Critique Retour sur l'horizon [2009]
Avis critique rédigé par Nicolas W. le samedi 24 octobre 2009 à 23h43
Un Magnifique Horizon se profile...
Science-Fiction. Voilà bien un genre souvent décrié, souvent mal aimé, souvent conspué. Mais aussi un genre avant-gardiste, dont les problématiques ont embrasé l'imagination de nombreuses générations de lecteurs. A l'heure du XXIème siècle, entre crise financière et bouleversement éditorial, qu'est-elle devenue cette science-fiction qui nous a tant fait rêver ? Où sont nos Asimov et nos Simak ? Qui pour prendre le flambeau tendu depuis les profondeurs du passé d'un Orwell ou d'un Bradbury ? Y a-t-il même encore quelqu'un ?
Comme il se doit, le recueil s'ouvre sur une longue préface de l'anthologiste Serge Lehman. Celui-ci nous offre une analyse peut-être inattendue puisqu'il ne s'agit pas à proprement parler d'un retour sur les dix années passées mais sur le genre science-fictif lui-même. Analysant les raisons de la ghettoïsation de la SF avec plus ou moins de justesse (l'argument de la métaphysique n'étant pas pleinement convaincant), il a le grand mérite de rappeler l'ancienneté de ce genre et surtout le changement de taille qui se profile : la SF n'est pas morte, elle a bousculé les barrières. Captivant et souvent pertinent.
Comment ouvrir une anthologie telle que celle-ci, si ce n'est par un hommage à un des auteurs les plus connus et reconnus du genre, Philip K. Dick. Car oui, vous le connaissez forcément : auteur de Ubik, Le maître du Haut Châteauou encore Substance Mort; adapté sur les écrans par des films aussi connus que Minority Report, Blade Runner ou Total Recall. Pour cette tâche des plus gratifiantes, ce sont deux compères qui se sont associés : Fabrice Colin d'une part, auteur de Comme des Fantômes et surtout qui fait l'actualité avec la parution de La Brigade chimérique (en association avec l'anthologiste Serge Lehman) et Emmanuel Werner, l'auteur d'Infabula.
C'est Eric Holstein, jeune auteur avec la parution récente du roman vampirique Petits arrangements avec l'éternité mais habitué du monde science-fictif, qui reprend le contrôle de notre voyage avec son texte Tertiaire. Lorsqu'Emerson Mighty perd tous ses acquis et sa fortune par une mauvaise opération boursière, il y laisse jusqu'à son nom, et littéralement. Le monde ici imaginé pousse à l'extrême la monétisation des biens et services. Tout s'achète : voitures, maison, enfant, femme... Absolument tout. Emprunt d'un humour sous acide dans la peinture de notre société, le récit enchaîne les plus grandes absurdités qui, étrangement, nous paraissent de plus en plus envisageables à l'heure actuelle. Ajoutons l'écriture fluide d'Eric pour finir de nous réjouir avec cette très bonne petite nouvelle.
Ce courant satirique science-fictif se retrouve également chez Catherine Dufour. Nul besoin de présenter celle qui nous a fait rire avec son cycle Quand les Dieux buvaient... et qui nous a scotché avec le magnifique Le goût de l'immortalité. Avec Une fatwa de mousse de tramway, on découvre que la vente d'éléments pour une centrale nucléaire est toute entière basée sur le profit et la considération personnelle. Quand bien même ceux-ci occasionnent des fuites radioactives et mettent en danger la vie de milliers de personnes. Sous son humour caustique habituel, Catherine dénonce le réel avec son talent coutumier et sa plume reste toujours aussi efficace même si on en attendait peut-être plus. Malheureusement, on mettra en avant deux objections majeures sur ce texte : la première concernant une fin perfectible et la seconde sur la redondance qu'induit la première objection avec le texte d'Eric Holstein. On peut bien sûr penser que l'anthologiste a voulu regrouper deux récits sur un même thème mais cela produit un effet de déjà-vu assez agaçant. Surtout lorsque l'on sait que la nouvelle précédente était d'un niveau supérieur. Vraiment Dommage...
Mais à cette étape, on peut légitimement se demander où est passée cette science-fiction qui a la tête dans les étoiles et le rêve perdu dans l'immensité spatiale. Jean-Claude Dunyach a justement choisi ce cadre pour la nouvelle intitulée Fleurs de Troie. L'ancien directeur de collection de Bragelonne SF et l'auteur d'Etoiles mortes, déjà au sommaire d'Escales sur l'horizon, choisit de présenter un texte où l'homme rencontre l'infini mais aussi le danger et l'inconnu. Alors que Moire, la femme de notre narrateur, décide de le quitter pour un monde virtuel qui se veut plus excitant qu'un monde réel devenu terne et lisse à ses yeux, celui-ci décide de noyer son chagrin en compagnie de Jo-Andra dans la recherche d'un gisement sur les astéroïdes qui entourent Jupiter. Une mauvaise rencontre va tout changer. Ce récit s'accomplit donc en deux temps. D'abord poétique et mélancolique avec une histoire d'amour qui s'étiole, il verse ensuite dans l'exploration spatiale et la découverte de l'hostile et l'envahissement inévitable. Le tout est bien ficelé mais la fin paraîtra terne. Il manque sûrement encore un petit quelque chose pour vraiment marquer mais il n'en reste pas moins un beau voyage.
Il y a un certain temps que l'appel à textes pour cette anthologie avait été fait. Dans celui-ci, Serge Lehman annonçait que chacun pouvait y participer, débutants comme confirmés. Louable intention que celle de donner leurs chances à ces inconnus que les aléas éditoriaux ne permettent pas toujours d'être publiés. Pour Maheva Stephan-Bugni, c'est chose faite avec sa courte nouvelle Pirate. Delme vit dans une société étrange et inquiétante, une société de bureaucrates, d'administration tentaculaire et de "protection" douteuse... Alors qu'il est arrêté pour des colis qu'il n'a jamais demandé à recevoir, cet artiste muselé s'interroge sur cet endroit dont il finira par sortir. Qui d'autre y est enfermé ? Pour un premier texte, le pari est brillamment relevé ! Tout en non-dits et en sous-entendus, avec une écriture simple et efficace, accompagné par une touche d'émotion à sa conclusion, le récit sombre de Maheva est une réussite. Il reste alors à confirmer bien sûr, mais qui sait, avec ce texte orwellien à souhait, le flambeau vient peut-être d'être passé...?
Alors que ces derniers écrits étaient tournés vers la fantasy avec Le royaume blessé ou sa récente participation à l'anthologie Rois et Capitaines, Laurent Kloetzer revient à la SF avec Trois singes. Yvan Legorre est prisonnier. Il nous confesse alors, non sans un certain humour, ce qui l'a mené ici. Ce qui a mené le monde à la catastrophe, à l'apocalypse... Lorsque les scientifiques français ont eu l'occasion d'éliminer les ennemis de l'Occident par une arme nouvelle et terrifiante, se doutaient-ils qu'ils allaient provoquer la fin de bien plus qu'escompté ?
D'apocalypse, il est encore question chez Thomas Day avec Lumière noire. Le célèbre écrivain à qui l'on doit La Voie du Sabre ou le récent La Maison aux fenêtres de papier , également directeur de cette prestigieuse collection qu'est Denoël Lunes D'encre, nous convie ici à un récit post-apocalyptique entre le Canada et les Etats-Unis. Jasper est reclus au Canada, à Uranium City, avec oncle Tagné. Il communique par hasard avec Jenny qui vit encore aux Etats-Unis. L'enjoignant à trouver du matériel informatique avant de venir le retrouver, celle-ci en sait bien plus long qu'elle ne veut bien le faire croire sur Lumière Noire. Lumière Noire, un fléau informatique qui est devenu conscient et a assujetti l'humanité, mais pourquoi ne l'a-t-il pas encore exterminée ? Et que se passe-t-il sur la Lune ?
André Ruellan est un vieux baroudeur du monde de la SF francophone. L'auteur de Memo se retrouve donc naturellement ici avec le très court Temps mort. Walter rêve de Laura. Rêves, hallucinations ou souvenirs ? L'amour serait-il la dernière chose qui le rattache à la vie ?
Au rang des écrivains plus que prometteurs, Léo Henry figure en bonne place. Après le bon recueil Yama Loka Terminus, écrit en collaboration avec Jacques Mucchielli, il arpente les méandres de la création littéraire avec Les trois livres qu'Absalon Nathan n'écrira jamais. Le citoyen Absalon Nathan gît sur son lit d'hôpital après que l'agent de Mozart assassiné ait cherché à l'enrôler dans leur organisation de "sauvegarde et stimulation artistique". Cantor, l'agent en question, va alors pénétrer son esprit pour sauver les grandes œuvres que celui-ci n'a pas encore écrites. Découpé en trois parties retraçant chacune un de ces fameux livres, le texte de Léo Henry est une véritable pépite. Il nous y parle de la création littéraire et des difficultés des créateurs de mondes. Trois livres pour trois métaphores qui se retrouvent synthétisées dans le récit principal qui l'englobe. Avec une écriture ébouriffante et une intelligence terrible, Léo Henry accouche du meilleur texte de cette anthologie, un immanquable pour lequel les superlatifs manquent. Impressionnant !
D'illustrateur en écrivain, Daylon, surtout connu pour ses couvertures de Vélum, du Le Haut-lieu et de ses nombreuses apparitions dans la revue Fiction, a réussi à s'immiscer dans ce sommaire grâce à Penchés sur le berceau des géants. Dans un monde où l'apparition d'entités extra-terrestres nommées géants a permis des avancés technologiques majeures, Denez s'interroge sur le bien fondé de l'intervention de Callista, sa compagne, et de ses collègues sur l'Essaim, cette menace qui pèse sur les géants. Mitigé, c'est l'impression qu'on a à la lecture de ce texte... D'un côté, Daylon a une voix unique, son style est très travaillé, même si un peu trop syncopé, mais d'un autre, la trame du récit en est délaissée, la fin ne convainc pas et le reste privilégie la recherche stylistique au détriment de l'avancée de l'histoire. C'est donc un gros "dommage" qu'on a envie de décerner à cette nouvelle d'un auteur prometteur mais qui doit encore progresser. A suivre...
Parmi les grands de la SF française, Philippe Curval figure en bonne place. Avec une énorme carrière derrière lui et une actualité brûlante avec la parution du recueil L'homme qui s'arrêta chez La Volte, il était logique de le retrouver ici. Dragonmarx raconte l'enrôlement (ou la libération selon le point de vue) de Siegfried par la dernière enclave de communisme au cœur d'un monde capitaliste. Mais pas n'importe quel communisme puisque celui-ci a fait la rencontre des dieux nordiques et se retrouve étiqueté "communisme divin". Au cœur de la cité de Dragonmarx, entre magie et réalité, Siegfried devient le héraut de ce singulier régime, mais comment vaincre la monstrueuse machine capitaliste ?
Jérôme Noirez a fait grand bruit dernièrement. D'abord pour la publication de son recueil Le Diapason des mots et des misères mais aussi grâce à ses romans jeunesse Fleurs de dragon et Le shôgun de L'ombre. L'auteur de Leçons du monde fluctuant revient avec Terre de Fraye chez Lunes D'encres. Au cœur de cette novella, le surfeur Clioné va découvrir l'amour avec un étrange extra-terrestre nommé Miroua. Accompagné par son groupie alcoolique japonais Toyonaka, il va explorer les profondeurs des océans qui engloutissent peu à peu le monde, à la recherche de ce qui a transformé les fonds marins en un vaste bestiaire des plus improbables.
Auteur énigmatique et pourtant bien connu, David Calvo vient jouer les trouble-fête avec sa nouvelle Je vous prends tous un par un. L'auteur de Minuscules flocons de neige depuis dix minutes et de Nid de coucou poursuit son étrange parcours littéraire avec ce récit d'un homme (un enfant ?) face à d'innombrables ennemis. Une déclaration de guerre et le croisement de l'unité contre la multitude. Qui triomphera ? En à peine quelques pages, avec son style si particulier et délicieux, David Calvo nous fait redevenir enfant et pénétrer dans un monde autre. La puissance de la nouvelle nous surprend, on peut se demander si elle a sa place ici mais comme l'a précisé Serge Lehman, si ce n'est dans ce recueil, où serait-elle publiée ? Magnifique.
Enfin, Xavier Mauméjean se voit l'insigne honneur de conclure l'anthologie. Celui qui nous a étonné avec Lilliputia et bluffé avec Bloodsilver (un superbe récit sur les vampires !) nous entraîne au cœur de l'Hilbert Hotel. Celui-ci n'est pas un hôtel comme les autres, c'est d'ailleurs le seul hôtel. Infini sur plusieurs plans, il englobe tout. Giulio doit enfin prendre ses fonctions de réceptionniste, un poste d'une grande importance et, semble-t-il, très gratifiant. Au cœur de ce monde insensé d'hôtellerie, la vie est pleine de surprenantes rencontres...
Mais à l'issue de l'anthologie, il reste à répondre à de nombreuses interrogations.
Restent bien sûr de grands absents mais l'essentiel est sauf.
En cela, l'anthologie dépasse bien des espoirs...
La SF transcende les genres. Et tout ce qui compte à la fin se résume en deux catégories, la bonne littérature et la mauvaise littérature, peu importe qu'elle soit science-fictive, policière ou fantastique. Finissons par saluer le courage éditorial de deux personnalités : d'abord Serge Lehman bien entendu mais aussi Gilles Dumay. Un courage d'autant plus grand que ces textes ne sont pas forcément accessibles à tous (même si quand on s'en donne la peine, il n'y a rien de rebutant) et permettent aux lecteurs de la première heure d'y trouver leur bonheur, n'abandonnant pas l'intelligence et la réflexion au profit de la facilité et du divertissement pur. Rien que pour cela, cette anthologie mérite toute notre attention.
Immenses remerciements à Amandine V. pour la relecture.
La conclusion de Nicolas W. à propos du Recueil de nouvelles : Retour sur l'horizon [2009]
De façon définitive, Retour sur l'horizon est une anthologie essentielle et indispensable. Elle a fait et fera couler beaucoup d'encre virtuelle ou non, et c'est déjà certainement son premier succès. Quant aux textes qu'elle contient, chacun y trouvera son bonheur, amateur de SF comme novice. Disons simplement qu'un tel travail et une telle qualité, même si certains textes sont à oublier, doivent être récompensés. Espérons simplement qu'ils le seront. En attendant, si vous aimez la science-fiction ou non, mais si vous aimez la bonne littérature, intelligente et prenante autant que divertissante, Retour sur l'horizon est à posséder absolument.
On a aimé
- La nouvelle de Léo Henry
- L'excellence de la plupart des textes
- Une anthologie ambitieuse et intelligente
- Un large panel d'auteurs et de récits
On a moins bien aimé
- Certains textes faibles
- Le texte d'André Ruellan
- Quelques absents
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