Critique Poursuite Mortelle [2012]
Avis critique rédigé par Jonathan C. le mardi 7 février 2012 à 00h38
Mortelle randonnée
Après être sorti en Angleterre, en Ecosse et en Irlande, et après avoir tourné dans pas mal de festivals (nous l’avons découvert au PIFFF), A Lonely place to die sort en DTV en France, vendu sous le titre passe-partout honteux de Poursuite Mortelle (alors que le titre original avait beaucoup de sens). Au rayon des survivals vertigineux en haute altitude (on peut parler de « survival alpin »), terrain assez peu fréquenté car casse-gueule (c’est le cas de le dire), notre Vertige faisait bonne figure, malgré son dernier acte plus conventionnel en forme de slasher. En provenance d’Angleterre, là d’où sont venus quelques perles du genre ces dernières années (de Eden Lake à Creep en passant par The Descent), Poursuite Mortelle commence de façon très similaire : un petit groupe de randonneurs (dont Ed Speleers, qui fut autrefois un piètre Eragon, et l’australienne Melissa George, une nouvelle fois convaincante dans le fantastique après Triangle, Paradise Lost, 30 jours de nuit ou le remake d’Amityville) adeptes des sensations fortes s’aventure en pleine nature, ici dans les massifs des Highlands, pour faire de l’escalade. Lors de leur escapade, ils viennent au secours d’une fillette qui était séquestrée et enterrée dans un box, soit exactement le même argument de départ que le bon Backwoods de Koldo Serra avec Gary Oldman. Nos aventuriers contrariés décident de s’occuper de cette fillette qui ne parle pas leur langue et sont dés lors traqués par de mystérieux ravisseurs armés de fusils à lunettes (et là on pense à Les Proies de Gonzalo López-Gallego).
Aussi classique soit-elle, la première heure est d’une redoutable efficacité, laissant la part belle à l’incroyable décor des Highlands écossais, étonnement peu exploité au cinéma (et totalement inédit au rayon survival/slasher) malgré sa beauté et sa richesse. Les premières minutes sont ainsi à couper le souffle, renvoyant aux oubliettes les introductions de Vertical Limit, Cliffhanger ou Mission : Impossible 2, ou même le final du méconnu La Sanction de Clint Eastwood ; dés cette introduction, avec son générique défilant sur un splendide plan-séquence aérien (le plan en hélico fut très difficile à obtenir, mais ça valait le coup) survolant les Highlands nuageux au son d’un chant écossais, le réalisateur Julian Gilbey, dont c’est le quatrième long métrage après des thrillers peu connus chez nous, y multiplie les plans larges somptueux (façon National Geographic) dans lesquels l’homme semble soudain tout petit, en plus de trousser une bonne poussée d’adrénaline en guise d’ouverture (Gilbey compare cette séquence d’ouverture à celles des James Bond). Passionné par la montagne et pratiquant lui-même l’alpinisme, Julian Gilbey est particulièrement et principalement inspiré quand il s’agit de filmer cet environnement spectaculaire et d’exploiter cette « tridimensionnalité du site », selon ses propres termes. Les cadrages sont soignés, et les images sont d’autant plus impressionnantes qu’elles sont tournées en grande partie à la RED One, mais aussi au Canon 5D ; jamais ces Highlands n’ont été filmés ainsi au cinéma, et ils semblent dotés d’un étrange pouvoir d’attraction et de fascination, forçant même le réalisateur à la contemplation.
Le décor compense également la simplicité du scénario, coécrit par Will Gilbey, le frère du réalisateur et aussi le co-monteur. Comme d'hab, la randonnée fun vire au cauchemar et au récit initiatique parsemé d'épreuves et au cours duquel les personnalités s'affirment ou se dévoilent. Si la trame et les personnages semblent au premier abord très classiques, comme l’exposition (dans le chalet), les Gilbey s’amusent quelquefois mais sans cynisme à détourner les codes et les attentes du genre (tout en n'évitant pas certains poncifs), en témoigne le traitement alloué aux « faux » tueurs (les chasseurs), au personnage du lâche emmerdeur plus héroïque qu’on ne le pense ou au flic douteux dans le commissariat, tandis que le prototype du héros (l’expert assuré et rassurant qui a une belle gueule) disparait brutalement et que le sidekick blagueur (certaines de ses vannes sont d'ailleurs assez drôles) et novice en escalade joué par Ed Spleeters reprend le flambeau pour devenir malgré lui le vrai héros. Pour ces personnages, Gilbey met en scène des « gens ordinaires dans une situation extraordinaire », bien que ses deux bad guys vicieux soient beaucoup plus appuyés. Comme dans les bons films du genre, chacun des personnages incarne au départ un stéréotype qui, au cours du périple, deviendra humain en se révélant sous son vrai jour. Dans le survival, l'homme découvre qui il est vraiment. Le rythme est donc très soutenu pendant une heure, baignant dans un parfum de mystère intriguant (que fait cette petite fille serbe ici ? qui sont ces deux types sortis de nulle part ? et qui sont ces autres types qui arrivent en voiture ?) tout en enchainant les séquences palpitantes : la découverte macabre de l’enfant sous terre (le traitement du son y est à souligner), la première chute (saisissante), la traque le long de la rivière, le coup du leurre dans la forêt, ou encore les deux chasseurs chassés.
Poursuite Mortelle est donc d’abord très centré sur l’alpinisme, comme Vertige. Les acteurs ont suivis un entrainement intensif dans cette discipline à haut risque, sauf Melissa George, déjà pratiquante (elle grimpe en rappel depuis plusieurs années). Mais bien entendu, des cascadeurs et des professionnels les doublent pour les prises les plus risquées. Par ailleurs, et ça ne se voit pas une seconde grâce à l’intelligence de la mise en scène, des fonds verts sont parfois utilisés pour simuler le vide en dessous des acteurs qui, en réalité, ne jouent qu'à quelques mètres du sol. L’une des caractéristiques et qualités de Poursuite Mortelle est de vouloir « rendre justice à l’escalade telle qu’elle l’est », dixit l’un des acteurs. « Que ce soit réaliste n’enlève aucun suspense », renchérit le réalisateur, qui filme les scènes d’escalade de façon sobre et simple, alternant entre gros plans (sur le matériel en action) et plans larges (l’homme miniaturisé au milieu d’une paroi et en dessous du vide) afin de souligner l’immensité et la dangerosité des lieux domptés, créant ainsi le vertige sans artifices, comme le faisait Abel Ferry dans Vertige. On se sent ainsi très proches de ces grimpeurs, voire même à leur place lorsque le cinéaste use de plans subjectifs tournés au Canon 5D. Il s’agit ici de faire dans le réalisme sec et non dans le sensationnalisme : c’est pas du Vertical Limit (le coordinateur des cascades de Poursuite Mortelle avait justement aussi travaillé sur le film de Martin Campbell) avec ses cascades surréalistes et ses extérieurs en studios. Ici, malgré les trucages invisibles (un câble effacé numériquement, du sang en CGI…), ça sent le vrai, c’est crédible et c’en devient d’autant plus impressionnant. Julian Gilbey cite d’ailleurs Point Break ou les vieux James Bond en référence, autres films de cascades réelles (c’est-à-dire exécutées par des cascadeurs et non créées en CGI), d’effets « old school » et de sensations fortes mais sans « sensationnalisme ». Par ailleurs, les poursuites énergiques et intenses en milieu naturel témoignent d’une belle maitrise du découpage et du ralenti, Gilbey étant aussi monteur (sur ses propres films ainsi que sur le Doghouse de Jake West).
Hélas, le réalisateur anglais va oublier en cours de route que les meilleurs survivals sont souvent les plus simples et les plus brutaux, autrement dit les plus primitifs, ce qui va de paire avec l’une des grandes thématiques du genre post-Délivrance, à savoir le combat de l’homme contre (et dans) la nature. En plongeant ses protagonistes dans un milieu sauvage hostile qu’ils pensaient maitriser (mais l’Homme ne peut dompter la nature), Julian Gilbey aborde cette thématique-phare du genre, évoquant inévitablement des petits classiques comme, outre Délivrance, Détour Mortel, Sans retour, The Descent ou, plus récemment, Wilderness et Vertige, ou même dans un autre genre le premier Rambo ou Predator. Comme la plupart de ces films, cette nature finit par enfermer les personnages, dans ce qui devient paradoxalement un huis-clos en plein air (cf. la tagline française un brin pompeuse de Poursuite mortelle : « Au sommet d’une montagne, il n’y a nulle part ou se cacher »), une prison pour les uns et un terrain de chasse pour les autres. Excitant pendant une heure, jeu de cache-cache impitoyable entre les jeunes héros et deux ravisseurs patibulaires sur les terres du clan MacLeod, le film dérive alors de cette trame rudimentaire et archi-classique, comme dépouillée devant la splendeur du cadre géographique (presque comme si ces décors étaient aux commandes et avaient plus d’importance que tout le reste), pour devenir aussi surprenant que décevant.
En effet, après cette traque sauvage angoissante, sans temps mort et spectaculaire pour ses quelques cascades à donner des frissons (les chutes font très mal, c’est un vrai film de cascadeurs !) et surtout pour ses paysages époustouflants (le réalisateur ne cesse jamais d’intégrer des plans larges contemplatifs ci et là), Poursuite Mortelle vire petit à petit au thriller à tiroirs lorsqu’il se lance dans les révélations et troque le cadre sauvage contre une petite ville autochtone, et le jour contre la nuit. Se dévoilent ainsi une invraisemblable histoire de rapt (qui fait la lumière sur les méthodes effrayantes des kidnappeurs « professionnels » consistant à isoler un enfant au milieu de nulle part et parfois à le laisser mourir sur place), de nouveaux personnages (dont les têtes connues d’Eamonn Walker et de Karel Roden), un nouveau décor (la ville)…Bref, Julian Gilbey abandonne tout ce qui faisait l’intérêt de son film, principalement le décor des Highlands, terrain de chasse de deux snipers psychopathes prêts à tout pour récupérer la fille (leur magot). L’aspect contemplatif et la simplicité narrative très brut de la première partie sont remplacés par de l’hystérie et de la surenchère qui viennent gâcher un tableau jusqu’ici impeccable et font alors ressembler Poursuite Mortelle à un vulgaire DTV d’action, ce qui est totalement injuste au regard de la réussite de l'heure précédente. Plus le scénario se révèle, plus le film se prend les pieds dans le tapis, pour une dernière demi-heure bordélique (le montage part en vrille) et assez grotesque (cf. le tueur masqué, en référence à l’image du boogeyman, le masque de cochon rappelant d’ailleurs le Jigsaw) dont le rythme est ramolli par une musique de série télé des années 90 (le compositeur Michael Richard Plowman est justement un habitué de la télé, œuvrant notamment sur quelques Steven Seagal et pas mal de nanars), bien que des chansons écossaises contribuent à souligner la culture locale. La réalisation, si ample et fluide dans les Highlands, devient ici plus brouillonne, tombant dans des effets stylistiques de mauvais goût que le film avait jusqu'ici su éviter. A force de s’éparpiller et de s’étirer inutilement, le récit dilue la force émotionnelle et la puissance évocatrice de sa première heure, accumulant alors les passages violents complètement gratuits (le gunfight, le mercenaire flingué dans la ruelle, le sort réservé au méchant…) avec lesquels Julian Gilbey se fait plaisir sans finesse, en bon fan qu’il est du cinéma d’action/aventure de la fin des eighties/début 90.
De ce dernier acte nocturne dans le bled sur fond d’étrange carnaval avec cracheuses de feu aux seins nus (bizarre…on se croirait dans un Wicker Man), on en retiendra une baston violente entre Melissa George et un bad guy saccageant à eux-seuls toute une maison, et surtout un face-à-face plein de tension (établi comme une partie de poker) et brillamment dialogué entre les excellents Sean Harris (inquiétant et impressionnant à chacune de ses prestations : le freak de Creep, le camé de Harry Brown, le fermier d'Isolation, le tueur de Brighton Rock, bientôt Prometheus…) et Karel Roden (Raspoutine dans Hellboy et le héros du Abandonnée de Nacho Cerdà), deux bons acteurs souvent sous-exploités. Sean Harris est aussi touchant que terrifiant lorsqu’il raconte, avec une pointe de mélancolie, sa relation complice avec un de ses jeunes otages par le passé, ou lorsqu'il regarde la mort en face avec ironie. Face à lui, Karel Roden acquiert subitement le statut de « gentil » incarnant les nobles valeurs, ce dont il n’a pourtant pas l’habitude.
Très symptomatique d’un cinéma de genre anglais adepte des sujets de société (ici le rapt ou la guerre du Kosovo, ailleurs la délinquance juvénile...), Julian Gilbey ayant d'ailleurs précédemment oeuvré dans le thriller social, ce dernier acte foiré vient assombrir ce qui avait tout d’un pur survival viscéral, stressant, intense et haletant filmé dans des conditions extrêmes (en témoigne le making-of, le tournage fut particulièrement casse-gueule et logistiquement lourd malgré le petit budget, les frères Gilbey ayant cadré eux-mêmes !). Ça se finit en thriller d’action nerveux mais convenu, un peu comme Vertige redevenait peu à peu un survival banal à la Détour Mortel. Si Vertige est encore un bon cran au dessus, on reste cependant sur une bonne note tant le divertissement, qui traverse eau, air, forêt et ville, rempli son contrat avec entrain et offre dans sa première heure du vrai spectacle, à la fois dynamique et contemplatif, et par instant à couper le souffle.
La conclusion de Jonathan C. à propos du Film : Poursuite Mortelle [2012]
Pendant une heure, Poursuite Mortelle est un pur survival alpin, sauvage et intriguant, aussi classique que solide, et dont la particularité non négligeable est d’exploiter l’escalade dans le cadre somptueux des Highlands d’Ecosse (comme Vertige avec les Alpes et les Pyrénées), qui semblent particulièrement inspirer le réalisateur Julian Gilbey ; il en ressort des images époustouflantes, des vues vertigineuses et quelques cascades saisissantes de réalisme (il y a des chutes qui font mal) loin de l’escalade hollywoodienne de Vertical Limit, Cliffhanger ou La Sanction. Mais plus l’histoire se dévoile, dans un souci typiquement british d’amener un sujet de société (le kidnapping d’enfants), plus l’efficacité du survival s’efface pour se muer, dans la dernière demi-heure, en un thriller d’action grotesque (cf. le tueur masqué) délaissant le principal intérêt du film, à savoir les décors des Highlands. Poursuite Mortelle commence ainsi dans un environnement naturel grandiose filmé avec admiration et contemplation pour se finir cloitré dans des intérieurs en studios et dans des extérieurs "fermés" par la nuit, la réalisation devenant alors pataude et conventionnelle. Le film, partagé entre le joli minois de Melissa George et la sale trogne de Sean Harris (soit deux acteurs de chez Christopher Smith), reste globalement honnête et excitant, détournant parfois les stéréotypes du survival/slasher tout en conservant un premier degré appréciable, sans cynisme mais non sans poncifs aussi. Comme d’autres de ses compatriotes avant lui (Christopher Smith, Neil Marshall, James Watkins, Michael J. Bassett…), Julian Gilbey pourrait devenir un excellent artisan du cinéma de genre anglais.
On a aimé
- Le décor des Highlands, des images impressionnantes
- Cascades et scènes d'escalade crédibles, spectaculaires et vertigineuses
- Une première heure tendue et "old school"
- Une réalisation appliquée et sans artifices
On a moins bien aimé
- Le survival sauvage vire au thriller convenu
- Une dernière demi-heure qui sombre dans la surenchère
- Un scénario qui devient invraisemblable et confus
- Rien de très original
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