Critique L'Homme Invisible [1901]
Avis critique rédigé par Nicolas W. le lundi 17 janvier 2011 à 21h44
Un règne de la terreur
"L'étranger arriva en février, par une matinée brumeuse, dans un tourbillon de vent et de neige. Il venait pédestrement, par la dune, de la station de Bramblehurst, portant de sa main couverte d'un gant épais, une petite valise noire. Il était bien enveloppé des pieds à la tête, et le bord d'un chapeau de feutre mou ne laissait apercevoir de sa figure que le bout luisant de son nez."
L'Homme Invisible apparait aujourd'hui comme un classique incontournable notamment grâce aux adaptations télévisées multiples que l'œuvre de Herbert George Wells a connu ou encore les nombreux films qu'il a inspiré dont le dernier en date fut le Hollow man de Paul Verhoeven. Ecrit en 1897, ce fameux récit suit de près d'un an la parution de L'Ile du Docteur Moreau avec lequel il partage de nombreuses similitudes. Encore une fois, le cœur de l'histoire présente un scientifique prénommé Griffin faisant une découverte extraordinaire : l'invisibilité. Malheureusement, il doit fuir Londres pour être en sureté et maitriser ses nouvelles capacités. Il choisit la petite ville d'Iping et s'installe à l'hôtel du village, non sans attiser la curiosité des habitants devant son accoutrement singulier. Bien vite, il doit partir à nouveau, pourchassé par les villageois. Petit à petit plongé dans la folie, Griffin tente d'instaurer un règne de la terreur à Burdock, un hameau côtier. Le pouvoir de l'homme invisible va se révéler bien éphémère... Et contrairement à ce que l'on pourrait croire, Wells ne livre pas une redite, il aborde sous un nouvel angle son récit et accouche d'un nouveau excellent roman.
Griffin renvoie inévitablement au personnage de Moreau. Scientifique égoïste qui sombre bien vite dans la mégalomanie, il incarne le danger de la science entre les mauvaises mains. Pourtant, Wells ne le présente pas ainsi dans un premier temps. Dans celui-ci, on suit l'arrivée d'un étranger dans la petite ville d'Iping et la virulente mise en garde contre un usage douteux de la science n'apparait pas encore. L'anglais choisit de ne pas reproduire la structure linéaire de L'Ile du Docteur Moreau et scinde son récit en deux (voir trois si on veut pinailler). Tout d'abord, l'auteur décrit la petite ville d'Iping perdue dans le Sussex anglais, et notamment ses habitants. De façon tout à fait surprenante, il place une bonne moitié du récit dans un registre comique en raillant volontairement les villageois du fait de leur bêtise. Stimulé par le mystère de cet étranger emmitouflé qui ne montre jamais son visage, tous vont creuser pour savoir qui il est. On retrouve alors toutes les variantes possibles de quiproquos et autre absurdités du genre qui découlent de la suspicion des habitants. Wells montre ainsi ses contemporains sous un jour peu flatteur mais qui sonne étonnamment juste. En tranchant avec le ton auquel il nous avait habitué, l'anglais surprend et annonce un récit original. Même si tout tourne d'abord autour de la nature de l'étranger, le but de l'auteur n'est certainement pas celui-là, le secret étant éventé par le titre du roman. Le véritable mystère s'avère être le comment et le pourquoi de cette invisibilité.
Ceci se résout dans la première moitié de la seconde partie, cette fois beaucoup plus sérieuse et grave. Dans celle-ci, l'homme invisible a fui Iping et conte son aventure au Dr Kemp, un de ses anciens maîtres physiciens à l'université. Cet immense flash-back révèle non seulement les raisons de la transformation de Griffin mais dévoile également sa personnalité. Si Wells nous le présentait d'abord comme une victime de l'ignorance des villageois, son statut évolue dès la fin de son périple à Iping et ses premiers méfaits. Griffin s'affirme comme un individu profondément obsessif et égoïste dont la découverte ne fait que conforter dans ses travers. Le génie de Wells consiste à constamment jongler entre le mauvais côté de l'homme invisible tout en gardant sa part d'humanité. On se le représente ainsi pourchasser par des chiens, affamé et transi de froid tout en considérant l'être humain douteux qu'il constitue au final. A nouveau, Wells met en garde contre l'enthousiasme de son époque pour les nouvelles technologies, comme les hybridations de Moreau, l'invisibilité de Griffin peut rapidement prendre un tournant dramatique. De façon similaire aux expériences du sinistre docteur qui lui enlevaient toute humanité, celle de son compatriote l'a effacé aussi bien physiquement - il ne transparait plus rien de sa personne hormis quand il s'habille - que psychiquement. L'auteur développe de front plusieurs thématiques entre l'avertissement face aux avancées de son temps et l'importance de l'apparence pour faire parti de la société. Fidèle à lui-même, l'anglais s'intéresse avant tout aux conséquences de la science plutôt qu'au procédé lui-même, exposé sommairement dans l'ouvrage mais bien peu important en fait pour le récit.
Dernier point similaire entre les deux œuvres mais abordé d'une façon bien différente, le pessimisme sur le devenir de l'humanité. La seconde moitié de cette deuxième partie dépeint un homme invisible devenu fou et piégé par sa propre mégalomanie. Au delà des actes de violences qu'il commet dans Burdock (en allant jusqu'au meurtre tout de même), c'est la fin de l'homme invisible qui s'avère singulière. Sauvagement tué par une foule en furie, Griffin catalyse la haine des hommes. Wells appuie sur un point souvent élucidé auparavant : chacun des êtres humains de ce récit renferme sa propre part de folie meurtrière. A partir de là, comment décider de qui peut utiliser une nouvelle technologie ou pas ? Si la satire de ses compatriotes dans le début de l'œuvre prête à rire, la fin fait preuve d'un pessimisme à toute épreuve sur l'homme lui-même. A la veille de la première guerre mondiale, Wells se fait visionnaire sur les horreurs dont ses congénères sont capables et sur l'emploi qu'ils réservent à la technologie. Un an plus tard, l'anglais ira plus loin encore en tentant d'éliminer la race humaine dans son entièreté avec La Guerre des mondes.
"Il faut qu'arrive le règne de la terreur; en voici le premier jour. Port-Burdrock n'est plus sous la domination de la Reine; dites-le à votre policier, dites-le à toute la bande : la ville est sous ma domination, à moi, et je suis la terreur ! Ce jour est le premier de l'an I de la nouvelle ère, l'ère de l'homme invisible. Je suis Invisible Ier."
La conclusion de Nicolas W. à propos du Roman : L'Homme Invisible [1901]
Avec L'Homme Invisible, H. G. Wells écrit un autre classique de la littérature et de la science-fiction. Popularisé aujourd'hui par divers médias, il ne faudrait pas pour autant en oublier le roman à la base de tout. Une lecture forcément indispensable.
On a aimé
- Les thématiques développées
- Griffin
- Un roman fondateur
- L'humour de la première partie
On a moins bien aimé
- Pas d'explications scientifiques
- Un peu désuet dans l'écriture
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