PIFFF 2014 : Jour 4
Alléluia ! R100 et Shrew's Nest

L'un des films attendus cette année au PIFFF était le nouveau film de Fabrice Du Welz. Après le fascinant voyage mystique Vinyan en Thaïlande et l'efficace french polar Colt 45, deux films à demi-réussis mais intéressants, le belge Fabrice Du Welz revient dans ses contrées natales 10 ans après Calvaire pour un nouveau film-choc. Avec Alleluia, il livre sa version à lui de la tuerie du couple meurtrier formé par Raymond Fernandez et Martha Beck, célèbre fait divers qui avait défrayé la chronique dans l’Amérique des années 40 et qui a déjà inspiré plusieurs films, dont Les Tueurs de la lune de miel de Leonard Kastle (avec Tony Lo Bianco et Shirley Stoler dans le rôle du couple), Cœurs perdus de Todd Robinson (Jared Leto-Salma Hayek), Lonely Hearts d'Andrew Lane (Eric Roberts-Beverly d’Angelo) ou Carmin profond d'Arturo Ripstein (la version mexicaine de l’histoire).

Dans un quotidien à priori banal, le cinéaste orchestre la rencontre, elle aussi à priori banale (une annonce sur internet, un rencard...), entre un homme et une femme qui se révèlent tous les deux complètement paumés et qui vont entamer un voyage ensanglanté par leur passion dévorante et destructrice qui leur ôte toute notion du Bien et du Mal. Lui séduit pour l’argent, elle tue par jalousie, ce qu’il pardonne par amour, et ainsi de suite. Le récit est découpé en plusieurs chapitres, d’abord la rencontre puis les différentes victimes (Stéphane Bissot, Edith Le Merdy, Helena Noguerra…), et c’est inlassablement le même schéma qui se répète, jusqu’à l’explosion finale. C’est la faiblesse du film : sa construction est très rébarbative puisqu’il se passe toujours la même chose (il séduit pour l’argent, elle tue par jalousie, etc.), seuls les victimes et le décor changent. La fin est par ailleurs très frustrante, le film ne menant finalement nulle part, sans réel dénouement.

Fabrice Du Welz reste très doué dans l’illustration à la fois glauque, fantaisiste et onirique de monstres terriblement humains (ou d’humains terriblement monstrueux), instaurant une atmosphère champêtre tendue, froide et brumeuse qui rappelle beaucoup celle de Calvaire, avec également quelques passages complètement décalés (Lola Duenas qui entame un chant avant de découper un cadavre) et d’autres très stylisés (la danse mystique). Il a aussi le mérite de ne pas sombrer dans la violence gratuite, les séquences de meurtres étant filmées avec une réelle justesse dans une superbe intensité dramatique. L'image en 35mm accentue autant la proximité des personnages (dont on entre vraiment dans l'intimité) que l'ambiance austère et désabusée.

Alleluia joue aussi beaucoup sur un humour noir très sardonique, se plaçant presque comme une comédie de mœurs perturbée et perturbante. Le film met mal à l’aise et amuse en même temps, notamment aussi grâce au jeu excessif mais justifié et courageux de Laurent Lucas (toujours parfaitement ambigu et inquiétant) et Lola Duenas (Goya de la meilleure actrice pour Mar Adentro et Yo tambien, récompensée aussi à Cannes pour Volver), qui remplacent le couple Yolande Moreau / Bouli Lanners initialement prévu. Comme les deux précédents films du cinéaste, Alleluia n'est pas totalement abouti mais charme pour son atmosphère étrange et marque par ses fulgurances de folie. 

A noter qu'un Q&A à eu lieu à la fin de la séance, avec l'actrice Edith Le Merdy (qui incarne l'une des victimes) et le coscénariste Romain Protat. Si l'échange fut intéressant, on peut déplorer l'absence du réalisateur à cette projection, et plus généralement le peu d'invités dans cette quatrième édition du PIFFF (quasiment aucun réalisateur ne vient présenter son film). Mais les bons films sont là et c'est l'essentiel.

Avis de Jonathan C.

 

Une année sans la présence d'un film d'Álex De La Iglesia dans un festival apparaît toujours comme quelques chose d'étrange tant l'homme est désormais intégré dans une sorte de coutume festivalière. Rassurez-vous donc, bien que non présent pour cette année 2014, son nom fait tout de même acte de présence grâce à Shrew's Nest (Musaraña) dans lequel il occupe le poste de producteur. Sa compagne Carolina Bang n'est jamais loin puisqu'il semble qu'elle connaissait les deux réalisateurs pour avoir travaillé avec eux sur le court-métrage 036 en 2011 et que ça soit elle-même qui ait proposé à De La Iglesia de se joindre à elle pour aider à donner vie à ce projet (elle a au passage un rôle court mais marquant dans le film). On notera aussi les noms français de Vérane Frédiani et Frank Ribière en co-producteurs et qui semblent continuer à soutenir le réalisateur/producteur espagnol. En tout cas, tous ont ici laissé la chance à Juanfer Andrés et Esteban Roel de réaliser leur premier long-métrage (ils avaient fait 2 courts avant cela). Maintenant il est peut-être temps de s’intéresser plus en détail à ce que nous raconte le film.

Shrew's Nest se déroule dans l'Espagne d'après-guerre et s’intéresse à deux sœurs, endeuillées depuis de longues années par la mort de leurs parents et qui vivent dans appartement situé au centre de Madrid. Un lieu d'habitation qu'elles n'ont jamais quitté. Il faut dire que ce dernier est plutôt spacieux et possède une certaine personnalité. Mais surtout, Montse, la plus âgée, est agoraphobe et se refuse à sortir ne serait-ce qu'un doigt de pied. Pourtant, un jour Montse décide de porter secours et d'ouvrir la porte à son voisin du dessus qui venait de faire une grosse chute dans les escaliers. Elle recueille ainsi l'homme qui se trouve avoir une jambe cassé. Sentant que sa sœur, qui vient d'avoir 18 ans, gagne en indépendance - alors qu'elle fut pour elle durant toutes ces années une mère protectrice -, très vite Montse va se plonger dans un obsession protectrice autour du nouveau arrivant.

A la vison de Shrew's Nest, difficile de ne pas comparer le film à une multitude de références. On pense à Répulsion de Roman Polanski ou plus encore, aux Proies de Don Siegel et Misery de Rob Reiner. Il faut dire qu'il est aujourd'hui difficile d'aborder une histoire de façon vierge. Le cinéma a 100 ans et forcément les scénaristes se trouvent imprégnés consciemment ou inconsciemment  des films indéniablement marquants. Pour le reste, tout le monde ne s’intéresse pas forcément à l'histoire du cinéma et pour ceux dont le sujet apparaît nouveau, Shrew's Nest fera office de véritable bombe, tant globalement l'affaire écrite par Juanfer Andrés et Sofía Cuenca d'après une idée originale de Emma Tusell, demeure rondement menée. Palpitant du début à la fin, le film s'installe aussi calmement que sûrement, créant une véritable tension. Par la suite, une fois les personnages bien installés, le spectateur va être amené à éprouver une compassion pour Montse qui demeure pourtant une folle à la limite du pathétique. Plus l'intrigue avance, plus la folie grandit, jusqu'à se plonger dans un troisième acte plus burlesque, aux images parfois fortement marquantes.

Côté ambiance, on pense parfois aussi à Malveillance de Jaume Balaguero, la présence de Luis Tosar n'y étant peut-être pas pour rien. La mise en scène est minutieuse et on se dit que décidément les espagnols s'y connaissent en matière de cuisine cinématographique lorsqu'il s'agit de chiader proprement des images et de créer un lien entre elles et les spectateurs. Mais c'est surtout et avant tout la prestation de Macarena Gómez (Sexykiller, À louer) qui arrive à nous clouer sur place. Limite encore plus timbrée que Kathy Bates et son rôle d'Annie Wilkes (mémorable prestation), Macarena Gómez sait être aussi angoissante que touchante. Au final, même si elle commet des actes plus affreux les uns que les autres, impossible de ne pas avoir de la compassion et presque de la compréhension pour son personnage. C'est limite malsain mais c'est ce qui permet aussi de contrer cette forte impression de déjà vu. Certes, cela ne nous fera pas oublier des films aussi remarquables que les Proies, mais ça contribue à notre adhésion pleine et entière à ce film.

On terminera en évoquant la très belle photographie du film, tout en étant à peine surpris d'y voir associé le nom de Joan Valent, collaborateur d'Álex De La Iglesia sur Les Sorcières de Zugarramurdi et Un Jour de chance.

Shrew's Nest est donc un très bon film (mais il faut dire qu'on y allait assez confiant au vu des divers noms associés) et on est heureux d'avoir pu entendre avec le public les deux réalisateurs s'exprimer après la séance sur leur film. Des réalisateurs à surveiller de très prêt car indéniablement prometteurs.
Avis de Richard B.

Shrew's nest


Il va être bien plus dur de s'exprimer sur le dernier film de la soirée, et pardonnez-moi si je développe bien moins mes écrits sur R100. Il faut dire que le film de Hitoshi Matsumoto joue sur les références du système japonais de classification des films – interdits aux moins de 100 ans ! Ici, sous peine de ne pas comprendre le film. Et autant dire que l’on n’est pas loin de la vérité !

Un homme ordinaire, père de famille, va rejoindre un club mystérieux de sadomasochisme où l'adhésion ne peut durer qu'un an et où une règle précise, qu'aucune résiliation ne sera admise, quelque soit le motif. Il agit sans savoir où, quand et comment il vivra et profitera d'humiliations amenées par des femmes habillées tout de cuir. Éprouvant un incommensurable plaisir à être l'objet de domination de ces femmes, l'homme ne saura plus distinguer sa propre vie de ses fantasmes. Fiction ou réalité, l'homme se perd dans un monde qui semble n'avoir aucune limite.

Hitoshi Matsumoto s'est révélé du public européen en 2007 via son film de monstre géant : Big Man Japan. Depuis le public a pu découvrir le très aimé et étrange Symbol (considéré par certains comme son chef d’œuvre) et le plus accessible Saya Zamourai. Que donc dire de ce nouveau métrage ? Tout d'abord que derrière l’interdiction, sous forme de blague, il ne présente pourtant aucune séquence érotique, ni de passage sanglant. Le spectateur y découvrira juste différentes formes d’humiliations, comme se faire battre, se faire écraser à la main sa nourriture pour la rendre moins attrayante - et tout de même la manger - ou encore se faire cracher de multiples fois à la figure. L'ensemble virant ensuite en une forme de vengeance, de grand n'importe quoi, sous l’œil témoin d'un groupe de personnes commentant les dérives.

En fait impossible de dire si cet OVNI, et la folie du métrage, sont appréciables. Celui-ci est certes lent, parfois ennuyeux, mais si décalé et étrange que l'on est par moment fasciné. R100 est un métrage japonais qui ne laisse pas de marbre, une symphonie qui semble remplir de joie son réalisateur qui y a banni toutes les conventions de la narration, une mise en abîme qui semble aussi profonde que, du coup, pas toujours compréhensible. Qui sait, peut-être un film à revoir pour nos 100 ans afin d'y appréhender tous les éléments.
Avis de Richard B.
 

R100

Auteur : Jonathan C.
Publié le samedi 22 novembre 2014 à 01h26

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