Angoulême 2011 : La conférence Walking Dead de Charlie Adlard
Pour tout connaître des Zombies de Walking Dead et son dessinateur, c'est ici !
Avec plus de 300 000 lecteurs en France, Walking Dead est l’une des séries phares de chez Delcourt. Le samedi 29 janvier 2011, le festival international d'Angoulême avec les éditions Delcourt a planifié une rencontre exceptionnelle avec Charlie Adlard, le dessinateur de la série. C'est Martin-Pierre Baudry qui s’est chargé de modérer cette conférence, tout en posant les premières questions sur les quarante premières minutes. Vous pouvez en découvrir ici une retranscription écrite ainsi qu'une grosse partie de la conférence en vidéo.
Charlie Adlard, dans quel milieu avez-vous grandi, qu’elle a été votre premier contact avec la bande dessinée ?
Mon souvenir le plus lointain date de quand j'avais six ans, je me souviens que mon père était entré dans ma chambre avec la première parution d'un recueil Marvel respectant l'ordre chronologique. Il me l'a remis, c'était vraiment passionnant pour moi, car c'était déjà des choses que j'avais vues à la télé. Dans la même période, à une station service près de chez moi, il y avait une promotion publicitaire précisant que si on y faisait plusieurs fois le plein, on pouvait avoir des points qui, une fois cumulés, permettaient d'avoir des promotions sur les bandes dessinées d'Astérix. Il y avait Astérix Légionnaire, Astérix le Gaulois et deux autres dont je ne me rappelle plus les titres, des éditions spéciales pour station-service, et j'ai eu les quatre. J'avais donc une coexistence dans mes lectures entre les bandes dessinées Marvel et européennes.
Par la suite, j'ai grandi dans ce monde de super héros et ce monde un peu bizarre d'Asterix, je ne savais même pas que le personnage provenait de France, mais j'étais fasciné par ce mélange bizarre de personnages à la fois très BD, mais aussi avec ce fond si réaliste. Cela m'a permis d'apprendre beaucoup de choses sur l'histoire. Je me suis aussi dit que j'avais un certain talent artistique, que je savais dessiner. À l'âge de 8 ans, je crois que je m'étais déjà décidé à faire de l'art.
Si vous n’aviez pas compris qu'Asterix se déroulait en France, c'est que la traduction devait ne pas être très bonne... ?
Et bien, à six ans, je ne savais pas que la Gaule correspondait à la France, et comme c'était en anglais, je ne sais plus vraiment ce que j'avais présumé, mais c'était il y a longtemps et j'ai mis du temps à comprendre qu'elle était française.
Est-ce que vous lisiez aussi des BD anglaises ?
Pas beaucoup, en fait. J'ai commencé à lire 2000 AD quand la série a commencé, en 78 je crois (cf: en fait en 77), mais ça, c'était beaucoup plus tard. Là, j’étais agé de 12/ 13 ans, donc. C’était le bon âge pour démarrer 2000 AD, mais ils utilisaient beaucoup le modèle américain, j'étais donc habitué à ce style artistique, mais les histoires ne m'enchantaient pas vraiment. J'étais vraiment plus intéressé par les séries Marvel ou des choses plus sérieuses qui pouvaient avoir un impact sur moi.
Comment êtes-vous passé du statut de lecteur de bandes dessinées à celui de dessinateur ?
Jusqu'à l'âge de 18 ans, j'étais complètement décidé à devenir dessinateur, je savais ce que je voulais faire! Puis je suis allé dans une école d’arts et j'ai changé quelque peu d'avis en étudiant les films et la vidéo. Finalement, quand j'ai quitté la fac d'art, je ne savais plus ce que je voulais faire. J'ai essayé deux ou trois choses, mais ce fut vraiment des échecs flagrants. À cette époque, je vivais à Londres.
Par la suite, un tas de circonstances ont fait que je suis rentré chez moi, là où je suis né et où j'ai grandi. À cette époque, j’ai réalisé que je ne savais pas faire grand c hose, alors je me suis décidé à essayer la bande dessinée. Ce n’était pas une façon spectaculaire d'être motivé pour avancer dans cette carrière ! Lorsque j'ai commencé, cela faisait cinq ans que je n'avais plus dessiné régulièrement, un petit peu de temps à autre seulement. Pourtant, dès que je m'y suis remis de manière plus sérieuse je me suis rendu compte que cela m’avait manqué. Jusqu'à l'âge de dix-huit ans, dessiner fut un véritable plaisir, j'aurais dû en faire carrière. Mais tous les adolescents ont besoin de se diversifier un peu pour se trouver et décider de ce qu'ils veulent vraiment faire. J'ai fait donc tout un parcour pour me décider et au final je suis revenu à mon amour d'origine. Là, il ne m'aura fallu que quelques semaines pour me rendre compte que c'est précisément ce que je voulais faire de ma vie.
Lorsque vous avez décidé de vous consacrer à la bande dessinée, est-ce que vous vous êtes demandé quel type de bande dessinée vous vouliez faire ?
Pour être honnête, je n'avais pas beaucoup d'option, c'était décidé. La bande dessinée américaine ou 2000 AD étaient mes seules options. Dans mon pays, c’était une voie plus facile, car je pouvais aller aux congrès, avoir des contacts assez directs avec des maisons d'éditions.
Vous avez travaillé sur Judge Dredd, pour une série de science-fiction qui s'appelle Rogue Trooper, et d'autres séries peu connues en France... Pouvez-vous nous parler de ces titres ?
(Une image de « Savage » apparaît sur le projecteur). J'ai travaillé sur la série encore plus longtemps que sur Judge Dredd. Pour la série « Savage », j'ai fait trois livres avec Patt Mills, qui est très connu sur la scène européenne de la bande dessinée. Ensuite, j'ai fait « Nikolai Dante », écrit par mon copain Robbie Morrison. Je n'étais pas l'artiste principal, mais j'ai fait beaucoup travaillé sur « Nikolai Dante », et il y a eu aussi « White Death ». C'était génial, je n'ai pas vraiment beaucoup travaillé avec ce magazine (2000 AD), mais je les remercie vraiment grandement, car ils m'ont permis une belle entrée en matière, surtout avec Judge Dreed pour lequel j'ai travaillé durant un an avant que ne se présentent d'autres travaux de bandes dessinées, une fois que j’ai commençé a être un peu connu. C'est drôle, car la mode des années 90 était de tout peindre, alors tout le monde croyait que pour faire carrière dans ce domaine, il fallait sortir les acryliques. Aussi, lorsque j'ai obtenu mon premier travail, j'ai montré des scènes peintes. Ce n’était pas forcément quelque chose où j'étais à l'aise, je n'avais pas eu une bonne formation dans le domaine et je n'étais pas techniquement au point, mais j'ai passé toute une année à peindre. Ce fut un véritable soulagement lorsque l'éditeur a dit, « on ne pourrait pas faire quelque chose en noir et blanc ? »..Je l'ai remercié, car c’était l’idéal pour moi!
White Death (La Mort blanche) a été publié en France et je crois que c'est un titre qui vous tient particulièrement à coeur ?
C'est la première fois que je m'aventurais dans ces bandes dessinées créatives, c'est assez peu connu. C'était une expérience, avec des amis nous avions fondé une société afin de faire ce type de choses. Là, il s’agissait d’une réimpression de la première copie qui avait été publiée en très peu d'exemplaires.
Le produit était orienté pour un marché français, j'avais été à Angoulême trois ou quatre fois comme fan en compagnie des mêmes personnes avec lesquelles j'ai publié cet album. J'étais donc très fortement inspiré par la BD européenne, et j'avais cultivé un intérêt pour cette industrie avec des titres comme Astérix et autres. Avant de me rendre à Angoulême, je n'imaginais pas combien c'était une grande industrie, et cela m'a inspiré pour ce livre, qui est plus orienté pour l'industrie européenne qu’américaine. On a vendu deux fois plus de livres en France en un an que tout ce qu'on a vendu sur plusieurs années aux États-Unis ou en Grande-Bretagne. Donc, l’on pourrait dire que nous avions atteint notre objectif, même si nous n’avons pas vendu des millions d’albums
De nombreux dessinateurs anglais vont chercher du travail aux États-Unis, et travailler pour le marché américain, c'est votre cas également ?
Oui. J'ai suivi la voie traditionnelle, je suis allé aux États-Unis, comme pour un grand nombre d'artistes britanniques. C'est la solution de facilité, il y a pas assez de travail chez nous et les Anglais sont connus pour détester la bande dessinée, qui est considérée comme des lectures pour les enfants. Il faut donc faire trois mille kilomètres pour trouver du travail, même s'il suffirait peut-être de traverser la Manche. Vous savez que les britanniques ne parlent pas d'autres langues que la leur - comme les américains d'ailleurs -, donc on va dire que c'est plus facile.
Puis, les éditeurs américains venaient aussi aux conventions pour chercher les talents britanniques, surtout depuis que la première équipe de 2000 AD avait connu son premier succès aux États-Unis dans le milieu des années 80. Donc, bien sûr, les éditeurs ont décidé que c’était intéressant de venir à nos séminaires et, du coup, il était plus facile de leur présenter nos pages qu'aux Européens… malheureusement d'ailleurs.
Avez-vous dû adapter votre style pour le marché américain et est-ce que l'ambiance de travail était différente de celle de la Grande-Bretagne ?
Non je n'ai pas eu à adapter mon style. La première chose que j'ai faite pour les Américains était un titre Vertigo, je ne sais plus comment il s'appelait, j'ai un trou de mémoire, mais ce n'était pas très réussi. C'était évident ; j'avais déjà travaillé sur Judge Dredd et il paraissait plus logique que mon style s'adapterait à des comics plus adultes que Vertigo. Par la suite j'ai pris une tangente étrange en allant travailler chez une petite société qui s'appelait Topps Comics. J'ai eu la chance de faire partie d’une période où il y a eu une explosion des comics. Tout le monde réussissait à cette époque, on vendait des comics partout aux États-Unis. Topps Comics était une société qui avait décidé de rentrer sur la scène de la BD et j'ai eu un contrat pour faire du Mars Attack avec Dave Gibbons, qui par la suite m'a permis de travailler sur les comics X-Files. Après ça, j’ai travaillé a plein temps pour les Américains.
Vous avez aussi travaillé pour du héros plus traditionnel comme Batman, Green Lantern ou Warlock. Est-ce qu’avec le recul c'est une période que vous avez apprécié ou est-ce que vous vous sentiez un peu à l'étroit dans ce monde de super héros américains ?
Je n'ai jamais été trop à l'aise avec tous ce est super héros. Ce n'était pas trop pour moi. Sinon, si vous regardez mes dessins, on dira que je sais grosso modo le faire, mais j'utilise aussi beaucoup de noir, ce qui n'est pas très léger comme style.
Lorsque j'ai fait dans le super héros, c'était entre X-files et Walking Dead. X-files restait une série dans laquelle le titre était plus connu que les gens qui y travaillaient. Je ne peux pas dire que j'étais pas bien payé mais, à cause de ça, quand j'ai quitté X-files je me suis rendu compte que je n'étais pas encore connu. C'était comme un retour à mon début de carrière. Donc, bien que n'ayant pas trop le profil pour dessiner du super héros, j’ai travaillé dans quatre ou cinq BDs de ce type comme petite main. Je passais d'un titre à un autre titre, on va dire que c'était une sorte de travail à la pièce. Comme je ne travaillais pas sur une série en particulier, je ne m’en sentais pas trop proche de ça et n'avais pas envie d'adapter un style particulier.
Puis, bon, à cette époque, je n'avais pas encore trouvé encore vraiment mon style pour dessiner du super héros, donc dans mon esprit les super héros n'avaient pas besoin d'être peaufinés. Il a cependant fallu que je recherche mon style et que je le peaufine. Ce fut une période assez laborieuse mais, de livre en livre, j’ai essayé de progresser. Lorsque j'ai fait ma dernière bande dessinée de super héros - c'était, je ne sais plus, un Batman ou un Judge Dredd - il m’a fallu six à sept semaines pour le finaliser alors que j’ai conçu la première partie de Walking Dead en seulement quinze jours ! Après j'ai comparé les deux et je me suis dit que l’effort n’en valait pas la peine. Je ne sais pas ce que j'ai fait durant ces semaines sur le titre de Batman. Certainement plus de détails, mais c'était plus lissé et comme l’on a sucé jusqu'à la moelle ce personnage, c'était donc moins passionnant que Walking Dead qui n'avait que quelques jours. Cela peut sembler cliché, mais je me suis senti chez moi avec Walking Dead.
Est-ce que je pourrais revenir au super héros ? Oui, si j'en ai le temps et si c'est pour m'amuser, mais comme ça cela ne m'attire pas particulièrement. Je vous le dis, travailler sur dans ce business-là ne m'intéresse pas vraiment, je préfère amplement travailler sur Walking Dead ou sur le marché français.
On peut dire que cette période vous a permis d'acquérir tout de même toute une technique d'encrage que vous avez libéré sur Walking Dead ?
Je ne sais pas si ça m'a appris vraiment des choses. C'était formateur, mais plus lisse, plus coincé. C'est, si j’ose dire, un dessin plus coincé du cul. Mis à part ça, cela m'a aidé à faire une transition sur Walking Dead. Mon trait se retrouve plus dans ce que j'ai fait sur Walking Dead que sur X-files ou ce que je faisais avant.
Abordons maintenant Walking Dead, c'est une série dont vous n'étiez pas présent dès l'origine ? Comment êtes-vous devenu le dessinateur de cette série ?
J’ai connu Robert Kirkman trois ou quatre ans avant Walking Dead. Très gentiment, il m'avait proposé de publier une bande dessinée que j'avais faite avec Joe Casey qui s'appelait « Codeflesh ». On l'avait faite publier par Image Comics, mais ils n’ont sorti que cinq albums sur les huit existants et Robert a gentiment proposé de publier les trois derniers. C’est comme cela que j’ai rencontré Robert. Je l'avais déjà croisé deux ou trois fois durant des conventions, on ce connaissait donc vaguement, et un jour j'ai reçu un mail sans trop m'y attendre, qui disait, entre autres : « Est-ce que tu veux gagner un peu d'argent ? ». Ce qu'il insinuait, c'est que Walking Dead avait déjà sorti six numéros et, voyant qu’il démarrait pas trop mal, il pouvait donc me verser immédiatement une certaine somme, ce qui était pour moi une garantie. Quand vous connaissez Image Comics, vous savez que c'est un pari risqué de travailler pour eux. Vous devez déjà créer vos propres comics, vous n’êtes pas payé à l'avance et pour un artiste cela peut-être 3 ou 4 mois de travail pour rien, car l’on n'est pas payé si les comics ne marchent pas. Donc, sans l’appui de Robert, j’aurai probablement hésité, car j'étais marié à l'époque et j'avais des enfants. Le facteur financier était donc important pour moi.
L'autre raison pour laquelle j'ai accepté, était que j'étais entre deux jobs à cette époque, ça tombait donc bien. Cela fait peut-être un peu mercenaire de dire ça, mais voilà j'avais rien d'autre à me mettre sous la dent donc j'ai pris ça.
Pourquoi avoir pris la succession de Tony Moore ? Et pourquoi Kirkman a fait appel à vous et pas un autre dessinateur ?
Je n’ai jamais demandé à Robert pourquoi il m'a choisi. C'est bizarre, parce que je ne dessine pas vraiment comme Tony Moore, j'aurais pensé que Robert aurait voulu choisir quelqu'un qui conservait ce style peut-être plus cartoon, avec plus de lignes ouvertes, ce que fait très bien Tony, mais non, il cherchait un type comme moi, qui fait plus de noir, qui à un style plus réaliste... Je crois qu'il aime bien mon travail, mais peut-être savait-il que j'étais entre deux boulots, qui sait ? Un jour je devrais lui poser cette question.
Est-ce que vous vous souvenez comment Kirkman vous avez présenté l'histoire ?
Il m'a fait un pitch comme une histoire de Zombie, comme un film ou livre d'horreur, et je n'avais jamais fait de bande dessinée d'horreur. Je me suis dit que cela allait être quelque chose de nouveau pour moi, ce qui était assez étonnant car cela faisait plus de quinze ans que j'étais dans l'industrie et bien que j'ai ce style particulier je n'avais jamais fait d’horreur. Je me suis donc laissé convaincre par ce côté là. C'était quelque chose de nouveau à faire. Je n'étais pas convaincu par cette idée de zombies - je ne suis pas très fan des zombies - mais j'apprécie le côté communautaire. J'aime bien l'horreur, j'aime bien la science-fiction et j'aime bien aussi les histoires dramatiques. Toutes ces choses me plaisent, toutes ces choses sont pertinentes pour moi... Ce qui m'a plu ici c'était de présenter ça comme un livre d'horreur puis, bon, à cette époque je ne pensais pas qu'on serait encore là, sept ans plus tard, à en parler. Je n'avais jamais pensé que ça pouvait durer aussi longtemps. Une semaine après Walking Dead on m'a proposé Warlock. Comme j'étais un peu naïf, et peut-être ignorant, je me suis dit qu'avec Warlock j'avais enfin le gros titre que je cherchais, alors j'ai commençais à travailler sur les deux en même temps. C'est un fait : je suis rapide, mais pas si rapide que ça, je pouvais pas faire deux comics encrés et dessinés par mois, ça, ce n'était pas possible. Alors, j'ai appelé Image Comics, j'ai dit que j'allais faire six numéros de Walking dead et qu'après j'allais les quitter pour continuer sur Warlock. Huit jours plus tard, Marvel m'a rappelé et ils m'ont convaincu de continuer Walking Dead, car Warlock risquait de ne pas durer. Alors, j'ai dit « d'accord je vais essayé de faire les deux aussi longtemps que je peux », car je ne voulais pas en fait laisser tomber quelque chose qui pouvait marcher. Et heureusement, car après 4 numéros de Warlock la série s’est arrêtée avant que je n’aie à choisir entre les deux, et c'était la meilleure chose qui pouvait m'arriver. Car j'aurais pu arrêté Walking Dead, continuer Warlock qui au final s'est arrêtée et je ne serais plus là aujourd'hui.
Comment vous vous positionnez par rapport à Robert Kirkman le scénariste, discutez-vous ensemble du scénario, ou considérez-vous que vous êtes juste le dessinateur de l'histoire qui vous est envoyé ?
Robert et moi avons compris que nous avions chacun nos forces, lui l'écriture et moi le dessin, donc, 90% du temps, Robert m'envoie son script, je fais le dessin puis lui renvoie. C'est juste ce qu'il y a de plus simple. Bien sûr, on se parle, on correspond par email, parfois on se Skype (module de conversation téléphonique par ordinateur) puis, deux ou trois fois par an, on se retrouve pour parler plus en profondeur. Donc, oui, nous échangeons des conversations, nous avons des choses à se dire sur le scénario - on discute des choses qui fonctionnent ou pas, mais en général on respecte la force de l'autre, et moi je n'interviens pas dans ce qui l'écrit ni lui dans mes dessins. Franchement, nous avons une relation de travail qui fonctionne très bien, assez facile, et ses scénarios sont faciles à illustrer, il n'y a pas trop de détails donc cela me laisse assez de liberté pour faire ce que j’ai à faire. Puis cette méthode aide à accélérer le rythme de publication des ouvrages.
Vous avez présenté cette série, Walking Dead, comme une série d'horreur alors que dans cette série, c'est plus des horreurs de situations que l'horreur des zombies, qu'on en vient aujourd'hui à presque oublier. Il y a des séquences parfois traumatisantes. Est-ce que vous vous fixez des limites ?
Tout d'abord, c'est Robert qui me l'avait vendu comme une série d'horreur avec des zombies, en fait je suis totalement d'accord avec vous. Et je suis d'accord que les zombies sont moins intéressants comparés aux personnages. Et lorsqu’on me demande ce que raconte Walking Dead, je ne dis pas que c'est une histoire de Zombie, je raconte que c'est une histoire de gens qui se retrouvent désespérés et dans des situations extrêmes. Bon, il se trouve que c'est l'apocalypse avec des zombies, mais ils sont l'artifice de l'histoire, ils sont là pour mener d'une situation à une autre mais c'est une histoire de personnages, uniquement de personnages. C'est comme ça que j'ai continué à dessiner cette histoire et Robert continuer à l'écrire, si cela n'avait était qu'une histoire de zombies, nous n’en serions pas au numéro 92 aux Etats-Unis*. Cela serait déjà terminé si cela n'avait été qu'une histoire de zombies, on ne peut pas poursuivre une histoire comme ça si elle ne parle que de morts-vivants.
Est-ce que vous vous fixez des limites en particulier avec le personnage de l'enfant qui gagne en importance dans Walking Dead ? Est-ce que vous même il y a des choses que vous ne voudriez pas montrer ?
Je crois qu'on a déjà frôlé l'extrême plusieurs fois. Cela dépend de l'intrigue. Il y a des choses qu'on a montré qui sont plutôt dures, mais il y a des raisons, ce n'est pas pour provoquer un rire autour de l'horreur. C'est la raison pour laquelle Tyreese est mort de manière assez horrible, que Michonne a passé tout un numéro à torturer le gouverneur, ou pour laquelle on montre une enfant se faire tirer dessus. Pour que les personnages soient réellement installés, on a besoin de montrer ce qui se passe mais, d'un autre côté, je reste convaincu que c'est l'esprit qui imagine les pires choses. L'esprit imagine toujours des choses bien pires que ce que l'on pourrait montrer. Pour moi les meilleurs films d'horreur sont ceux où l'on ne voit pas l'horreur, où l'on reste avec son imagination. Il n'y a rien de plus puissant. Rosemary's Baby est puissant, car l'on voit jamais son bébé, et plein de gens viennent nous voir avec Robert pour nous dire que l'une des séquences les plus fortes de Walking Dead c'est quand Douglas… vous l'avez lu, j'espère ? Oui, il semble que ça soit sorti en France ! Bon, bien, c'est lorsque Douglas Monroe raconte l'histoire de l'homme drogué, qu'il raconte comment ce dernier a arraché les yeux de son fils et les a mangés. On ne montre pas d'image, mais il semble que la simple narration de la scène à suscité des scènes d'horreurs encore pires que si nous les avions dévoilées. Et nous n’avons pas montré un enfant sans yeux qui pleurait, on a juste mis en avant l'expression de douglas lorsqu'il racontait l'histoire.
Il peut naître une lassitude sur une série aussi régulière, qu’elle est votre état d'esprit aujourd'hui sur la série ? Est-ce que vous vous voyez encore continuer longtemps ?
Bien notre projet est de continuer tant que les lecteurs en voudront. Robert m'a dit qu'il avait des idées, des histoires en quantité. Pour ma part, je n'ai pas d'ennui sur cette série parce que les personnages m'intéressent. S’ils m'ennuyaient un jour je reverrais peut-être la question, mais ce n'est pas le cas pour l'instant et j'ai une grande envie de continuer la série. Une des choses qu'un artiste peut ressentir lorsqu'il fait une mini-série, c'est lorsqu’il commence à peine à connaître ses personnages, il a la frustration de voir la série se terminer. Ce qui n'est pas le cas pour moi sur Walking Dead où je peux pénétrer l'intimité des personnages. Je les connais par coeur. Je pourrais même les dessiner pendant que je dors, parce qu'ils me sont familiers et que c'est vraiment un avantage pour moi. Puis j'aime bien cette idée de battre un record de numéros sortis, cela serait assez sympa de battre un record.
* une publication Delcourt de Walking Dead correspond à 6 numéros américains.
Place désormais à quelques questions / réponses avec le public...
Avez-vous vu la série télévisée ? Qu'en pensez-vous ? Est-ce que vous pensez que la deuxième saison sera plus fidèle aux comics ?
Parce que, pour vous, la première saison n'est pas très fidèle (rire) ? Si c'est vrai qu'il y a des ressemblances avec les adaptations en séries télé et au cinéma, il y a aussi beaucoup de différences et si vous regardez Watchmen vous verrez que la meilleure adaptation n'est pas forcément de filmer la bande dessinée. C’est du moins mon avis. Robert, sur ce point, était clair, il savait que la série télévisée ne pouvait pas suivre exactement le rythme des comics, il fallait donc que la série suive sa propre voix. Je pense que la série suivra le schéma global des comics et je pense que l'on retrouvera les principaux personnages, mais la prochaine saison va faire treize épisodes, c'est donc virtuellement treize heures de télévision. Si l’on s'en tient au récit tel qu'il est dans les comics, il ne faudra que trois ou quatre saisons pour qu'elle nous rattrape. Hors, nous devons garder de l'avance sur la série télé, il faut donc que celle-ci raconte autrement l'histoire des personnages et introduise aussi celle d'autres personnages. Mais je pense ne rien vous dévoiler en disant qu'ils termineront certainement dans la prison, enfin je suppose…
Dans le tome 12 de Walking Dead, Rick s'approche de plus en plus de la folie, est-ce une option que vous avez envisagé de le faire basculer « en mauvais gars » ?
Qui sait, c'est vrai qu'il évolue considérablement et qu'il y aura encore plus de changement dans les numéros suivants. Je ne sais pas si c'est pour le meilleur ou pour le pire, mais il y aura d'autres changements.
La cadence de parution des comics ne vous permet pas trop de prendre de recul, est-ce que parfois vous avez eu quelques regrets avec la story-line ?
C'est vrai, vous avez raison, en général, on n’a pas beaucoup de temps pour corriger d'éventuelles erreurs et quand j'ai fini une page je n’y reviens pas, car si je commence à revenir sur les pages je ne pourrais jamais finir dans les délais, tout simplement. De toute façon, la perfection est une chose que l'on ne peut pas atteindre et si vous voulez faire une page parfaite, bien il vaut mieux arrêter de suite. Donc oui, il y a plein de cases ou de planches que je ne supporte pas, qui m'énervent, mais parfois, comme sur certaines couvertures, on me dit que ça doit être fait pour avant-hier, alors je fais ça à toute vitesse, et c'est vrai que du coup il y a pas mal de couvertures que j'aime pas. Mais, si je commençait à me prendre la tête en me disant que tout doit être parfait, ça ralentirait mon rythme de travail… puis cela reste humain de commettre des erreurs. Il y a des artistes que j'adore qui ont parfois signé des pages nulles, cela ne m'empêche pas pour autant des les admirer. Sur les projets autres que Walking Dead, que j'appelle mes temps de loisir, oui j'aime prendre plus de temps, parce qu'il n'y en a pas beaucoup et parce que c'est une quarantaine de pages artistiques, que je veux que ça soit beau et que ça se tienne. Je veux que ces pages correspondent à ce que je veux faire, car cela ne vaudrait pas le coup pour moi de prendre sur mon temps libre pour faire un truc qui est nul. Mais sur une série qui fait des centaines et des centaines de pages, j'aime à penser que ce qu'apprécient les lecteurs c'est tout ce qui ressort du corpus de l'oeuvre et non pas de chercher le moindre petit détail en chaque case.
Est-ce que l'arrivée de la série télé ne rajoute pas une pression supplémentaire sur vos épaules, à vous et au scénariste ?
Je ne peux pas parler pour Robert, mais je pense qu'il y a plus de pression sur ses épaules parce qu'il est producteur exécutif, et qu’à partir du moment que vous êtes impliqué de manière créative avec un autre média, c'est différent. S'il n'était pas du tout impliqué et si les séries télé étaient moyennes, voire très moyennes, il pourrait très bien dire, « attendez, nous on fait de bonnes BD! ». Sauf que là Robert a pris le risque de se casser la figure, et on ne peut plus dire, « ça n'a rien à voir avec nous ». Cela à avoir avec nous, enfin surtout Robert, car pas grand chose avec moi.
Pour mon cas, je vis dans une petite ville, grosso modo de la taille d'Angoulême, c'est à 40 minutes au nord de Birmingham, j'ai un petit atelier dans un petit coin très tranquille du Royaume-Uni, à des milliers de kilomètres d'Hollywood, et donc tout cela n'a aucun impact sur ma vie. Bon j'y suis allé, j'ai vu la folie que c'était là-bas, mais quand je suis dans mon atelier, je suis simplement sur les comics, et Hollywood, encore une fois, n’a aucune importance, car c'est l'album qui est important et il est hors de question qu'un studio me demande de changer quelque chose, et quoiqu'il arrive les comics resteront les comics.
Une des grosses différences entre la série et les comics se situe dans les explications de ce qui a pu se produire pour en arriver à cette apocalypse qui se déroule dans Walking Dead. Dans les comics vous ne donnez aucune explication ou indice, ce qui est bien à mon sens, alors que dans la série il semble que l'option soit de raconter. Est-ce que vous allez faire de même dans les comics ? Est-ce que vous jugez cela comme une bonne idée ?
On va continuer à ne pas expliquer le virus. Si on voulait le faire, on l'aurait fait à vrai dire depuis longtemps. En revanche je n'ai pas trop envie de parler de la série qui essaye d'expliquer... sauf qu'ils n'ont pas vraiment expliqué le pourquoi du virus, ils ont expliqué ce qui s’est passé par rapport à un zombie, avec des produits chimiques, etc. Encore une fois cela démontre les différences qu'il peut y avoir entre une série télé et les albums. Après, si la télé se dit qu'il faut expliquer et le montrer, bien qu’ils le fassent. Ce n'est pas trop moi qui vais leur dire comment faire de la télé. Maintenant, nous allons continuer à faire ce que l'on fait et je pense qu'il faut maintenir ce statu quo et garder un peu de mystère. Ceci étant, je ne pense pas qu'ils vont faire un épisode dans lequel ils vont tout expliquer de A à Z. On ne sait jamais, mais je ne pense pas…
Votre talent de dessinateur, à votre avis, c'est inné ou bien y a-t-il beaucoup de travail ?
Je pense qu'il y a une bonne part de talent inné, je pense que pour être dessinateur de bande dessinée il faut une bonne part de talent qui soit inné, là en vous. Je n'essaie pas de me faire mousser ici, on a tous des talents naturels quelque part, mais d'un autre côté c'est vrai que je dessine tous les jours à la maison, en général sur Walking Dead. Donc, il peut y avoir un don, un talent inné, mais il faut aussi le développer. Ce qui est marrant, c'est que l'on peut voir comment mon travail se développe sur Walking Dead. Il y a des artistes qui travaillent à sens unique, roman graphique, mini-série... et qui ensuite arrêtent pour travailler dans le plus grand secret sur un autre projet. Alors, peut-être que vous constatez le progrès, mais vous ne pouvez pas voir les phases intermédiaires entre ces deux projets artistiques, alors que moi avec Walking Dead vous me voyez apprendre page par page à développer mon style. C'est donc très intéressant comme processus. Puis j'apprends aussi beaucoup de mes erreurs, il m'arrive de retourner au premier numéro et de regarder les évolutions avec le tout dernier. Il m'arrive de regarder vingt numéros derrière et de me dire que j'aurais pu faire mieux, mais c'est un processus, car à l'époque je trouvais ça bon. Donc, j'ai progressé et je suis capable de voir les erreurs que je faisais auparavant. Et, à mon avis, je dessine mieux maintenant que ne serait-ce il y a un an.
Pour l'anatomie, vous utilisez des planches de photos ou des modèles, ou c'est tout dans la tête ?
La seule chose que j'utilise comme référence se trouve dans les décors, le reste est inscrit dans ma tête. Bien entendu, comme tous les artistes, s'il y a une position un peu compliquée, je vais peut-être regarder un corps, ou demander à ma femme de prendre la position, mais je n'aime pas utiliser des modèles je préfère me servir de cette connaissance intérieure sur comment marche un visage, comment marche une personne, ça corresponde plus à la vitesse du livre. Car si vous travaillez avec des modèles cela ralentit le processus… et on ne sortirait pas nos douze numéros pas an.
Par contre, la couverture du tome 12 paru en France est un bel exemple, c'est évident que j'ai travaillé avec une photo pour ce bâtiment de Washington. Pour ce niveau de réalisme, j'ai trouvé une photo qui me plaisait bien, je l'ai imprimé directement sur la planche de travail et ensuite j'ai encré dessus. Mais quand je fais ça, j'enlève les tons de gris et je redessine souvent à partir de zéro. Pour finir avec quelque chose de précis par rapport à l'orignal, mais aussi pour avoir une image que j'avais parfaitement dans ma tête.
Je voudrais savoir ce que vous ressentez lorsque vous dessinez vos personnages dans une situation horrible ? Lorsqu'ils se font couper un bras ou une oreille, ou bien pire encore, je parle bien entendu des personnages humains et non des zombies.
Le pire, c'est lorsque vous lisez le scénario. Car comme je l'ai déjà dit, je préfère imaginer l'horreur dans ma tête, hors champ, cela étant dit la seule fois où cela a vraiment été dur pour moi c'est avec le numéro tournant autour de la torture, car je ne me voyais pas dessiner toutes ces pages autour de ça. J'en ai parlé avec Robert et il m'a expliqué les raisons pour lesquels on devait tout montrer, j'ai mis un peu de temps à le faire et me motiver, mais quand j'ai commencé à dessiner cela ne m’a plus affecté, car ce n'était plus qu'un crayon et du papier. Lorsque je dessine, je vois plus la différence entre dessiner une case normale et dessiner la scène de torture, c'est mon encre, mon stylo, je choisi quelques traits et je prends des décisions artistiques. Par contre, la première fois que j'avais lu le script j'avais trouvé la scène assez difficile.
Bonjour Charlie, je suis américain et je trouve les dessins Marvel souvent trop lisses, à l'inverse de la bande dessinée Européenne où l'on peut traiter de tous les sujets et dessiner comme on le veut, quelque chose de simple ou de fortement détaillé. J'en viens à ma question. Est-ce que ta vitesse de travail est un choix, ou est-ce que tu ne veux pas perdre ta place ?
Ils ne peuvent pas me licencier (rire). Peut-être suis-je trop modeste quand je parle de moi, mais je pense que ma vitesse est naturelle. Je ne me force pas, bien sûr cette notion de délais me pousse, mais il y a certaine chose que j'ai mise en place qui m'aide à aller plus vite, comme dessiner plus petit, changer la taille du papier. Avant, je dessinais en A3 taille standard, jusqu'au numéro 56, et ensuite je fus en retard. J’ai alors demandé à Robert de pouvoir dessiner plus petit. Il ne savait pas si cela marcherait, il avait peur qu'il y ait moins de détails. J'ai fait donc quelques pages que je lui ai montrées, et il a bien aimé. Depuis je dessine donc avec des pages plus petites. Des astuces de ce type sont ainsi faites pour accélérer le rythme. Dessiner plus petit est intéressant, surtout que j'utilise des stylos et qu'avec l'encre il y a beaucoup de lignes qui sont perdues dans les pages de réduction, alors que si vous dessinez à la même taille, vous ne perdez pas à la réduction, vous ne perdez pas de traits et vous avez tout ce que vous avez dessiné sur la page, c'est clair comme de l'eau de roche. Puis il y a des traits plus épais que je n’arrivais pas trop bien à rendre avant.
Sinon il m'arrive de faire des choses pour l'Europe, des choses plus précises. Mais, souvent, les gens me disent que je suis trop rapide. Je ne sais pas, c'est peut-être parce que je m'ennuie vite, mais je suis comme ça, c'est comme ça que j'essaie de dessiner ou peindre. Quand je peins parfois, je me donne une semaine pour le faire en me disant que je veux qu'elle soit la plus jolie possible… et je la finis à peine en un jour, enfin je ne sais pas si c'est fini, mais dans ma tête ça l'est.
Est-ce que c'est vous qui appliquez le grisé sur le dessin ?
Non la trame est faite par Cliff Rathburn. La seule raison pour laquelle je ne fais pas le grisé est que je n'ai pas le temps. On pourrait dire que je pourrais passer une semaine pour faire ça, mais du coup je n'aurais pas de temps pour faire autre chose. Je préfère donc laisser ce travail à quelqu'un d'autre et me consacrer au dessin physique.
… et si vous vous demandez si Charlie Adlard a d'autres projets que Walking Dead, celui-ci précise, avant un grand sourire qu'il en a, mais qu'il ne peut pas encore en parler et qu'ils sont tous européens et non américains.
Publié le dimanche 6 février 2011 à 18h40
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