John Carpenter, artisan du cinéma > Carpenter et le Western
Aux sources
Le western, genre hollywoodien par excellence, est sans doute la source d’inspiration et de référence la plus évidente et la plus riche de John Carpenter. Peu ou prou, presque tous ses films peuvent s’y rattacher. La passion de Carpenter pour le genre remonte à son enfance. Pour lui, il s’agit de l’une des rares « mythologies » qui soit typiquement américaine.
« Tout d'abord, les westerns font partie de ces choses que les américains ont inventées pour eux-mêmes, avec le rock et le jazz. Chaque pays veut incarner ses propres guerriers mais les cow-boys sont bien à nous, et par conséquent, à moi, car j'ai grandi en les regardant. »
En 1970, John Carpenter remporte un oscar pour The Resurrection of Bronco Billy, un court-métrage d’étudiant qui dénote déjà son admiration sans borne pour le western. Son histoire le prouve : c’est d’un étudiant qui rêve de devenir cow boy, mais qui se rend compte que ce rêve est impossible. Au même moment, le western est déjà un genre moribond, en tout cas dans son classicisme hollywoodien, phagocyté par la multitude de séries télévisées prenant l’ouest pour cadre et le détournement européen du « mythe ». Difficile donc, pour un jeune réalisateur comme John Carpenter, de monter un projet de western. Des années 70 à 90, il n’y aura guère que Clint Eastwood (pour lequel Carpenter a beaucoup d’admiration) pour réussir à maintenir le genre au travers de grands et beaux films comme Josey Wales, Pale Rider ou Impitoyable. Quand à Carpenter, il fera de la SF et du fantastique ! Un genre où il est facile d’inclure d’autres thèmes.
« Avant tout, ce que j'aime faire c'est de la science-fiction horrifique, de la Fantasy, qui permettent de ne pas reprendre systématiquement les mêmes formules encore et encore. On peut effectivement y inclure un peu de western ou bifurquer carrément vers Luis Bunuel, avec des choses totalement surréalistes. Ce n'est pas parce que l'on tourne de la science-fiction que l'on est limité à une seule chose. J'essaye d'étirer le genre autant que possible »
Rio Bravo
Dès son premier long métrage « professionnel », Assaut, Carpenter annonce la donne : le film peut être vu comme une variation de Rio Bravo, d’Howard Hawks, que Carpenter reconnaît comme l’un de ses maîtres à penser. Assaut en est un quasi remake et le film de Hawks tient donc une place particulière dans la cinéphilie de Carpenter. Il le cite comme son « modèle du genre » :
« C'est un western clos, en décalage avec d'autres, plus épiques. Dans ce film, les personnages sont coincés dans un lieu assiégé par les forces du mal. Cette idée, cette structure m'a interpellé et je l'ai détourné en une structure horrifique et de science-fiction. C'est vraiment de là que ça vient ».
Structure qui, d’Assaut à The Thing en passant par Prince des Ténèbres ou Ghost of Mars, se retrouvera régulièrement chez Carpenter, maître en la matière dès qu’il s’agit de filmer un huis-clos ou un siège.
Assaut reprend plus que la trame de Rio Bravo, à savoir un groupe d’individus, assiégés et soudés dans l’adversité, obligés à se serrer les coudes. Il en partage aussi la thématique : celle de la prédominance de l’action sur le caractère (une constante du western) et du rachat de ses fautes par la prise en main de son destin. Quoi qu’on ait pu faire avant, c’est dans l’action qu’on se révèle vraiment : dans Rio Bravo, c’est le personnage de Dean Martin qui surmonte son alcoolisme et sa trouillardise, effaçant ainsi son ardoise. Dans Assaut, Napoleon Wilson, présenté comme un criminel sans pitié, s’affirme pourtant comme le héros de l’histoire par ses actions. Aussi bien chez Hawks que chez Carpenter, la véritable valeur d’un homme se révèle face à l’adversité. Tous les protagonistes en vie à la fin du film ont d’ailleurs en commun d’avoir tenu bon sous la pression, respectant une sorte de « code d’honneur » et de loyauté. Ceux qui flanchent ou jouent cavalier seul meurent, invariablement. Là encore, c’est un thème fort du western.
Snake, Clint, Sergio et les autres
Au-delà d’Assaut et sa parenté évidente, on ne peut que s’amuser à comparer les rémanences des thèmes et icônes « westerniens » de l’œuvre de Carpenter dès lors qu’on regarde défiler sa filmographie. Le Snake Plissken de New York 97 est une incarnation issue directement d’un western, tendance spaghetti pour son cynisme. C’est un desperado sans foi ni loi, qui ne se préoccupe que de sa survie personnelle et se moque éperdument du reste. Face à lui, Carpenter place, en référence absolu, le mythique Lee Van Cleef ! A l’origine, le film s’ouvrait d’ailleurs sur une attaque de banque, perpétrée par Plissken, une figure imposée du western. Cette scène, qu’on a pu découvrir sur le LD ntsc de New York 97 (et peut être sur le futur DVD collector zone 1) renforce la parenté du film au western, même si Carpenter l'a finalement retiré du montage, jugeant qu'elle alourdissait l’intrigue. De fait, le choix est bon : comme dans de nombreux westerns, on ne sait rien du Snake, on ne connaît au final que sa légende, diffusée oralement (tout le monde lui dit d’ailleurs « je t’croyais mort, Snake » dans New York 97. Dans LA 2013, ce sera « j’te voyais plus grand »). C’était déjà la même chose pour Assaut et Napoleon Wilson, comme le dit Carpenter : « ce que le héros a fait est si déguelasse qu’on ne peut même pas en parler ».
Los Angeles 2013 enfonce le clou ! Egal à lui même, le desperado Plissken n’a rien perdu de sa cool attitude. Carpenter force même le trait, frôlant la parodie : lors de la scène ou le héros s’habille et s’équipe (flingues et long coupe-vent, naturellement), passage obligé d’une mythification réussie, une musique western accompagne les images, harmonica à l’appui. Même chose plus tard lorsqu’il provoque ses adversaires au jeu hilarant du petit Bangkock…
Sans surprise, par ses gimmicks (sa clope, son bandeau, son manteau), le Snake est une référence directe à l’homme sans nom que Clint Eastwood a interprété dans la trilogie de Sergio Leone. Tous deux poursuivent leur propre but, sans s’embarrasser de scrupules ou de morale. Pourtant, s’il admet l’influence de Sergio Leone sur son œuvre (il dit dans une interview qu’il a décidé de réaliser son court métrage d’études en sortant de la séance d’Il était une fois dans l’Ouest »), Carpenter ne partage pas forcément la vision du maître italien sur le genre, sacré pour Carpenter :
« J’ai toujours été bien plus attiré par le sens pictural de Sergio Leone, par la manière dont il employait la musique dans ses films, que par son ironie envers le western. L’ironie est une chose facile. C’est facile de se moquer du western de cette manière. Et jamais je n’appliquerai ce style à mes films. Je ne veux pas me moquer du genre »
Une recette qu’il appliquera d’ailleurs tout autant à ses films purement fantastiques ou horrifiques. Carpenter refusera toujours le second degré, pourtant devenu tellement à la mode depuis le Scream de Wes Craven.
Il serait vain de citer toutes les influences westerniennes décelables dans les films de Carpenter, elles sont légion. Ainsi, Invasion Los Angeles, reproduit un schéma classique du western : le héros, John Nada, inconnu de tous, débarque en ville en train. Il va y mettre de l’ordre. Quand à Jack Burton, il est une caricature (grande gueule, fanfaron, misogyne) de héros de western. Carpenter dit d’ailleurs que Kurt Russel calqua son jeu sur l’attitude de John Wayne. C’est peu surprenant quand on sait que la première version du script de Jack Burton se déroulait en fait dans le quartier chinois de San Francisco, à la fin du 19ème siècle.
On y est presque...
C’est avec Vampires que Carpenter retrouve l’essence du genre, tant le film est réellement un western détourné. Il est aussi un hommage marqué à Sam Peckinpah, auquel Carpenter se compare souvent.
« J’ai pensé à Sam Peckinpah en le tournant. Peckinpah a toujours été l’un de mes cinéastes préférés. Quand j’ai envisagé de faire un film de vampires, je voulais absolument éviter l’imagerie folklorique. Je suis un fan des films de la Hammer mais pas des films récents comme Interview with the Vampire ou le Dracula de Coppola qui sont remplis de clichés gothiques avec châteaux, brouillard et chauves-souris. Je ne me voyais pas faire un film en costumes. »
Le film de Peckinpah qui vient immédiatement à l’esprit quand on pense à Vampires, c’est l’électrisant La Horde sauvage (the wild bunch). Dans ce western crépusculaire et violent, un groupe de tueurs sans remords, qui viennent de faire un massacre en pleine rue après avoir pillé un banque, est poursuivi des agents de la force de l’ordre (en fait des chasseurs de prime) qui ne valent pas mieux qu’eux. Chacun est donc renvoyé dos à dos. C’est la même chose dans Vampires. Les héros, Jack Crow en tête, sont des êtres violents, des mercenaires qui ne valent finalement pas grand-chose de plus que leurs proies vampiriques.
« J’ai pensé à The Wild Bunch parce que, dans ce film, Peckinpah ne met pas les bons d’un côté et les méchants de l’autre; ils sont confondus. Ce n’est donc pas nouveau, c’est une tendance commune à tous les films sombres, policiers ou westerns. »
L’influence d’un autre film est également déterminant, celle du superbe Near Dark, de Katrhyn Bigelow. Le film narre les errances modernes d’un groupe de vampires nomades sur les routes de l’ouest profond. Leur look fait invariablement référence au western. L’un des personnages, joué par l’excellent Lance Henricksen, dira même avoir fait la Guerre de Sécession. Carpenter sera très influencé par le visuel des vampires de Bigelow, au point de le reprendre dans Vampires.
Sans surprise, le dernier Carpenter, Ghosts of Mars, est un autre western détourné. La théorie de la Frontière, chère aux américains, est tout simplement transposée dans le futur : Mars constitue la nouvelle frontière. Tout y est : un train, une ville de mineurs avec bar et prison, des détrousseurs (Desolation Williams et sa bande), des zombies identifiables à des indiens revendiquant leur territoire « envahi ». Seul le rouge du désert et la modernité des flingues éloignent le film du western (ainsi que l’importance du rôle laissé aux femmes, assez rare à la fois en SF et dans le western). Desolation Williams est presque une copie conforme de Napoleon Wilson ou Snake Plissken. Dommage que ce soit le fadasse Ice Cube qui l’interprète, on imagine avec regret ce qu’aurait pu donner un Kurt Russel dans ce rôle de desperado.
« Le décor est parfait pour moi. Je ne voulais pas faire un film spatial où les personnages se baladent dans l'espace et communiquent par radio-emetteurs. J'ai préféré les placer dans ce train pour finalement les faire évoluer dans une véritable ville de western. C'était parfait ».
Passage à l'acte ?
Carpenter n'en finit donc pas de tourner autour du pot. Il ne s’est toutefois pas contenté de faire des appels du pied au western. Il caresse en effet l’idée de mettre en scène un vrai western, et écrit même deux scénarios.
En 1978, John Carpenter écrit le script de Blood River, un western très classique. La société de production de John Wayne met une option sur le script, et John Carpenter se retrouve à travailler aux côtés du célèbre acteur pour développer l’histoire. Malheureusement, John Wayne décède en 1979, avant que le projet ait pu se concrétiser. Finalement, Blood River sera réalisé en 1991, pour la télévision, pr un autre réalisateur que Carpenter.
Dans les années 80, John Carpenter écrit El Diablo, un autre western pur jus. Le projet ne se montera pas. Le film sera finalement réalisé 10 ans plus tard, encore pour la télévision et encore par un autre que Carpenter. Il mettre en scène Anthony Edwards (le docteur Green d’Urgences) et Louis Gosset junior.
Alors pourquoi Carpenter ne passe t’il pas à l’acte ? Pourquoi ne pas, aujourd’hui, se lancer dans un vrai western ? A cette question, Carpenter botte en touche, retranché derrière son respect pour le genre :
« Une chose est sure, j’angoisse à l’idée de faire un western, de tourner avec des chevaux, de faire un film dont au final je ne comprendrais pas les règles. Mais je ne saurais expliquer pourquoi. Je suis, peut être, intimidé par mes illustres prédécesseurs. Je ne tiens pas vraiment à me mesurer à eux. Peut être suis je un lâche, mais je me sens plus à l’aise sur le terrain du film d’horreur, que sur celui de Howard Hawks, de John Ford ou de je ne sais quel autre géant du même calibre ».
On ne peut que le regretter.