Polaris 3ème édition > Interview de Philippe Tessier, créateur du jeu

Interview de Philippe Tessier, créateur du jeu

Vincent L. : Pourriez-vous vous présenter à ceux de nos lecteurs qui ne savent pas qui vous êtes et ce que vous faites ?
Philippe Tessier : Mon parcours est assez particulier. J’ai commencé par tenir un commerce de jeux et maquettes pendant quelques années, commerce qui n’a pas résisté à mon "talent" de gestionnaire. Par contre, cela m’a permis de rencontrer certaines personnes comme Henri Balczesak (Jeux Descartes) et Guillaume Gille-Naves (Halloween Concept). Le premier m’a fait travailler en tant que traducteur (pour la gamme Earthdawn) avant de me confier le projet Shadowrun France. Le second m’a fait faire mes premiers pas dans le milieu avec la traduction/adaptation du Guide Tooniversel (pour Toon) avant d’accepter de publier la première édition de Polaris. Mais les revenus dans le jeu étant ce qu’ils sont, j’ai vite dû me lancer dans une autre activité, celle de traducteur de jeux vidéo. Toutes ces activités ne m’ont malheureusement pas permis de m’en sortir financièrement. J’ai donc fait une croix sur le jeu vidéo et la création de jeu pour trouver un travail de journaliste salarié dans une société éditant un magasine sur le poker. Actuellement je traduis donc des articles consacrés à ce jeu, tout en continuant à développer Polaris pour Black Book Edition et à écrire des romans qui, je l’espère, seront un jour publiés.
Vincent L. : Pouvez-vous nous décrire ce qu’est l’univers de Polaris ? A quel style de jeu correspond t-il ?
Philippe Tessier : Un des grands atouts de Polaris, c’est que cet univers peut s’adapter à presque n’importe quel style de jeu. Il permet de jouer aussi bien sur les terres ravagées de la surface que dans les plus profonds abysses des océans en passant par le monde souterrain ou l’espace. On peut y ignorer certains éléments pour aisément en développer d’autres. Ainsi, on va trouver des MJ qui supprimeront tous les éléments fantastiques pour développer un univers très noir et très réaliste, d’autres axeront au contraire leur campagne sur l’ambiance fantastique, en privilégiant le côté angoissant des stations sous-marines, d’autres encore opteront pour de la pure science-fiction. Il est bien évidemment possible de choisir de jouer avec tous les éléments présents dans l’univers de base et, dans ce cas, ce n’est pas la variété qui manque.
Vincent L. : Quelles ont été vos inspirations pour la genèse de cet univers ?
Philippe Tessier : En ce qui concerne les inspirations, elles ont été aussi multiples que variées. D’abord j’avais deux images en tête : des combats de croiseurs et des affrontements en armure sur des terres dévastées. En piochant dans tout ce que j’ai aimé au cinéma (Alien, Octobre rouge, le premier La planète des singes, Star Wars, Abyss, etc.), à la télévision (Cosmos 1999, Space 2063, Albator, Robotech, Odyssée sous les mers, etc.), dans les jeux (Gamma World, Jorune, Morrow project, Battletech, etc.), dans les bandes dessinées (Iron Man, Le Vagabond des limbes, Valérian, Luc Orient, Guy l’éclair, etc.), dans les oeuvres d’art (Giger, Chriss Foss, Jim Burns, Roger Dean, etc.) ou dans les romans (Dune, La Compagnie des glaces, Perry Rhodan, Bob Morane, etc.), j’en suis arrivé à me constituer mon propre univers. En fait, à l’origine, Polaris devait se dérouler à la surface. Un monde dévasté où tentaient de survivre quelques poignées de survivants avec un matériel de très haute technologie. L’ambiance était très proche d’un Morrow Project mais en plus SF. L’univers sous-marin était en arrière plan. En travaillant ce sujet, qui n’était pas vraiment original, j’en suis arrivé à déplacer le cœur de l’action sous les océans, en ayant en tête de faire un Star Wars sous-marin. Mais je ne voulais pas d’une simple opposition entre des méchants envahisseurs et les gentils rebelles. Pour le jeu de rôles, je voulais aussi ouvrir cet univers à toutes les pistes possibles et imaginables pour que les joueurs puissent opter pour leur propre vision de Polaris.


Profession : médecin (illustration Geoffroy Thoorens)

Vincent L. : Il s'était passé un an entre les sorties de la première et de la seconde édition de Polaris. Entre la seconde et la troisième, une décennie s'est écoulé. Qu'est devenu le jeu pendant tout ce temps ?
Philippe Tessier : Il a vivoté et a failli totalement disparaître à maintes reprises. Mais certains fans acharnés m’ont toujours poussé à persévérer alors j’ai continué à développer Polaris sur un site qui est consacré au jeu. J’ai remanié le système de jeu de la seconde édition en me faisant aider par François Menneteau et par les membres du forum. Pendant assez longtemps, je ne savais pas bien vers où me diriger avec cette édition, certains me réclamant une version nettement simplifiée, d’autres une simple clarification du système de la V2. Quand Black Book m’a contacté pour éditer une troisième édition de Polaris avec un système plus accessible, cela m’a permis de développer une version forum beaucoup plus technique. Comme cela, tout le monde y trouve son compte.
Vincent L. : Qu'est-ce qui va différencier la seconde et la troisième édition ?
Philippe Tessier : En ce qui concerne le background, il n’y a pas de grandes différences. J’ai clarifié certains points, introduit des éléments concernant les nouvelles technologies qui se sont développées ces dix dernières années et c’est à peu près tout. Par contre, il était bien clair avec Black Book qu’il fallait changer les règles de jeu. Raphaël Bombayl a donc défini un nouveau système beaucoup plus intuitif et abordable tout en essayant de respecter le plus possible l’ambiance de Polaris. Non seulement il y est parfaitement parvenu mais je trouve que la maquette du jeu réalisée par Damien Coltice donne vraiment envie de plonger dans cet univers. Autre atout de cette édition, les superbes dessins réalisés par Joël Mouclier (repris des anciennes éditions), Jibé, Swal et Geoffroy Thoorens.
Vincent L. : Polaris est – entre autres - un jeu de secrets, de mystères et de complots. Dans les précédentes éditions, la vérité sur ces secrets n’était jamais entièrement révélée. Qu’en sera t-il dans cette nouvelle version ?
Philippe Tessier : Là, on compte bien tout révéler. Alors, pas dans la réédition des anciens suppléments mais dans les nouveaux. Dans ces derniers, j’essaierai de répondre le plus possible aux secrets concernant la nation abordée et le supplément Généticien expliquera tout le reste.

Profession : commando (illustration Geoffroy Thoorens)

Vincent L. : Le système de jeu des deux premières éditions de Polaris était extrêmement meurtrier. En sera t-il de même avec celui-ci ?
Philippe Tessier : Il faudrait mieux poser cette question à Raphaël Bombayl qui a défini le nouveau système de jeu. Néanmoins, il est certain que Polaris reste un univers extrêmement violent où la mort s’abat avec une certaine aisance sur les aventuriers.
Vincent L. : La troisième édition fera-t-elle explicitement référence au système de jeu de l’édition forum ou ce dernier restera t-il confidentiel, à seule destination des joueurs “purs et durs” ?
Philippe Tessier : Les deux sont bien séparés mais les informations de l’édition de Black Book sont basées sur les informations de l’édition forum. Par exemple, les navires sont définis suivant les informations techniques fournies par François Menneteau, puis adaptés avec le système de Raphaël. Ce dernier pioche ce qu’il veut dans la masse d’informations que nous diffusons sur site Polaris. Cette édition forum est surtout une mine d’informations complémentaires où l’on va pouvoir trouver des détails comme l’épaisseur des armures, la matière dont elles sont constituées, les sources d’énergie utilisées et même les formules mathématiques qui permettent de calculer à quoi doivent ressembler une station ou un navire à telle ou telle profondeur. Ce sont donc des éléments complémentaires pour ceux qui veulent des détails. Le système forum aborde donc des notions plus complexes, comme l’équilibre des appareils sous-marins, les ballasts, le calibre des armes, etc. Je crois qu’il n’y a même pas besoin d’être un joueur pur et dur pour jeter un coup d’œil aux fichiers du forum. Même un MJ ne cherchant pas à se perdre dans des formules complexes peut avoir intérêt à lire le fichier consacré aux modes de propulsion possibles dans l’univers sous-marin, juste pour ajouter un peu de réalisme à ses descriptions. De plus, je pense que dans de futurs suppléments bon nombre de ces informations seront publiées sous une forme plus accessible. La version forum répond à des questions très concrètes comme : comment ça marche un sas à 12000 m de profondeur ? Comment une armure de 12 tonnes se déplace-t-elle sous l’eau ? Quel système d’armement utilisent des sous-marins qui peuvent faire feu aussi bien à 500 mètres de profondeur qu’à 15 000 mètres ? Il est évident que l’on a dû (et quand je dis “on”, je parle surtout de François Menneteau) trouver des solutions qui n’existent pas encore. Alors ça peut paraître un peu technique et rebutant mais ça permet aussi d’enrichir des descriptions et des ambiances.
Vincent L. : Entre la première et la seconde édition, la trame de l’histoire avait évolué, notamment en prenant en compte les événements des romans Les foudres de l'abîme ? En sera t-il de même pour le passage à cette troisième édition ?
Philippe Tessier : Non. J’évoque tout juste les événements de la première trilogie. Nous avions envisagé de faire évoluer la trame générale de l’histoire pour qu’elle englobe les événements de Domination mais, comme nous voulions repartir du bon pied avec cette édition et attirer de nombreux nouveaux joueurs, nous ne voulions pas qu’ils aient l’impression d’avoir raté un épisode. Donc on fera évoluer le background avec les nouveaux suppléments qui sortiront après le livre consacré à l’univers (une réédition de Surface, Hégémonie, Ligue Rouge et Pirates). Seul, Surface a subi de lourdes modifications.

Profession : pilote (illustration Geoffroy Thoorens)

Vincent L. : Le background n’est donc pas totalement identique à la seconde édition. Quels points du background ont – à l’instar de Surface – subi des modifications ?
Philippe Tessier : J’ai surtout modifié des éléments pour cadrer avec les connaissances actuelles dans le domaine sous-marin. Ainsi, à l’époque de la première édition de Polaris, j’avais juste entendu parler de ces fameuses torpilles à “bulle d’air”, aujourd’hui j’ai lu tout ce qu’il fallait lire sur la supercavitation. Alors qu’à l’époque, j’ignorais totalement que l’on puisse concevoir de telles armes, aujourd’hui on peut facilement imaginer des canons sous-marins à supercavitation. Et dans tous les domaines, c’est la même chose. On a fait de véritables percées dans le domaine des communications, dans celui de la respiration sous-marine, des armes, des défenses, des propulsions, des sonars, etc. J’ai aussi introduit quelques informations sur les matériaux utilisés par l’Alliance Azure ou les Généticiens, sur les sources d’énergie, etc. En ce qui concerne l’histoire, je parle donc de la Directive Exeter et j’ai glissé quelques informations complémentaires dans la partie consacrée au matériel. Mais encore une fois, ça reste assez léger. La véritable évolution du background aura lieu avec les nouveaux suppléments, que ce soit pour ce qui va se passer ou pour ce qui s’est déjà passé.
Vincent L. : Justement, qu'en sera t-il du suivi du jeu en terme de suppléments?
Philippe Tessier : Le suivi devrait être conséquent mais il est encore trop tôt pour dire à quel rythme il se fera. En gros, pour l’instant, j’ai en tête une douzaine de suppléments: République du Corail, Union Méditerranéenne, Alliance Polaire, Alliance Orbitale, Soleil Noir, Groupes et factions mineurs, Le Flux Polaris, Surface II, Les profondeurs de la terre, Le Guide de construction, Généticiens et Amazonia. On va également publier des scénarios et je me ferai certainement aider par d’autres auteurs.
Vincent L. : Au niveau des scénarios, y aura t-il des suppléments consacré exclusivement à des aventures, seront-ils compris dans les suppléments de background ou n'y en aura t-il tout simplement pas ?
Philippe Tessier : Pour l'instant je ne sais pas vraiment. Je vais en discuter avec Black Book Edition dans les semaines qui viennent. Je sais par contre qu'il y aura très certainement des scénarios et campagnes indépendants.
Vincent L. : Polaris est votre création, avez-vous néanmoins eu votre mot à dire sur la conception de cette troisième édition ? Y avez-vous joué un rôle précis ?
Philippe Tessier : Oui, bien entendu. Il n’y a que sur le système de jeu où je ne suis pas beaucoup intervenu pour que Raphaël le développe à sa convenance. Mais à chaque étape, on m’a demandé mon avis. De plus, toute l’année dernière, j’ai retravaillé l’édition forum avec François Menneteau pour que Raphaël se base sur ces fichiers, même s’il n’a pas développé tous les points très techniques de cette édition forum.

Profession : diplomate (illustration Geoffroy Thoorens)

Vincent L. : Je me souviens que la première édition avait été, à l’époque, “descendue” par les critiques. Dans quelle mesure êtes-vous anxieux quant à l’accueil qui sera réservé à cette nouvelle édition ?
Philippe Tessier : Je ne suis absolument pas anxieux et ce pour plusieurs raisons : d’abord, à tort ou à raison, c’est surtout le système de jeu qui avait été descendu. Ensuite, j’avais commencé à relancer Polaris uniquement pour ceux qui avaient adoré le jeu. Grâce à l’optimisme et à la volonté de gens comme Laurent Buisson et tous les piliers du forum, j’avais monté le site Polaris en parfait amateur. Quand l’équipe de Black Book Edition nous a contacté pour dire qu’elle était intéressée par une réédition du jeu, c’était la cerise sur le gâteau. Enfin, la nouvelle édition de Polaris a tous les atouts pour elle. Le système est bon, le background est solide, la présentation est remarquable et l’équipe est de qualité. Il n’y a pas de raisons pour que le jeu ne marche pas… ce qui sera un exploit en France pour un jeu de SF. En ce qui concerne les critiques des deux précédentes éditions, il est vrai que le système pouvait paraître lourd et complexe mais il y avait aussi des attaques pas vraiment justifiées. L’ambiance tendue qui existait entre certains éditeurs et certains magazines n’a pas arrangé les choses. Et c’était un peu étrange car je m’attendais à être sollicité pour parler de mon jeu… ça n’a pas vraiment été le cas. Enfin les critiques, il y en aura toujours alors autant faire avec et certaines sont constructives. Par contre, je me passerais volontiers de certaines attaques stupides, je pense notamment à celles qui avaient été faites sur les livres de la collection Onyx ou sur Shadowrun france.
Vincent L. : Au delà du jeu de rôle, Polaris a également connu une publication sous forme de romans. La trilogie des Foudres de l'abîme, parue aux éditions Khöm Heidon, va être rééditée par Spirit of dreams. Qu'en sera t-il de la tétralogie Projet Domination, dont les deux premiers tomes avaient paru aux éditions Onyx, mais dont la fin n'avait pas été publiée ?
Philippe Tessier : Cela dépendra bien évidemment du succès des premiers romans. S’ils se vendent suffisamment bien, Spirit of dreams éditera Domination dans son intégralité, avant de publier de nouveaux romans dans l’univers de Polaris. Ce ne sont pas les idées qui manquent dans ce domaine.
Vincent L. : Même si vous avez collaboré à d’autres jeux, Polaris est le seul jeu de rôle que vous ayez créé. N’avez vous jamais eu envie de passer à autre chose, de vous lancer dans une autre aventure ?
Philippe Tessier : Oh, oui ! Mais déjà le fait d’arriver à en faire un est une bonne chose, beaucoup n’ont pas cette chance. J’ai un second univers que j’aurais bien voulu développer. Il s’appelle les Chroniques Hérétiques et se situe dans le même monde que celui d’un roman que j’ai écrit : « Les aventures de Tire d’Aile ». C’est un jeu qui m’a été principalement inspiré par Runequest. L’action se déroule sur un monde plat, qui s’étend autour d’un soleil qui n’est autre qu’un Phénix qui renaît chaque jour de ses cendres. Les sorciers y règnent en maîtres après avoir triomphé des divinités lors des Guerres Hérétiques. Le jeu est déjà très développé et peut-être qu’un jour j’aurai l’occasion de le terminer. J’aurais bien voulu passer mon temps à créer des univers, que ce soit sous forme de jeux et/ou de romans. Mais bon, ce n’est pas vraiment possible.

Techno-hybride (illustration Geoffroy Thoorens)

Vincent L. : J’en conclu donc, d’après ce que vous m’avez dit, qu’il est impossible de vivre uniquement d'une activité d'auteur de jeu de rôle ?
Philippe Tessier : En France, ça me paraît effectivement très difficile, voir impossible. L’idéal est de trouver une activité annexe qui n’en soit pas très éloignée. Certains ont eu cette chance d’autres non.
Vincent L. : Sortons de l’univers de Polaris pour parler du jeu de rôle en général, quel regard portez-vous sur le jeu de rôle en France actuellement, à la fois comme hobby, mais également comme activité commerciale ?
Philippe Tessier : Question délicate. En tant que hobby, nous avons tous constaté que cela restait une activité largement marginale et on ne peut que le regretter car bon nombre d’adolescents auraient tout à gagner à la découvrir. Je n’ai aucune idée de l’évolution des ventes entre les années 80 et aujourd’hui mais je crains que la courbe pointe vers le bas. Commercialement, ça tient plutôt de l’héroïsme de tenir un commerce de jeux… C’est d’autant plus dommage que ce ne sont pas les talents qui manquent en France. On n’a jamais su créer un socle solide pour cette activité et même quand certains joueurs sont arrivés à des positions où ils pouvaient agir cela n’a servi à rien. Les rivalités du passé (enfin je l’espère) entre les différents acteurs du jeu n’ont rien arrangé. Ce qui m’a beaucoup surpris lorsque Gary Gygax est mort, c’est le nombre incroyable d’hommages qu’il a reçus de gens de tous les âges et occupant toutes les positions. C’est la première fois que je me disais, il y a tout de même pas mal de personnes qui connaissent le jeu de rôle mais alors pourquoi on en parle aussi peu ? Bon, il est évident que ça ne sera jamais une activité comme les autres. Une partie de jeu de rôles demande du temps et on ne peut y jouer aussi facilement qu’un jeu vidéo ou qu’un jeu de société type Monopoly. Mais un minimum viable ce serait tout de même bien…