Critique Le Cabinet du docteur Caligari [1922]
Avis critique rédigé par Bastien L. le dimanche 28 février 2021 à 09h00
La naissance du film d'épouvante
Généralement considéré comme le premier grand film d'horreur de l'histoire du cinéma, Le Cabinet du docteur Caligari est une œuvre fascinante à plusieurs titres comme bien ancrée dans les courants artistiques de son époque mais aussi fondatrice pour tout un genre.
Classique datant du cinéma muet et venu d'Allemagne, Le Cabinet du docteur Caligari est un projet porté par deux scénaristes alors novices Hans Janowitz et Carl Mayer qui écrivirent, entre 1918 et 1919, un scénario fortement imprimé de leur pacifisme né durant la Première Guerre mondiale. Les deux hommes proposèrent leur scénario à l’influent producteur Erich Pommer qui est immédiatement intéressé. Le film entre rapidement en production via le studio de Pommer, Decla-Bioscop, avec comme premier réalisateur pressenti Fritz Lang qui, trop occupé sur Les Araignées, doit décliner au profit de Robert Wiene qui a déjà flirté avec le fantastique en 1917 et son film Furcht. La production accueille de brillants talents de l'époque comme l'efficace producteur Rudolf Meinert, le directeur artistique Hermann Warm ou des acteurs célèbres tels que Werner Krauss, Conrad Veidt ou Lil Dagover. Alors produite sans grandes espérances par Pommer, le film devint un véritable phénomène et est considéré comme un chef-d'oeuvre expressionniste avec de véritables batailles d'experts pour savoir qui sont les créateurs les plus décisifs de ce film mythique. Pour l'anecdote, Hans Janowitz et Carl Mayer n'ont pas été les meilleurs défenseurs de l'adaptation de leur scénario notamment en ce qui concerne la direction artistique ou la fin si particulière...
Le film est un long flash-back raconté par Francis (Friedrich Feher) contant une histoire étant arrivée à lui et sa fiancée Jane (Lil Dagover). Une histoire située à Holstenwall durant les années 1830 alors que Francis n'est qu'un prétendant, au même titre que son meilleur ami, pour Jane. Les trois jeunes gens insouciant voient arriver dans leur ville une fête foraine. C'est pendant cet événement qu'arrive l'étrange docteur Caligari (Werner Krauss) demandant l'autorisation à la mairie de produire un spectacle d'hypnotisme et de somnambulisme. C'est ainsi que le docteur va mettre en scène un dénommé Cesare (Conrad Veidt) dont les crises de somnambulisme lui permettrait de connaître l'avenir. L'arrivée du docteur et de Cesare va aussi aller de pair avec le début d'une série de meurtres frappant la nuit que cela soit un employé de la mairie mais aussi le meilleur ami de Francis qui s'était vu prédire sa mort par Cesare peu de temps avant son trépas. Francis décide donc de tout faire pour découvrir la vérité et ses soupçons se dirigent évidemment vers le cabinet du docteur Caligari...
Assez court, 71 minutes, le film propose un scénario rempli de suspense et de péripéties mélangeant finalement plusieurs genres comme le drame, le film policier et le film d'épouvante. Une histoire globalement assez linéaire et qui est même séminal pour ces genres cinématographiques avec des crimes à répétition, le bouleversement que cela porte sur les proches des victimes et la recherche du coupable. Certes le film a vieilli notamment dans son rythme (les cartons qui expliquent ce qu'on va voir et que ne se contentent donc pas seulement de dérouler les dialogues) qui est vraiment lent pour le spectateur actuel mais l'ensemble s'avère plaisant grâce aux nombreuses péripéties et surtout que l'on comprend l'importance que ce film a eu dans l'Histoire du cinéma par sa structure narrative. Mais ce qui fait vraiment la force de son histoire est son dernier acte qui propose un astucieux mélange de temporalité comme un twist final assez ambitieux pour l'époque remettant vraiment toute l'histoire en perspective. C'est peut-être finalement ce qui fait la force des grands films qui apparaissent arides au premier abord tant ils ont vieilli par certains aspects mais qui réussissent quand même à nous happer.
Ce long-métrage de Robert Wiene mélange donc avec habilité divertissement, thématiques profondes et art. Pour l'aspect purement divertissement, c'est là que le film a vieilli. Si ce n'est pour sa fin, l'ensemble est devenu trop classique et on ne peut vraiment avoir peur tant le cinéma a évolué dans ce registre depuis 1920. C'est plus dans les thématiques qu'il aborde que le film offre son intérêt si on ne s'attache qu'à l'histoire. Comme il a été dit, les scénaristes sont de profonds pacifistes et il n'est pas illogique de penser que toute la production a été marquée par le traumatisme de la guerre venant de se terminer. Le Cabinet du docteur Caligari peut se voir comme une charge contre l'autorité mais aussi une réponse conservatrice et conformiste face à cette charge quand vient la fin du film. Un débat à l'intérieur du film comme une parabole entre celui qui oppose les scénaristes au producteur... Un débat qui fait finalement partie intégrante de l'Histoire du cinéma. Mais revenons au film qui nous montre clairement sous un mauvais jour les figures d'autorité que cela soit la police peu efficace, la mairie détachée des demandes du peuple et le docteur Caligari dans toute son apparente malveillance. La relation entre le docteur Caligari et Cesare peut aussi se voir comme un gouvernement avec son peuple : le docteur Caligari devenant un gouvernant irresponsable demandant à son peuple/Cesare de commettre l'irréparable et d'en être la victime comme lors de la Première Guerre mondiale... Et encore une fois, la fin vient remettre tout ça en perspective de manière assez brillante. Le spectateur doit donc se faire son idée en proie en doute sans que jamais ces réflexions ne parasitent la portée divertissante du film.
Si Le Cabinet du docteur Caligari est aussi connu aujourd'hui c'est aussi parce qu'il est considéré comme le premier exemple majeur du cinéma expressionniste allemand qui allait éclore brillamment dans les années 1920 et influencer le cinéma mondial par la suite. Le film fait même la jonction avec le courant Romantique du XIXème siècle par son histoire tandis que la direction artistique est de plein pied dans l'expressionnisme. Il est intéressant de voir que le film est finalement assez théâtrale dans sa conception avec une division en actes clairement montrés à l'écran et des décors faits mains concoctés par l'artiste Hermann Warm, entre autres. Ces documents expressionnistes sont donc exagérés et difformes dans les proportions comme les escaliers tortueux, les portes triangulaires ou des toits très stylisés. Cela confère au film une atmosphère limite surréaliste qui est aussi soulignée par les maquillages de Caligari et Cesare. Le film offre ainsi une ambiance sans pareil dans laquelle on plonge avec plaisir. Le long-métrage en devient une expérience visuelle avec des décors irréels assumés auxquels on croit pourtant tant ils sont fait avec une grande cohérence notamment une réflexion aboutie sur les jeux de lumière ou le traitement de la nature. La ville comme ses environs « naturels » deviennent des lieux oppressants comme un cauchemar dans lequel Francis plonge tout au long du film. Une direction artistique qui se justifie encore une fois de la plus belle des manières grâce au twist final. Un des héritiers les plus évident de cette approche artistique reste Tim Burton.
Tourné exclusivement en intérieur au sein d'un studio (ce qui était rare à l'époque), le film propose une mise en scène forcément classique de la part de Robert Wiene. Le metteur en scène allemand ne propose que des plans fixes avec des cadres souvent larges pour faire vivre son décor et encore une fois donner une approche très théâtrale. On est loin des prouesses techniques et de l'inventions d'une grammaire cinématographique élaborées par D.W. Griffith à la même époque. D'autant plus que les techniques de l'époque rendaient les zoom particuliers puisque les contours de l'images étaient noircis. On retient finalement de cette mise en scène le jeu des ombres, pour mettre en scène un des crimes, qui sera magnifié plus tard par Murnau dans son Nosferatu. On peut aussi citer un effet spécial sympathique jouant sur une altération de la pellicule vers la fin du film. Mais sinon, l'ensemble est peu élaboré comme pour le montage. Pour ce qui est des acteurs, il faut encore une fois se remettre dans le contexte du muet avec cet apparent surjeu pour nos critères actuels amplifié par l'expressionnisme. Néanmoins, Friedrich Feher est convaincant en jeune homme plongé en plein cauchemar comme Lil Dagover (Les Araignées...) en demoiselle en détresse. Mais le film jouit surtout des prestations de Werner Krauss (Prostitution, Der Totentanz...) en docteur Caligari démontrant de nombreuses facettes et surtout de Conrad Veidt (Wahnsinn, Satanas...) en Cesare pour en faire un croque-mitaine mythique dont la raideur cadavérique évoque évidemment le futur Frankenstein de James Whale.
La conclusion de Bastien L. à propos du Film : Le Cabinet du docteur Caligari [1922]
La note accompagnant cette critique est vraiment à prendre comme une appréciation personnelle de l'oeuvre qui a quand même vieilli par plusieurs aspects : rythme, sa volonté de faire peur et surtout sa mise en scène. Mais cela n'enlève absolument rien à l'aura magique qui entoure ce film qui a contribué à façonner le 7ème art tel qu'on le connaît aujourd'hui. Cela vient d'abord d'une histoire au final surprenante, des thématiques abordées passionnantes et surtout ses décors expressionnistes à jamais graver dans la mémoire de tous les cinéphiles.
On a aimé
- La direction artistique
- Les thématiques abordées
- Conrad Veidt sur les toits
On a moins bien aimé
- Ca a pris son coup de vieux
- Ca ne fait plus peur
- Des intertitres trops présents
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