John Carpenter, artisan du cinéma > Engagé ou cynique ?
Un cinéaste de gauche ?
Carpenter est généralement considéré comme un cinéaste de gauche, au même titre qu’un George Romero par exemple. La réalité est-elle plus ambiguë que cela ? Sans nul doute, puisqu’au fil des ans, il s’est vu coller toutes les étiquettes. Ainsi, il fut traité de fasciste pour Assaut, car il y montrait soi disant une jeunesse violente et incontrôlable, matée par les « résistants » du film. Une lecture un peu trop rapide d’un film qui est avant tout une expérience cinématographique sur le thème du siège, sans parti pris politique. Tout au plus peut-on y voir la dénonciation dune violence aveugle et destructrice (on y tue quand même une gamine). Il faut accusé d’être un réactionnaire pour Halloween : grand classique du film d’horreur, seule la jeune fille vierge et qui ne fume pas survit au tueur ! Carpenter explique cela très simplement en terme de scénario : comme elle est seule et n’a pas de petit ami, Laurie est la seule suffisamment attentive pour remarquer Myers. Il réfute donc toute explication « morale » du film. Depuis, Carpenter a prouvé plusieurs fois son attachement aux libertés et à la pensée sociale, n’hésitant à dépeindre son pays sous des dehors peu avantageux. On serait bien en peine de le taxer aujourd’hui d’être un réactionnaire.
Toutefois, lui-même n’est pas très clair avec cela. Soucieux d’équité sociale si l’on en croit ses films, Carpenter continue à dire qu’il est avant tout un capitaliste, qu’il aime l’argent et qu’il n’a aucun message à délivrer. Ce dont on ne peut que douter en voyant ses films ! A propos d’Invasion Los Angeles, un de ses films les plus virulents, il dira :
« Il y a des thèmes abordés dans They live, mais on ne peut parler de message. Les messages, c’est ce qu’on laisse sur les répondeurs ».
Un cineaste qui dénonce ?
Ce qui semble indéniable, même s’il s’en défend régulièrement, c’est que John Carpenter est un des cinéastes les plus critiques et les plus virulents vis-à-vis de la société américaine contemporaine. Loin du film à thèse lourdingue, il n’aborde ces sujets qu’en filigrane par le biais du fantastique et de la SF. Si Carpenter s’en prend pêle-mêle aux institutions, la morale, la religion ou l’appât du gain, il n’en oublie pas pour autant son statut de faiseur de cinéma, d’artisan. Avant tout il fait des films distrayants ! Toutefois, il n’est pas anodin de rappeler que les 2 genres où officie Carpenter, la SF et le fantastique, sont parmi les plus engagés socialement. La SF a toujours fait son lit de thématiques sociales, qu’elle dénoncent les tendance et les dérives actuelles de la société en montrant des futurs qui déchantent (de Soleil Vert à Bienvenue à Gattaca), ou montrant au contraire des futurs idéalisés ou l’homme a su écarter ce qui montait en danger l’humanité (comme la société presque parfaite de Star Trek). Quand à l’horreur, son sous-texte social est très important dans certaines œuvres majeures (typiquement chez Georges Romero).
Quels films de Carpenter sont politisés ? Tous pourrions-nous dire ! Même ceux on ou si attend le moins. Ainsi The Fog est avant tout un excellent film d’épouvante. Mais sur un autre niveau de lecture, c’est aussi un discours sur le rôle de la mémoire aux États-Unis. L'auteur y rappelle que la nation américaine s'est construite dans le sang et la violence. Les fantômes vengeurs sont ceux de marins lépreux, sacrifiés par les dirigeants bien pensants de la petite ville qu’ils harcèlent. Carpenter, c’est un peu la mauvaise conscience de l’Amérique ! C’est le même discours que chez Clint Eastwood, qui ressasse ce thème, de Josey Wales hors la loi à Impitoyable. Dans Ghosts of Mars, qui n'a rien d'un film "engagé", il se permet de montrer que pour résister aux envahisseurs, un petit shoot de drogue suffit ! De quoi faire grincer bien des dents.
Mais bien entendu, certains films sont plus engagés que d’autres. Le discours de Carpenter sur les dérives de l’Amérique est très pointu dans 3 film : New York 97, Invasion Los Angeles, et Los Angeles 2013…
Dans les deux films mettant en scène Snake Plissken, Le pistolero borgne est opposé à un système politique proche de la dictature. New York 97 montre un système tellement paralysé face à la violence qu’il a engendré, qu’il se contente de parquer ses criminels et de les laisser s’entretuer. La réhabilitation n’existe plus. Le pouvoir y est montré corrompu, puisqu’il n’hésite pas à contraindre Plissken à accomplir sa mission. On sent la dérive sécuritaire mais elle n’est pas clairement dénoncée. C’est tout le contraire dans LA 2013. Le film est un vrai pamphlet. La société américaine y est montrée comme totalement fasciste : intégrisme religieux (le président américain brandit l’armageddon biblique, le fait d’être athée est devenu un crime), déportation, politiquement correct ayant dégénéré en atteintes aux libertés individuelles (on n’a plus le droit de fumer, de manger de la viande rouge, d’avoir des relations sexuelles hors mariage), exécutions sommaires, rien ne manque… Ironiquement, la prison de Los Angeles apparaît comme le seul espace de liberté existant encore. Revers de la médaille : la violence y est incontrôlable. Snake, quand à lui, est montré comme l’ultime rebelle, défenseur d’une Amérique amoureuse de liberté. Le discours de Carpenter est à double sens, et il le sait : si Snake symbolise la liberté, celle-ci fait peur. A l’image du personnage, elle est entière et violente…
Invasion Los Angeles (oubliez ce titre crétin, le titre original, They live, est bien plus approprié) est un film encore plus engagés que les aventures nihilistes de l’ami Plissken. Il s’inscrit beaucoup plus dans la réalité : le film est placé dans son époque, pas dans un hypothétique futur. C’est une attaque très sévère contre la société américaine post reaganienne, qui a vu l’écrasement de la classe populaire américaine, la paupérisation et le règne de l’argent roi (c’est l’époque des yuppies, particulièrement bien décrite dans le Wall Street d’Oliver Stone). Le film prend comme héros un gars de la classe populaire, qui se rend compte que le monde est manipulé par des extraterrestres qui nous aveuglent à coup de publicités et de produits de consommation. Carpenter fustige l’hypocrisie des dirigeants et des médias qui en sont les complices. "We Sleep, They Live" dira le héros en référence aux extraterrestres totalitaires du film. Mais le discours de Carpenter est on ne peut plus clair…
Carpenter lui-même aime à se dépeindre comme un réalisateur en marge du système des majors, refusant uniformité et le politiquement correct des grands studios. Pourtant, il a régulièrement essayé de travailler pour eux, et dit souvent être un capitaliste désireux de gagner beaucoup d’argent. L’ambiguïté du personnage reste complète mais pas incompréhensible : sans être un militant, Carpenter sait monter au créneau quand il juge avoir des choses à dire.
Un cinéaste cynique ?
Si They live propose un héros « positif » désireux de changer les choses, Los Angeles 2013 montre un cynisme assez incroyable. Snake s’y fout de tout. Et pire, on se fout aussi de lui. Tout est montré comme une grande farce : Snake se fait piéger comme un bleu. Contrairement à ce qu’on lui a dit, le virus qu’on lui a injecté n’est absolument pas mortel ! Il ne semble plus y avoir d’espoir que dans la fuite en avant (la fin du film). Les prétendus sauveurs sont renvoyés dos à dos avec les oppresseurs : le « libérateur » Cuervo Jones est en fait risible, et seulement intéressé par le pouvoir personnel, lui aussi. La seule solution est dons de tout foutre en l’air, ce dont se charge Plissken.
Ce cynisme provient clairement de Carpenter, pessimiste avéré. Ainsi, dans Ghosts of Mars, il met en scène une société matriarcale sur Mars. Pour autant, sa vision de l’humanité ne change guère :
« Peut-être que dans le futur, les femmes parviendront plus au pouvoir, et il leur faudra être plus compétitives, car les hommes le sont. C'était ça l'idée derrière tout ça. Mais très franchement, je ne crois pas que cela ferait un grand changement, car le pouvoir finit toujours par corrompre tout le monde, homme ou femme »
On fait difficilement plus pessimiste !