Jusqu'à ce que la fin du monde nous sépare est donc plus un road-movie (genre principalement exploré par le cinéma indépendant made in USA) qu’un film-catastrophe (genre typiquement hollywoodien ici tourné en dérision), mais la construction par étapes du road-movie est idéalement adaptée au sujet (comme le format Cinémascope) puisqu’elle permet de dresser un tableau des comportements (qu’ils soient étranges, dépravés, ou anormalement normaux) des américains devant la fin du monde, souvent avec un humour mordant voire noir. Ainsi les deux personnages sont pris en stop par un taré parano suicidaire (William Petersen !), se font arrêter par un flic qui prend son métier très à cœur ou tombent dans un Friendsy’s dont le personnel défoncé (notamment Gillian Jacobs et T.J. Miller) voudra les embarquer dans une orgie hippie. Autant de moments drôles et cocasses au cours desquels les deux personnages se lient et tombent évidemment amoureux. Car il ne faut pas perdre de vue qu’il s’agit aussi d’une comédie romantique, malgré le chaos environnant. « J’étais bien plus obsédée par l’amour que par l’idée d’une fin imminente », confie la réalisatrice, « Par conséquent, c’était un sacré défi d’imaginer le choc de ces deux univers ».

La romance sur fond de fin du monde est progressivement amenée et a quelque chose de tragique et de cruel : il aura fallu attendre la fin du monde pour que deux losers se trouvent et s’aiment, c’est une grande histoire d’amour sans perspective d’avenir, une romance sans lendemain (c’est le cas de le dire). Mais le message de Jusqu'à ce que la fin du monde nous sépare sera le même que dans le Perfect Sense de David Mackenzie : à l’approche de la fin, il ne reste plus que l’amour. L’important au moment fatidique est d’aimer et d’être aimé. A travers les genres qu’elle aborde et qu’elle fusionne (science-fiction/anticipation, road-movie, comédie noire, comédie romantique ou même mélodrame), Lorene Scafaria mêle habilement légèreté et gravité, et construit une quête initiatique à la fois tendre et agitée au bout de laquelle les deux personnages principaux pourront mourir sereinement, car amoureux. Son film questionne le sens des valeurs (dont celle de la vie) et s'attarde sur qu’est-ce qui rend chaque individu heureux. Malgré son fatalisme et la mort qui plane en permanence, c’est un film très positif, lumineux et plein de vie, souligné par une délicieuse bande-son rock/folk à la Cameron Crowe (comme le personnage de Penny, la musique est très importante pour la réalisatrice). Paradoxalement, les films récents se situant dans l'attente de la fin du monde délivrent des messages optimistes et se terminent dans une sorte d'extase lorsque les personnages atteignent une totale plénitude au moment fatidique, qu'il s'agisse de Perfect Sense, 4:44 Last Day on Earth, Melancholia ou ce Jusqu'à ce que la fin du monde nous sépare qui reste cependant moins torturé que les précédents exemples ; d'ailleurs à l'inverse du Ferrara ou du Lars von Trier qui donnent dans le huis-clos, Lorene Scafaria ne reste pas cloitrée dans un microcosme et voyage à travers les Etats-Unis.

Keira, Gillian Jacobs, T.J. Miller et Steve Carell

La fin du monde met donc ici en avant l’importance du temps, une notion sur laquelle Lorene Scafaria a voulu insister dans son histoire après la mort de son père. Pour elle, qui réfléchit ici sur « les gens qui ont du temps mais qui n’en profitent pas », tout le monde devrait ainsi avoir le même objectif à l’approche de la fin du monde : profiter. Profiter du temps qui reste pour s’éclater, pour mettre les choses au clair, pour réparer leurs erreurs ou pour tomber amoureux, car pour Lorene Scafaria il n’est jamais trop tard pour ça. Le personnage de Dodge tente ainsi en quelques jours de rattraper toutes ces années perdues, et se trouvera un nouvel (et ultime) amour en essayant d’en retrouver un ancien. Il vivra plus en quelques jours avec Penny qu’il n’a vécu en de longues années avec son épouse, et réglera aussi ses différents avec son père (Martin Sheen). Avec Jusqu'à ce que la fin du monde nous sépare, la réalisatrice démontre efficacement la vision changeante des gens en de telles circonstances, l’ordre des priorités bouleversé, les nouvelles motivations et une vaste prise de conscience existentielle. C’est cette observation comportementale et la description très juste et sans effets tapageurs de l’ambiance pré-apocalyptique en mode mineur qui rendent le film tout-à-fait crédible (donc dans un sens assez effrayant). Il faut cependant avouer qu'on voit bien vite ou la réalisatrice veut en venir, d'ou un petit coté démonstratif un peu trop appuyé.

Keira in the car

Lorene Scafaria mélange ainsi les genres et brouille les pistes, jusque dans ses choix de casting, en « faux contremplois » ; le comique Steve Carell se retrouve ainsi dans un rôle dramatique plus sombre (comme dans Little Miss Sunshine ou Coup de foudre à Rhode Island) qui lui sied cependant à merveille (l’acteur a toujours été parfait pour incarner les gentils losers romantiques), et la glamour Keira Knightley dans un rôle plus déjanté, mal fagotée et pas franchement embellie (ça la change des films à costumes), ce qui lui va aussi à ravir puisque l’actrice campe souvent des femmes mentalement perturbées voire folles (Domino, The Duchess, Never let me go, A Dangerous Method…). Ils forment le classique mais toujours irrésistible couple-tandem de l’introverti et l’extravertie, la stabilité avec l’instabilité. A priori mal assorti, ce qui participe à la mécanique comique du récit (les deux tourtereaux ont chacun un caractère diamétralement opposé, passent leur temps à s’engueuler et ne sont d’accord sur rien), Carell et Knightley apportent énormément de charme à l’aventure, se renvoient constamment la balle (les répliques fusent) et se complètent idéalement entre humour et émotion. Scafaria prend le temps de transformer ces deux stéréotypes en personnages attachants qui eux-mêmes prennent le temps de réfléchir.

Les rôles secondaires sont aussi brefs que mémorables ; on voit passer Adam Brody (très drôle en ex boyfriend envahissant et pitoyable), Rob Corddry (toujours parfait pour jouer les beaufs), Connie Britton (l’épouse du coach Taylor dans Friday Night Lights, Nikki dans Spin City, Vivien Harmon dans American Horror Story, l’héroïne de Nashville, vue aussi dans le remake de Freddy - Les griffes de la nuit et dans The Last Winter), Melanie Lynskey (l’inoubliable Pauline de Créatures célestes), William Petersen (qui, si l’on excepte une brève apparition dans le démonstratif Detachment avec Adrien Brody, n’était pas apparu au cinéma depuis 12 ans) dans un rôle délirant, Patton Oswalt (un comique du stand-up surtout remarqué dans Young Adult auprès de Charlize Theron et connu aussi pour avoir doublé le rat Remy dans Ratatouille), Derek Luke (le Antwone Fisher de Denzel Washington, Puff Daddy dans Notorious B.I.G., Patrick Chamusso dans Au Nom de la liberté, Gabe Jones dans The First Avenger : Captain America, Boobie Miles dans Friday Night Lights...),T.J. Miller (révélé dans Cloverfield), Gillian Jacobs (Britta dans Community) et un Martin Sheen émouvant (en tout cas plus que dans The Amazing Spider-Man).

Keira et Steve

Le premier film de Lorene Scafaria est loin d’être parfait : c’est parfois un peu neuneu, la rencontre romantique manque de naturel (c'est too much), le dénouement est prévisible (c’est celui d’une comédie romantique), certains gags tombent à plat (la femme de ménage mexicaine) et subsistent quelques tics de cinéma indé US (notamment une tendance folk, cf. la culture vinyle). Son film n’en reste pas moins étonnement maitrisé dans son original mélange des genres et dans son équilibre drame/comédie, le drame prenant peu à peu le pas sur la comédie jusqu'à une dernière partie plus méditative et mélancolique. Il aborde aussi une dimension humaine souvent absente ou expédiée dans les blockbusters sur la fin du monde. Steve Carell et Keira Knightley achèvent d’en faire un film attachant, agréable et sincère. Si Cameron Crowe avait réalisé un film sur la fin du monde, ça aurait ressemblé à celui-ci (en probablement mieux).

Keira et Steve

La conclusion de à propos du Film : Jusqu'à ce que la fin du monde nous sépare [2012]

Auteur Jonathan C.
70

Jusqu'à ce que la fin du monde nous sépare n’est ni un film catastrophe ni une comédie burlesque. La réalisatrice Lorene Scafaria n’a pas voulu faire une farce et se sert du contexte de la fin du monde, dont on ne verra pas une bribe, pour mettre en avant une étude de mœurs (comment réagiraient les gens face à l’annonce d’une fin du monde imminente ?) et une réflexion existentialiste romantique (l’amour est tout ce qui reste dans une telle situation) qui apportent une vraie crédibilité à cette nouvelle vision de la fin du monde, bercée d'excellents morceaux allant des The Beach Boys aux Scissor Sisters en passant par INXS. Atypique, douce-amère et un brin schizo à l'image du couple Steve Carell/Keira Knightley (drame/comédie), cette road-romantic comedy pré-apocalyptique est en réalité un road-movie cocasse au cours duquel nait une comédie romantique puis un mélodrame poignant (une dernière scène très forte). Malgré son sujet et son humour noir, c’est plein d’optimisme et de tendresse.

On a aimé

  • Une approche drôle, touchante et crédible de la fin du monde
  • Un mélange des genres qui fonctionne
  • Deux personnages attachants
  • Une fin assez forte

On a moins bien aimé

  • Quelques fausses notes
  • Un dénouement prévisible
  • Manque d'ambition dans la mise en images
  • Si vous n'êtes pas romantique, passez votre chemin

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