John Carpenter, artisan du cinéma > Le héros selon Carpenter

Durs à cuire…

Dès son premier film professionnel, Assaut, Carpenter met en place avec Napoleon Wilson ce qui restera un archétype récurrent de son œuvre, et qu’on pourrait qualifier de « héros carpenterien », un type de personnage qui n’est pas sans rappeler certains traits du cinéaste lui même.
Pour résumer succinctement, nous dirons que le héros carpenterien est avant tout un dur à cuire que la violence n’effraie pas et qui ne recule devant rien pour arriver à ses fins. Il est volontiers cynique et désabusé, jetant un regard critique sur la société qui l’entoure mais se gardent bien de tenter d’y changer quelque chose, car seul son propre sort l’inquiète. Il pense avant tout à ses propres intérêts, sa propre survie.
On dit souvent que ce personnage est sans morale. C’est finalement erroné. Malgré tout, il sait rester fidèle à un certain système de valeurs, auxquelles il ne déroge pas. Le seul souci, c’est que ces valeurs ne correspondent pas forcément à la morale « communément admise », et de fait, beaucoup des héros carpenterien seront avant tout des hors-la-loi, des criminels en rupture de ban. Des truands avec un certain sens de l’honneur. Enfin, les personnages de Carpenter sont souvent des solitaires, des individualistes forcenés.
Nous l’avons déjà dit, mais l’une des caractéristiques essentielles du héros chez Carpenter c’est qu’il se révèle par ses actes. Il n’est jamais héroïque par nature ou par profession et il contraint à agir. De plus, ces « héros » se révèlent par leurs actes. C’est ainsi qu’ils se définissent. La plupart du temps, on ne sait rien de leur passé (ou juste suffisamment pour se rendre compte qu’ils ne sont pas des enfants de chœur).

Anti-héros

Les personnages de Carpenter sont donc, par définition, des anti-héros. Cela est surtout frappant dans les films d’action du réalisateur, ceux qui s’inspirent le plus du timing du western. Carpenter ne peut pas se résoudre à présenter un héros simpliste, un bon garçon pétri de bons sentiments béats. Tous ses héros d’action sont des personnages sur le fil du rasoir… Bien entendu, tous les films de Carpenter ne mettent pas ce type de personnage au premier plan. Dans ses réalisations plus fantastiques, le trait est moins marqué, les personnages moins archétypaux. Pour autant, a on retrouve toujours quelques marques du héros carpenterien dans les personnages.
Ainsi, si Mac Ready, le héros de The Thing, n’est pas Snake Plissken, il reste avant tout un solitaire (ses appartements sont d’ailleurs hors de la base arctique elle-même). Volontiers cynique et peu volubile, il est présenté en train de boire seul, comme un héros de western fatigué (il en a d’ailleurs le chapeau). L’homme se révélera pourtant opiniâtre dans l’action, au point d’ailleurs d’abattre un membre de l’équipe, pourtant sain de l’infection de la Chose…
Dans l’antre de la folie, le personnage de Sam Neill, John Trent, s’il n’a pas non plus la hargne d’un Snake, n’en est pas moins un personnage cynique, désabusé et foncièrement misanthrope. On décèle cette part de cynisme jusque dans les personnages les plus éloignés des héros d’action de J.C : le docteur Loomis d’Halloween, interprété par l’excellent Donald Pleasence, semble vidé de l’intérieur après avoir côtoyé ce qu’il appelle le « mal incarné » en la présence Michael Myers. Se seule obsession est de détruire Myers, et son pessimisme est effrayant…
Héros sans illusions, les personnages de Carpenter semblent s’inscrire comme des alter ego d’un réalisateur qui se dit lui-même cynique et désabusé. Ces personnages « sont toujours forcés de faire, d'agir. Ils voudraient faire autre chose, ou s'y prendre autrement, mais il y a toujours quelqu'un pour les obliger à intervenir. Ils ne sont pas faibles pour autant. » C’est ce qui rend bien sur ces personnages si intéressants. Mais Carpenter en profite pour aller plus loin et iconiser son type de héros à travers quelques figures emblématiques…

Napoleon Wilson, Snake Plissken, John Nada, Jack Crow, Desolation Williams…

Autant de noms devenus familier au fan de fantastique à la Carpenter. On le disait, Napoleon Wilson donne le là. On ne sait pas ce qu’il a fait, mais il est présenté dès le départ comme un beau salopard, condamné à mort. Etrangement, il fera cause commune avec un représentant de la loi pour sauver sa peau, et restera fidèle à cet engagement. Malgré qu’il ne soit pas présenté comme le personnage principal d’Assaut, c’est bel et bien Napoleon Wilson qui définit les caractéristiques principales de ce type de personnage chez Carpenter.
Mais bien plus que Wilson, c’est Snake Plissken qui restera comme l’emblème du style de Carpenter. Avant tout, à l’instar des personnages du far west, réputé pour être par exemple le tireur le plus rapide du coin, Plissken est une légende son vivant, que tout le monde connaît sans l’avoir vu. Il est rattrapé par son histoire et les médias ("l'homme le plus dangereux des USA" nous dit la télé dans LA 2013), et devient une icône, une légende. Dans un New York transformé en prison à ciel ouvert, tout le monde le connaît mais le croyait mort. Dans Los Angeles, tout le monde le croyait plus grand, effet clair de la médiatisation involontaire du personnage à la suite de ses exploits new yorkais.
De son passé, on ne sait pas grand-chose, si ce n’est qu’il est un ancien héros de l’armée, promis visiblement à une grande carrière s’il n’avait pas été un individualiste et un sociopathe forcené. Snake a foutu cela à la poubelle, comme il refusera d’ailleurs de sauver le monde à la fin de New York 1997. Carpenter dit de lui :
« Snake Plissken symbolise surtout la liberté totale sans entrave, sans la moindre contrainte sociale. Il se fiche de tuer, de secourir les gens. Il est terriblement mauvais, terriblement innocent. Rien ne peut le changer, c’est un incorruptible. Tout ce qu’il désire, c’est vivre 60 secondes de plus. »
Une chose est sur : il ne sauve le président des Etats-Unis ni par altruisme, ni par patriotisme, ni par le sens du devoir si cher au cinéma américain. Un scène résume à merveille le personnage : cherchant le président dans les bas-fonds new yorkais, Plissken assiste à un viol. Il n’interviendra pas. Ce n’est pas son business. De fait, Snake n’a pas voulu de sa mission, elle lui est imposée par la force. Le caractère individualiste du personnage explosera dans LA 2013, ou la caricature n’empêche pas un nihilisme féroce, Snake jetant volontairement aux ordures 200 ans d’évolution technologique à la fin du film. Son « welcome to the human race » qui clôt le film, fait au final froid dans le dos. Il peut se traduire aussi par un retour à la loi de la jungle, une explosion de toutes les contraintes sociales. Snake s’en fout, il sait qu’il sera capable d’y survivre. Il est, et reste, un prédateur.
La « fuck you attitude » de Jake Crow, dans Vampires, relève du même procédé. Comme Snake, Crow ressemble plus à un pistolero hors-la-loi qu’à une figure héroïque classique. Dommage que le dernier en date, Desolation Williams dans Ghosts of Mars, soit mal servi par le peu charismatique Ice Cube. On sent le personnage de la même trempe qu’un Snake.
Sort d’exception, John Nada, le héros d’Invasion Los Angeles, apparaît comme bien plus généreux que les personnages précédents. Même s’il s’y prend avec violence, son but premier est de « libérer la conscience » des gens, de les réveiller pour qu’ils se rendent compte qu’ils sont manipulés. Il partage beaucoup d’aspects avec Plissken, mais ne le suit pas dans son désintérêt. Cela ne lui réussira d’ailleurs pas, car là ou Plissken survit à tout, Nada succombera. Si Invasion L.A est un des films les plus engagés de JC, c’est aussi un des plus généreux : Nada ne se contente pas de dénoncer en vivant comme un parasite sur le système, il agit pour le bien commun. L’évolution (est- ce celle de Carpenter ?) fait un peu peur : dans LA 2013, plus question de sauver qui que ce soit. Snake se fout de tout et détruit tout technologie, sans une once de culpabilité…

Le look "Comics"

Si le passé des personnages n’est jamais éclairé et que leur psychologie n’est pas mise en avant (on sait que Plissken est un criminel, on se doute que Crow n’est pas un ange et c’est à peu près tout), les personnages doivent s’imposer immédiatement par le biais de leur physique.
Dans les deux cas, on sent l’influence du comics. Snake, avec son bandeau à la Nick Fury, est un icône BD presque immédiate. On y rajoute la barbe mal taillée, le cigarillo, le long manteau, les flingues ostensiblement portés. Plus comic book, tu meurs ! Crow, et son look de cow boy moderne (jeans, cuir, santiags) relève du même procédé. Un attirail de bad guy au service de héros pas nets.

Origines ?

On l’a dit et répété, Carpenter adore le western. Si ces préférences cinématographiques vont clairement à un western de facture classique, ses héros sont pourtant typiquement inspirés d’une période qu’il n’apprécie pas forcément, celle du western spaghetti et de ses héros sales et méchants. S’il juge cette période comme une dégénérescence de l’âge classique du western, il en a retenu les aspects ambigus de l’héroïsme. Comment ne pas penser au Clint Eastwood immortalisé par Sergio LEONE ?
Au-delà de cette filiation, il est vraisemblable que Carpenter a injecté un peu de lui-même dans ses héros. Le parcours de Carpenter ressemble un peu, toute proportions gardées, à l’un de ses personnages. On le sait, Carpenter est un frondeur. Il agit seul et ses relations avec les grands studios ont toujours dégénérés. Il va à contre courant, ne surfe pas sur les modes. Il se représente souvent comme étant lui-même un mercenaire, prêt à réaliser une suite à l’un de ces films « pour peu qu’il y ait un paquet de dollars à la clé». Malgré ce détachement, il est toujours resté fidèle à ses principes. Il entre dans cette famille peu fréquentée des cinéastes frondeurs. Alors, y a t’il du Snake en Carpenter ?
« II y a effectivement du John Carpenter en lui. A Hollywood, on me perçoit comme un hors la loi. Je suis un rebelle, comme Sam Peckinpah l’était par le passé. Je revendique ce titre ».
Et pour tous les autres personnages ?
« C’est la même personne à chaque fois. C’est moi idéalisé. Je n’en ai pas encore fini avec ce personnage, il en reste encore une ou deux variantes possibles. Je crois que, de cette façon, chaque réalisateur peut découvrir des choses sur lui-même. »