Étreintes nocturnes, larmes éternelles
Un roman vampirique à quatre mains

Dans les brumes moites de la Nouvelle-Orléans de 1856, alors que les magnolias se fanent sous le poids du chagrin et que les marécages gardent les secrets des âmes perdues, Festin de larmes se déploie comme une longue plainte amoureuse. Écrit à quatre mains par Morgane Caussarieu (Dans tes Veines, Visqueuse) et Vincent Tassy (Apostasie), ce roman à la fois charnel et éthéré s’impose comme une œuvre rare, là où la noirceur ne cherche pas à effrayer, mais à séduire, à envoûter, à étreindre lentement l’âme du lecteur jusqu’à l’abandon.

Aubrey Clare, jeune homme de 22 ans, égaré dans le deuil de sa sœur jumelle Agatha, écrit une lettre qui ressemble à une incantation. C’est à travers ses mots que l’histoire se tisse, aussi tremblante que la flamme d’une bougie dans une chambre close. Tout y est désolation : une mère que la peine ronge jusqu’au silence, un père englouti par le laudanum, et la maison familiale devenue crypte. L’arrivée du Marquis, être d’un autre âge, d’un autre souffle, va faire éclore la véritable nature de ce deuil : une offrande. Les vampires lacrymaux ne se repaissent pas de sang, mais de larmes. Ils se nourrissent des chagrins les plus profonds, des émotions les plus brutes. Et quoi de plus enivrant pour eux qu’une douleur entretenue, amplifiée, caressée comme on caresse la photo d’un disparu ? C’est ainsi que la mère puis le fils vont succomber au charme insaisissable de Tristan.

Le roman ne cherche jamais à précipiter ses révélations. Il prend son temps, glisse, serpente, fascine. L’écriture, voluptueuse sans être précieuse, distille un venin délicieux. On se laisse captiver par le regard d’Aubrey, écartelé entre répulsion et désir, prisonnier d’une emprise si douce qu’elle en devient irrésistible. Car le grand art du livre, c’est cela : montrer que l’on peut aimer ses chaînes, que l’âme peut se complaire dans la possession. L’emprise devient alors l’autre nom de l’amour, quand celui-ci s’éprouve dans la dépendance la plus totale. C’est un cri muet, une reddition intime, une étreinte dont on ne revient pas.

Les thèmes, bien que traités dans un écrin fantastique, résonnent d’une justesse troublante. Le deuil, ici, n’est pas une étape vers la guérison, mais un espace sacré, un abîme que les personnages habitent avec ferveur. L’amour n’y sauve pas, il consume. Et la beauté, omniprésente, est indissociable de la mort : chaque geste, chaque regard, chaque soupir semble surgir de l’autre monde. À mesure que les pages se tournent, la Nouvelle-Orléans devient un théâtre d’ombres, hanté de musiques lointaines, de danses élégiaques, de rituels obscurs. On y sent l’écho des récits de Rice, la torpeur gothique de Poe, mais avec une intensité sensuelle, que la double plume des auteurs transcende.

Morgane Caussarieu apporte à l’édifice sa violence organique, ses fièvres de corps, ses gouffres de peau. Moins crue qu’à son habitude, son écriture pourtant déborde de sensualité. Vincent Tassy, lui, y dépose son souffle gothique, ses phrases nacrées, ses âmes pures au bord de la chute. Leur alchimie ne fait jamais de compromis : c’est un duo littéraire qui sait autant faire hurler que murmurer, qui compose une partition où chaque mot saigne avec grâce. Dans la parodie, Entrevue choc avec un Vampire paru en 2022 avait déjà prouvé que cette collaboration avait du potentiel.

Festin de larmes est plus qu’un roman. C’est une élégie à la perte, une liturgie de l’abandon, une immersion dans la beauté du tragique. Il laisse sur les lèvres un goût de larmes anciennes et sur le cœur une brûlure douce, comme un amour que l’on n’aurait jamais voulu quitter.

Pour les amateurs de roman gothique, de littérature vampirique et de beaux livres : le roman possède une couverture rigide et un jaspage élégant..

Auteur : Nathalie Z.
Publié le lundi 16 juin 2025 à 08h00

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