PIFFF 2014 : Jour 6
Predestination
Entre le nouveau film des frères Spierig et le nouveau film de Kevin Smith ce dimanche a eu lieu la cérémonie de cloture du festival, avec le palmarès attendu. Verdict de la journée.
Avec le moyen Daybreakers, film de vampires futuriste au pitch excitant mais pas assez exploité mettant en vedette Ethan Hawke, les frères Spierig n’avaient pas vraiment transformé l’essai de leur premier long-métrage, Undead, un film de zombies décalé, fauché et brouillon mais fun, généreux et inventif. Mais avec Predestination, les deux germano-australiens polyvalents (ils sont à la réalisation, à la production, à l’écriture, au montage, à la musique, etc.) livrent un coup de maitre, un film de science-fiction adulte et surprenant qui explore autant les rouages et conséquences du voyage-spatiotemporel que les troubles identitaires, dans ce qui, sur le papier, pourrait être un mélange entre L'Effet Papillon et Timecop. Il s’agit de l’adaptation d’un roman de Robert A. Heinlein, l’auteur du célèbre roman SF adapté par Paul Verhoeven avec Starship Troopers.
Après une introduction volontairement incompréhensible (tout s’éclaire 90 minutes après), le récit prend une tournure différente que ce qu’annonçait son postulat de base (un agent spatiotemporel traque un psychopathe poseur de bombes à travers les époques afin de sauver des vies). En effet, toute la première partie, via une conversation à priori anodine entre Ethan Hawke en barman et une mystérieuse personne qui écrit des articles de fausses confidences dans un journal sous le pseudonyme de « Mère célibataire », se concentre sur l’histoire improbable et touchante de cet étrange personnage totalement inédit dans le cinéma de science-fiction et qui pourrait sortir d’un film de Pedro Almodovar ou de Xavier Dolan. Au fil de flashbacks à travers les années, c’est le récit poignant et étonnant (cf. la mascarade de l’enrôlement des femmes pour astronautes) d’une transformation physique (c’est même tout le propos du film), et le personnage principal de cette intriguante première partie n’est ainsi pas Ethan Hawke mais ce « Mère célibataire » dont on découvre le background.
Predestination vire ensuite au pur thriller SF dans lequel Ethan Hawke, qui devient alors le personnage principal et qui semble savoir ce qu'il fait sans que le spectateur ne le sache, traverse les époques dans une intrigue tordue mais captivante car constamment en mouvement, accumulant les rebondissements sans sombrer dans l’invraisemblance. La traque du poseur de bombes n’est finalement qu’un des mécanismes de cette quête identitaire spatiotemporelle particulièrement bien agencée, parsemée de quelques rush d'adrénaline et animée par seulement trois personnages (et encore…). Les frangins réalisateurs ont fait des progrès considérables dans la narration et la mise en scène, ici sans failles, soutenues par l'excellent score composé par Peter Spierig. Le dénouement parvient à épater (et même à émouvoir) le spectateur par son audace et son intensité, sans pour autant nuire à la crédibilité de l’histoire (ce qui est souvent le risque des films fantastiques à twist). Mais il est difficile de parler d'un tel film sans déflorer l'intrigue, et il vaut mieux en savoir le moins possible avant de s'y lancer.
L’un des points forts de Predestination reste ce personnage fascinant interprété avec force et justesse par l’impressionnante et pourtant sortie de nulle part Sarah Snook (héroïne du thriller horrifique Jessabelle, aperçue aussi dans Sleeping Beauty), crédible aussi bien en « Jane » qu’en « Mère célibataire » alors qu’elle s’exposait à la caricature avec un rôle aussi casse-gueule. Son physique androgyne particulier (mais non moins sensuel) convient parfaitement au personnage. Moins crispant que d’habitude et décidément très attiré par le cinéma fantastique, Ethan Hawke trouve l’un de ses meilleurs rôles. Devenu rare, Noah Taylor campe lui aussi un personnage énigmatique.
Michael et Peter Spierig parviennent ainsi à rendre plausible un sujet ambitieux (pas loin du film d’anticipation, comme Daybreakers) avec un modeste budget et sans trop en faire visuellement (les passages d'une époque à l'autre sont aussi simples que vraisemblables, tout comme l'appareil servant à voyager dans le temps ou les reconstitutions des époques). Le résultat, envoutante boucle spatiotemporelle triturant le destin et les identités, est aussi haletant qu’émotionnellement fort et va au-delà de son concept.
Avis de Jonathan C.
Passons ensuite au palmarès de cette quatrième édition du PIFFF. Si l'on est très heureux de voir Puzzle rafler le Prix du Public et le Prix du Jury composé de Céline Tran (réalisatrice,comédienne et scénariste), Antoine Blossier (réalisateur et scénariste), Kook Ewo (créateur de génériques de films), Rob (compositeur) et Bastien Vivès (auteur et dessinateur), si l'on est content que Spring ait remporté de manière méritée le Prix du Public du PIFFF, nous regrettons de voir le Prix Spécial Ciné+Frisson aller à Alleluia. Pourquoi ? Simplement parce que le film réalisé par Fabrice Du Welz avait déjà sa distribution assurée puisque Canal + (et au passage Ciné +) était déjà associé à la production. Du coup, forcément, on crie un peu à la tricherie et nous aurions aimé plutôt voir la chaine de télévision se rallier, par exemple, au choix du public ou à un film plus enclin à rencontrer des problèmes pour être découvert par le public français, un film ayant véritablement besoin d'une aide pour sa distribution.
Voici donc le palmarès dans son intégralité :
OEIL D'OR - LES PRIX DU PUBLIC
Film : *SPRING*, réalisé par Justin Benson et Aaron Moorhead (Etats-Unis / Italie, 2014)
(Le film n'a pas encore de distributeur en France.)
Court-métrage français : *PUZZLE*, réalisé par Rémy Rondeau (France, 2014)
Court-métrage international : *THE BOY WITH A CAMERA FOR A FACE* réalisé par Spencer Brown (Grande-Bretagne, 2013)
LE PRIX DU JURY DU MEILLEUR COURT-MÉTRAGE **FRANÇAIS
*PUZZLE* eéalisé par Rémy Rondeau (France, 2014)
avec une Mention spéciale du jury courts-métrages à *SHADOW* de Lorenzo Recio (France, 2014)
LES PRIX DU JURY CINÉ+ FRISSON
Le jury Ciné+ Frisson, composé de *Myriam Hacène (directrice de la chaîne) et Christophe Commères (directeur adjoint) a décerné les PRIX SPÉCIAL CINÉ+ FRISSON au film Alleluia de Fabrice Du Welz (France / Belgique, 2014) et court-métrage à *SHADOW* de Lorenzo Recio (France, 2014).
Et c'est le film Tusk de Kevin Smith qui a eu pour mission de clôturer la 4éme édition du Paris International Fantastic Film Festival.
Autant dire que, parfois, il est bon qu'un réalisateur connaisse un bide pour se réinventer. Et si nous adorons Kevin Smith, Top Cops fut un cuisant échec critique et public mérité qui fut, semble-t-il, nécessaire au réalisateur vu la réussite de Red State et, aujourd'hui, de Tusk. Même si, d'une certaine façon, Tusk aurait pu se faire avant et servir de transition parfaite entre le Smith qui a fait l’excellent Clerks et celui qui a signé par la suite Red State. Voici donc un film qui oscille entre premier degré ravageur et humour déjanté.
Wallace Bryton, un célèbre podcaster, se rend au canada afin d'interviewer un jeune homme peu ordinaire. À sa grande surprise, c'est à l'enterrement de ce dernier auquel il assiste. Fou de rage d'avoir dépensé de l'argent pour rien, il trouve un nouvel espoir de reportage via l'annonce d'un vieil homme ayant besoin de compagnie et cherchant un colocataire pour lui conter ses multiples aventures qu'il promet trépidantes. Peu de temps après son arrivée, Wallace sera drogué puis a son réveil, unijambiste...
En fait, Tusk commence comme un film d'horreur assez traditionnel et peu original. Un jeune garçon en vogue (grâce à son podcaste à forte audience) attrape la grosse tête et va se trouver l'objet de torture d'un homme à l'apparence d'un vieux sage qui cache en lui un profond psychopathe. Bref, tout est là pour prendre des allures de « torture-porn » basique aux clichés prononcés, d'autant plus que le côté malade-mental-qui-veut-transformer-l'anatomie-humaine n'est pas nouvelle (on pense forcément à Human centipede - first sequence). C'est en fait dans sa seconde partie avec l'arrivée entre autres du personnage de Guy LaPointe (crédité au générique comme Guy LaPointe lui-même alors qu'il s'agit d'un Johnny Depp méconnaissable) que le film casse sa narration purement horrifique pour se transformer en métrage à l'humour noir ravageur. Ainsi, il est impossible de prendre le film au sérieux. Il faut dire que le réalisateur s'inspire d'une annonce réellement lue lors de l'épisode The Walrus & The Carpenter de la série de podcast SModcast, qu'il a créé avec son ami Scott Mosier (on peut en écouter une partie en fin de générique). D'un autre côté, il est probable que les adeptes de films d'horreur crus décrochent en ce milieu et n'apprécient pas forcément cette rupture de ton. Mais Smith est intelligent et a bien conscience qu'on ne peut difficilement pas rire de l'histoire d'un bonhomme qu'on voudrait transformer en morse. Donc, sans hésiter, le réalisateur de Clerks nous plonge dans un film qui ne néglige pas l'aspect mordant et cruel tout en jouant avec l'humour qui le caractérise. D'ailleurs, on croise dans le film quelques passages hilarants avec deux jeunes vendeuses de supermarchés qui ne seraient pas sans rappeler les personnages de Dante Hicks et Randal Graves en pendant féminin (au passage interprété par la fille de Smith et la fille de Deep).
Ce n'est pas la première fois que Justin Long travaille avec Kevin Smith puisque ce dernier avait déjà fait un petit passage dans Zack et Miri font un porno et avait donné la réplique à son réalisateur dans Die Hard 4 : Retour en enfer. En outre, l'acteur, bien que souvent présent dans des comédies, avait déjà participé à quelques films horrifiques comme Jeepers Creepers, le chant du diable et Jusqu'en enfer. Un registre qu'il connaît donc et qu'il maîtrise plutôt bien. Mais c'est surtout la prestation de Michael Parks que nous retiendrons tant l'acteur que nous avons connu dans un grand nombre de films dont certains réalisés par Quentin Tarantino semble s'amuser. Pour le reste, Génesis Rodríguez (qui joue la petite amie de Wallace) ne manque pas de charme et on s'amuse aussi de la présence de Haley Joel Osment qui a bien grandi depuis le Sixième Sens (même si cette même année nous l'avions revu en festival dans I'll Follow You Down).
Sinon, malgré son caractère de film en marge des gros studios d'Hollywood, Tusk ne démérite pas en terme d'image et la photographie de James Laxton, sans être exceptionnelle, sait se montrer très professionnelle et à la hauteur de n'importe quel film de studios. Nous avons donc une mise en image propre servie par des plans qui caractérisent parfaitement la mise en scène et le style de Kevin Smith (ses fans reconnaîtront sa façon de diriger et de placer ses plans).
En gros, Tusk est un film en tout point parfait pour clôturer un festival, et s'il n'est pas à proprement parlé révolutionnaire et ne réinvente pas le genre il n'en demeure pas moins doté d'une forte personnalité, d'une énergie communicative et d'un humour noir qui pour le coup ne conviendra pas à tous mais de notre côté nous a charmé.
Avis de Richard B.
Publié le lundi 24 novembre 2014 à 01h46
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