Journée rétrospective à l'Etrange Festival
Retour dans le passé avec Arrabal, John Ford et Jack Sholder
Pas de nouveautés pour nous en ce mardi de l'Etrange Fstival, mais des perles rares sorties du passé, présentées (fort bien) par Jean-Pierre Mocky (Viva la Muerte et La Dernière Fanfare) puis Rurik Sallé (Dément).
Ca démarre fort avec le film-choc Viva la Muerte. Pendant la guerre civile en Espagne, sous le régime franquiste, un garçon découvre que sa mère catholique a dénoncé son père antifasciste, alors emporté par les soldats et condamné à mort. Le garçon va chercher à savoir ce qu’est devenu son père. Comparse d’Alejandro Jodorowsky et de Roland Topor (à qui l’ont doit les superbes dessins sordides du générique de début, dans lequel on peut entrevoir les horreurs à suivre tout au long du récit) au sein du groupe Panique, l’artiste polyvalent (et fou) Fernando Arrabal construit, d’après son livre Baal Babylone, une sorte d’autobiographie cathartique (il exorcise un traumatisme d’enfance) et teintée de fantasmes, de perversions, de surréalisme et de satire politico-sociale, évoquant un père mystérieusement porté disparu, une mère pieuse et castratrice, l’anticléricalisme sous le régime fasciste et toutes ses obsessions, le récit naviguant entre la réalité du garçon et ses visions oniriques (qui traduisent l’imagination de l’enfant). Avec ce culte Viva la Muerte (cri de ralliement du camp franquiste), qui est aussi son premier long métrage (avant J’irai comme un cheval fou ou L’Arbre de Guernica), Arrabal fait dans la psychanalyse freudienne provocatrice (cf. les relations très ambigües entre le fils et sa mère), dans la métaphore outrancière et dans la transgression religieuse pour raconter son histoire. En hommage au Chien andalou de Luis Bunuel, Arrabal n’hésite pas non plus à verser dans le trash organique et charnel (le garçon va jusqu’à vomir sur la caméra, dans un plan répété à plusieurs reprises !), non sans complaisance, allant du scatologique à l’énucléation en passant par le sadomasochiste et les mutilations en gros plan. Les gags scabreux peuvent parfois servir l’émotion : en filmant un mourant lâchant des flatulences, Arrabal fait passer l’enfant du rire aux larmes. En bon surréaliste, le cinéaste-poète-romancier-peintre Fernando Arrabal multiplie les figures de style (cf. les séquences en bichromie de cauchemars/fantasmes morbides), souvent avec humour, et témoigne d’une folle inventivité narrative et formelle qui inspirera des cinéastes comme David Lynch ou Raoul Ruiz. Si ce film franco-tunisien n’a aujourd’hui plus l’impact qu’il devait avoir à sa sortie en 1971 et reste très ancré dans son époque (fin années 60/début années 70), il est aussi reconnu comme étant le premier film, bien que controversé, à ne pas avoir subit la censure. Dés lors, les interdictions de projeter n’auront plus lieu. Ca tombe bien, puisque Viva la Muerte traite justement des interdits religieux (transgressés) et de la censure (qui vole en éclat). On en ressort également avec la savoureuse chanson Ekkoleg dans la tête, une comptine entêtante et décalée pleine de sous-entendus.
Passons sans transition à La Dernière Fanfare, l'un des films les plus rares de John Ford, qui confiera que c’est celui qu’il préfère dans sa filmographie, regrettant que ce soit aussi le moins connu. Si nombre de ses films sont plus ou moins politiques, La Dernière Fanfare (ou The Last Hurrah) est le seul « vrai » film politique que réalise John Ford. Il y relate la dernière campagne d’un maire démocrate vieillissant (fabuleux Spencer Tracy). Ford démontre que la politique est avant tout une affaire de relations, il ne s’agit pas ici défendre des valeurs (qu’elles sont républicaines ou démocrates) mais de défendre sa place dans la société (donc des valeurs individuelles et non collectives/politiques), comme souvent chez John Ford. Et pour défendre sa place, tous les coups sont permis, dans un camp comme dans l’autre (malgré toute la sympathie qu’il dégage, le maire joué par Spencer Tracy est loin d’être un enfant de cœur, avouant lui-même abuser de méthodes douteuses comme le chantage). Avec La Dernière Fanfare, Ford entamait une remise en question des valeurs de son pays. Comme un John Wayne dans La Prisonnière du désert, Spencer Tracy (également assisté de Jeffrey Hunter, comme Wayne dans le film précité) incarne l’un des derniers de son espèce, dépassé par les nouvelles têtes, les nouvelles exigences, les nouvelles mentalités (le film s'inscrit dans le changement des années 50). Lorsqu’il disparait, toute une époque disparait avec lui. L’un des personnages (le comble : un curé) dira : « Je préfère un roublard sympathique à un franc imbécile », réplique digne d'Audiard qui aurait parfaitement pu être prononcée par Ford lui-même. En ce sens, La Dernière Fanfare peut rappeler l’excellent Le Président d’Henri Verneuil (justement écrit par Michel Audiard), avec Jean Gabin. Disons que passer du maire Spencer Tracy à son rival plus jeune, c’est un peu comme de passer de Jacques Chirac à Sarkozy. Le film de John Ford est si pertinent, sans jamais verser dans la morale ou le démonstratif, qu’il fait encore échos au milieu politique de nos jours, que ce soit en France ou aux Etats-Unis. John Ford y confirme son amour des seconds couteaux, offrant ici des rôles en or (et, pour la plupart, parmi les derniers de leur carrière) à de vieux briscards comme Basil Rathbone, Pat O'Brien, Donald Crisp, James Gleason ou John Carradine. La description désenchantée mais pleine d’humour de cette campagne électorale n’est pas sans rappeler d’autres grands films politiques, comme Les Fous du Roi de Robert Rossen ou Tempête à Washington d’Otto Preminger. A noter que La Dernière Fanfare a été remaké pour la télévision en 1977 par Vincent Sherman, avec Carroll O'Connor dans le rôle du maire.
Changement total de registre avec le film suivant, dans la programmation des pépites de l'étrange du festival. Quatre patients d’un hôpital psychiatrique (dont Jack Palance, Martin Landau et Erland van Lidth) profitent d’une coupure d’électricité générale (qui provoque des émeutes dans la ville) pour s’échapper, avec pour objectif de se venger d’un docteur qui leur a fait subir de mauvais traitements. Mais ils traquent le mauvais docteur (ce pauvre Dwight Schultz, Looping dans L’Agence tous risques).
Premier film de Jack Sholder (connu pour Flic et rebelle et surtout Hidden), Alone in the dark (titré Dément chez nous) est l’une des premières productions de la New Line, qui s’imposera dans la décennie eighties grâce à la saga des Freddy, dont on peut entrevoir ici des prémices (d’autant plus que Jack Sholder réalise justement La revanche de Freddy, l’un des moins bons de la franchise), et ce dés l’excellente séquence introductive de cauchemar. Détail amusant : l’un des fous fraichement échappés (le quatrième, le plus discret) enfile un masque de hockey avant de trucider une victime : nous sommes en 1982 et le troisième Vendredi 13, celui dans lequel Jason Voorhees trouve son masque légendaire, sort la même année. Avec ses psychopathes boogeymen qui terrorisent une famille dans un petit bled des Etats-Unis, Alone in the dark (rien à voir avec le jeu vidéo) déballe en effet bon nombre de codes du slasher/survival dés la fin des années 70 (quand le genre mettait en vedette les vedettes et non les victimes, d’où le « film de boogeyman »), codes qui n’étaient pas encore devenus des clichés désuets. Il affiche également aussi les défauts du slasher dans cette période, à savoir des invraisemblances de script grossières, des rebondissements grotesques ou des réactions aberrantes (la fille qui reste plantée sur le lit alors qu’il y a un tueur juste en dessous), des inconvénients tellement ancrés dans le genre dans les années 80 qu’ils ne choquent pas plus que ça. Le film de cet excellent artisan qu’est Jack Sholder évoque bien entendu les deux premiers Halloween : dans Halloween, la nuit des masques comme dans Dément, un psychopathe s’échappe d’un asile avec l’objectif d’assassiner une cible bien particulière, terrorisant dans sa mission une petite ville en pleine agitation (la fête d’Halloween d’un coté et les émeutes de l’autre). La présence de Donald Pleasence (l’éternel Docteur Loomis, nemesis de Michael Myers) dans le rôle du directeur de l’asile vient appuyer cette référence, avec cependant beaucoup d’humour et d’ironie, le directeur délirant et irresponsable joué par Pleasence ayant l’air aussi fou que ses patients. Sholder s’amuse d’ailleurs souvent à inverser les rôles, montrant qu’un fou lâché en pleine ville n’a pas l’air plus fou que les autres (cf. la jouissive dernière séquence avec Jack Palance et la fille pendant la fête, ou encore le cauchemar qui ouvre le film et dans lequel le directeur de l’asile apparait comme un dangereux serial-killer et Martin Landau comme une victime). Les trois principaux psychopathes de Dément sont tout de même particulièrement corsés, l’occasion pour les trois acteurs, l’imposant Jack Palance (hypnotique à chacune de ses apparitions, hélas trop rares), le troublant Martin Landau et le gros Erland van Lidth (Terror dans Les Seigneurs et Dynamo dans Running man), de se lâcher dans un registre grandguignolesque, tout en restant sordides et inquiétants (Martin Landau fait fort). Car Dément vaut en grande partie pour son casting de gueules cultes en roue libre (on croise aussi le black Brent Jennings dans un rôle très drôle d’aide-soignant bizarre). Rappelant fortement aussi le Halloween de Rob Zombie (qui est probablement un grand fan du film de Sholder), Dément charme également pour son atmosphère de folie, son ambiance très eighties, ses quelques mises à mort (à part l’empalement à l’arbalète du pauvre flic contre un arbre, le film reste cependant assez timide sur ce point, jouant trop souvent sur le hors-champs), pour l’ironie mordante de son dénouement (les psychopathes se sont simplement trompés de cibles) et pour sa dernière partie stressante quelque part entre Chiens de paille et Assaut. Pour l’anecdote, c’est aussi l’un des premiers films d’horreur en Dolby Stereo sound.
Si Richard B. a apprécié le film aussi, en grande partie pour son casting, il est cependant plus gêné par les incohérences et trouve que l’idée du pitch n’est pas assez exploitée.
Reportage de Jonathan C. et Richard B.
Publié le mercredi 7 septembre 2011 à 16h57
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Dément
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