Critique L'Aventure de madame Muir [1948]

Les films de fantômes n'appartiennent pas forcément au genre de l'horreur ou de la comédie tant certains se sont illustrés dans la romance à l'image du classique L'Aventure de madame Muir.

Au départ de ce film, il y a d'abord le roman  de 1945 Madame Muir et le Fantôme de R.A. Dick (pseudonyme de la Britannique Josephine Leslie) dont les droits furent rapidement récupérés par le sudtio hollywoodien 20th Century Fox qui après quelques errements de castings le confie au réalisateur maison Joseph L. Mankiewicz. Ce très grand nom du cinéma américain est scénariste depuis une vingtaine d'années à l'époque mais vient de démarrer sa carrière de réalisateur après un film noir et deux drames tournés entre 1946 et 1947 dont Le château du dragon ayant déjà pour vedette Gene Tierney qu'il retrouve donc dans cette romance fantastique. Au scénario, on retrouve Philip Dunne qui avait aidé Mankiewicz a adapté son roman sur Un mariage à Boston, son précédent film juste avant L'Aventure de madame Muir. Bien que l'intrigue soit censée se dérouler au Royaume-Uni, le film est tourné durant l'année 1946 en Californie pour une sortie l'année suivante avant que la France ne puisse le découvrir en salle en 1948. Le résultat est aujourd'hui considéré comme un classique et est souvent cité parmi les meilleurs films qui soient ou tout simplement du genre romantique et/ou fantastique.

Le film commence au tournant du XXème siècle à Londres alors que la jeune veuve Lucy Muir (Gene Tierney) décide de prendre congé de sa belle-famille et d'aller s'installer sur la côté rural de l'Angleterre avec sa fille Anna (Natalie Wood) et sa domestique Martha (Edna Best). Malgré le désaccord tenace de sa belle-mère (Isobel Elsom) et de sa belle-sœur (Victoria Horne), elle pense pouvoir y louer une maison et y vivre grâce à l'héritage laissé par les actions de son défunt mari. Sur place, elle visite avec un agent immobilier réticent (Robert Coote) une étrange demeure aussi sublime qu'inquiétante au loyer néanmoins très modéré. La bâtisse est réputée hantée par le fantôme du capitaine de navire Daniel Gregg (Rex Harrison) qui semble se manifester lors de la visite. Néanmoins Lucy a le coup de foudre pour la demeure et ne croît pas à ces superstitions. Elle emménage donc avec Anna et Martha et dès le premier soir des phénomènes étranges apparaissent révélant bien la présence du spectre du capitaine. Au début belliqueux, il décide néanmoins de laisser ses nouvelles locataires s'installer attendri par la détermination de Lucy. Malheureusement, cette dernière apprend qu'elle est ruinée devant donc quitter la demeure. Le Capitaine Gregg la convainc qu'il va trouver une solution qui la mettra à l'abri : elle va écrire ses mémoires (sous sa dictée) qui seront assurément un énorme succès...

Si L'Aventure de madame Muir est un tel classique c'est avant-tout car c'est un film plaisant à de très nombreux niveaux. Le genre de classiques hollywoodiens dans lesquels on aime se vautrer car on sait pertinemment ce qu'on va y trouver. Une belle romance, des dialogues bien écrits et ce qu'il faut de drame comme de péripéties. Cela paraît simple écrit comme ça mais tout est fait avec une grande maîtrise pour que l'on passe un agréable moment à rire, s'émerveiller comme s'émouvoir devant cette liaison surnaturelle entre une femme en quête d'indépendance et un vieux loup de mer mort trop tôt. Les personnages sont très bien écrits et on se passionne pour l'évolution des interactions entre le fantôme et Mme Muir dont la complicité naissante s'avère savoureuse notamment face au monde qui les entoure. Sans pouvoir être considéré comme une comédie, le film offre quelques scènes assez efficaces dans ce registre comme d'une ironie mordante propre aux œuvres de Mankiewicz (avec Eve... en point d'orgue qu'il réalise quelques années après). Le scénario se déroule donc sous nos yeux sans réel accroc tant on se laisse porter par cette œuvre singulière mais à la portée tellement universelle sur le thème de l'amour transcendant même la mort. A titre personnel, j'ai été moins convaincu par le final du film qui force un peu trop le mélodramatique...

Si le film est avant-tout une romance fantastique, cela ne l'empêche de s'amuser efficacement avec nos attentes dans son premier acte qui pourrait passer pour un film d'épouvante gothique jusqu'à la véritable rencontre entre la veuve et le capitaine. L'aspect fantastique est ensuite plus timoré même si l'on joue beaucoup avec le fait que Lucy est la seule à voir Daniel qui s'invite parfois alors qu'elle reçoit du monde entraînant quelques effets comiques dont des quiproquos assez drôles. On pourra aussi trouver l'aspect fantastique un peu trop discret notamment au niveau des effets spéciaux qui sont assez basiques (même pour les années 1940) avec seulement quelques effets d'effacement mais rien de bien ambitieux pour donner (non-)corps à la nature spectrale de Daniel. Le film se concentre bien plus sur la romance naissante et assez mouvementée entre les deux héros notamment via les thèmes de la jalousie comme de l'abnégation qui sont bien traités. On peut néanmoins trouver quelques visions de la conditions féminines un peu datées mais qui peuvent aussi mettre en avant la force de Lucy Muir alors que personne ne croît en elle ou encore la bassesse d'hommes se pensant supérieurs...

Si Joseph L. Mankiewicz est considéré comme un si grand nom de cinéma américain c'était aussi grâce à ses scénarios même s'il n'en est pas responsable dans L'Aventure de madame Muir. Néanmoins, même en étant « seulement » réalisateur, il démontre allégrement son talent via une mise en scène complètement au service de son récit et de ses acteurs dont il tire ici le meilleur. Il fait merveilleusement vivre les dialogues notamment quand Daniel intervient seulement aux oreilles de Lucy alors qu'elle discute avec d'autres. Mankiewicz confère un rythme parfait à leurs affrontements et rapprochements verbaux via une réelle science des silences souvent aussi puissants qu'une réplique. Il se fait aussi plaisir au début du film en copiant la grammaire du film d'épouvante de l'époque avec une certaine douceur. On peut aussi retenir ses belles trouvailles pour mettre en scène des ellipses. Devant sa caméra, Gene Tierney (Laura, Le château du dragon...) est parfaite en femme voulant arracher son indépendance toute en charme et fermeté dont les fissures sont toujours bien visibles. Assurément une des plus grandes actrices des années 1940 et 1950 qui n'en manquaient pas... En face d'elle Rex Harrison (Tempête dans une tasse de thé, L'Esprit s'amuse...) apparaît de prime abord comme étant très caricatural dans son rôle de fantôme de marin mais c'est pour ensuite mieux dévoiler sa complexité comme ses qualités aux yeux de Lucy et des spectateurs. Et comme toute bonne romance, le film doit aussi faire intervenir la troisième pointe du triangle amoureux en la personne du toujours excellent George Sanders (Le Saint, Le Portrait de Dorian Gray...) en bellâtre insistant. Enfin, comment ne pas citer Edna Best en domestique cynique qui n'en pense pas moins relevant l'aspect comique du métrage. Terminons avec une anecdote et la présence d'une toute jeune Natalie Wood en fille de Lucy.

On vous le conseille si vous aimez Laura, Les Grandes Espérances, Beetlejuice...