De la folie à l'Etrange Festival
Anti-super héros, rites païens, trafiquants glauques et amour fou
Ce mercredi a débuté avec le toujours aussi bon Super, qui avait déjà été notre coup de cœur du BIFFF et du NIFFF ! Une belle occasion donc pour les parisien cette fois-ci de découvrir cette petite perle d'humour noir signé des mains d'un James Gunn particulièrement en forme. Il faut dire que ce dernier est pourvu d'un casting quatre étoiles avec en tête une Ellen Page hallucinante (pour moi la demoiselle serait digne d'un oscar) . L'actrice de Juno semble en effet complètement heureuse de faire partie de ce projet et offre une prestation aussi majestueuse que mémorable. Pour le reste, on n’oubliera pas de citer les présences déjà bien remarquables de Rainn Wilson, Liv Tyler, Kevin Bacon, Michael Rooker ou encore Nathan Fillion. Super qui se trouve être dans l'esprit d'un Kick-Ass à la sauce encore plus "dark" se montre être totalement irrévérencieux, drôle, saignant, et rien que le générique de départ mériterait le déplacement. L'expérience des productions Troma n'est pas loin excepté que le film à une fière allure et ne parait jamais fauché. Batman et Robin n'ont qu'a bien se tenir, car Crimson Bolt et Boltie sont dans la place et autant dire que ça fait mal !
L'avis de Jonathan C. : Une version trash et déjantée de Kick-Ass, qui était déjà une version trash et déjantée des films de super-héros ? C’est Super, c’est le cas de le dire, et c’est à la fois du Kick-Ass et de l’anti-Kick-Ass. Comme dans le film de Matthew Vaughn, un loser au plus bas (Rainn Wilson), un type transparent sans histoires (il compte deux "moments parfaits" dans sa vie) qui voit sa femme (Liv Tyler) le quitter pour un dandy dealer (Kevin Bacon, qui joue en même temps le bad guy dans le X-Men : first class de, justement, Matthew Vaughn) nommé Jacques (!), décide de devenir un super-héros pour lutter contre le Crime et pour sauver sa Belle en passe de devenir une junkie dans les griffes du bad guy Jacques.
Super reprend donc un canevas identique à Kick-Ass, mais va cependant l’assumer jusqu’au bout, là ou le concept transgressif du film de Matthew Vaughn était contredit par une dernière partie (certes jouissive) pleine de surenchère pyrotechnique dans laquelle le loser devient un vrai héros, statut confirmé par un happy-end. Dans Super (qui est certes un film indépendant à 2 millions de dollars et non l'adaptation couteuse d'une BD culte), pas de climax bourrin et pas de happy-end. Au contraire, le dénouement est très dramatique (mais drôle) et la fin étonnement désenchantée. Le récit de Super, plus réaliste et donc plus pathétique que dans un Kick-Ass (on est plus proche du fun Mystery men avec Ben Stiller, qui avait pour le coup prit de l’avance sur la tendance), suit le quotidien d’un pauvre type qui, influencé par un sitcom débile dont le super-héros bodybuildé est Jésus-Christ (joué par Nathan Fillion), se met en tête d’être son propre super-héros : il créer son costume (plutôt classe) faute d'avoir la carrure, se trouve une arme (une clef à molette) faute d’avoir des super-pouvoirs, dégote un nom de super-héros miteux (The Crimson Bolt, soit en français : Éclair Cramoisi), fait sa promo en douce tel un communisme sous le Maccarthysme et va, prétextant les préceptes de Jésus, chasser le Crime dans les rues, se postant dans un coin en attendant l’arrivée du Crime. Le héros The Crimson Bolt et son acolyte Boltie (délicieuse Ellen Page en super-héroïne névrosée) ont plus l’air de deux échappés d’un asile que de justiciers, surtout quand ils se mettent à tabasser violemment n’importe qui pour n’importe quel motif (resquiller dans une file d’attente au cinéma mérite de se recevoir de gros coups de clef à molette dans la tronche…bien fait !). Les scènes de tabassage sont plutôt corsées, et les deux complices finissent même par tuer. Quand à la scène d'amour très fétichiste entre The Crimson Bolt et Boltie, on pourrait plutôt parler d'un viol.
D’un autre coté, Super se révèle émouvant quand on s’y attend le moins, que ce soit dans la relation à sens unique entre le héros et la geek, dans le désarroi pitoyable du héros encore fou amoureux d’une femme qui l’a quitté, dans un final intense (le morceau Libby Goes Down de Tyler Bates est formidable !) à la fois cruel, lucide et cathartique, et dans une très jolie fin pleine de bon sens et de poésie. Comme quoi, faire dans le mauvais esprit n’empêche pas de faire dans l’émotion. Un peu comme chez Michel Gondry, le style est à la fois arty et minimalisme, intégrant quelques inventions visuelles très BD (des dessins animés, des onomatopées…), sur une BOF du tonnerre (qu'elle soit punk ou contemplative), dont on retient particulièrement la Two Perfect Moments de Tyler Bates.
Super, c'est un peu comme si Trey Parker et Matt Stone s'étaient emparé du film de super-héros, avec cependant plus de provocation et de trash que chez James Gunn. C'est un peu aussi une version super-héros (et beaucoup plus posée) de Hobo With a Shotgun. Irrévérencieux, hilarant (beaucoup de passages tordants, surtout quand Crimson Bolt commence à agresser le Crime dans la rue, cognant avec rage sur des dealers, des resquilleurs et des pédophiles), délirant (Ellen Page en tient une couche !) et fun (rien que dans son générique de début), Super porte la marque de James Gunn, transfuge de chez Troma (dont le patron culte Lloyd Kaufman fait un caméo), scénariste de L'Armée des morts et des Scooby-Doo et réalisateur du déjà jubilatoire Horribilis, dans lequel on retrouvait aussi Nathan Fillion et les seconds couteaux Michael Rooker et Gregg Henry (ici dans le rôle d’un homme de main et d’un flic). Entre Liv Tyler (qui semble avoir vieillie) et Ellen Page (vraiment craquante en geekette folle), Super ne manque pas de charme, et offre un rôle en or à l’excellent mais peu connu Rainn Wilson (employé débile de The Office, rocker dans Presque Célèbre, épicier dans Juno, victime geek de La Maison des 1000 morts, scientifique dans Sahara et Mimzy le messager du futur, prof dans Transformers 2, etc.), qui tenait aussi la tête d’affiche de la comédie The Rocker, dans laquelle un type banal décide de devenir une rock-star. C'est plus ou moins ce qu'il se passe aussi dans Super...
Passons au polar avec Bullhead : Pour un premier film, Michael R.Roskam commence plutôt fort et se montre dès à présent comme un réalisateur à surveiller de très près. Bullhead nous amène à faire la connaissance d'un certain Jacky, un jeune à la carrure imposante et issu d'une famille d'agriculteurs et d'engraisseurs du Limburg. L'élevage bovin étant loin d'être une activité facile, Jacky et sa famille doivent s'aider des hormones de croissance afin de fournir toujours plus en quantité. Jacky est d'ailleurs de mèche avec la pègre fournissant ce type de produit. Tout aurait pu se passer pour le mieux si un agent fédéral ne s'était pas fait assassiner dans les parages...Dès les premières minutes on est plutôt impressionné par la maturité de Michael R.Roskam, à savoir placer sa caméra et sur ça façon de filmer ses acteurs, ou plus particulièrement son acteur (la performance physique comme de jeu de Matthias Schoenaerts est très impressionnante). Cependant, Michael R.Roskam n'est pas totalement aussi bon scénariste qu'il est réalisateur, et l'histoire aurait mérité de passer par un "script doctor" pour se voir allégée de quelques pages afin de gagner en rythme et se voir corriger de quelques artifices qui semblent par moment là juste pour conduire à un final particulièrement impression et émouvant, mais tout de même amené par une sous-intrigue qui aurait pu être plus subtile et mieux intégrée à l'ensemble. Il demeure que Michael R.Roskam s'offre avec ce premier film une très belle carte de visite et les offres à venir pour d'autres productions cinématographiques ne devraient pas trop se faire attendre.
Place à la nouvelle Hammer avec Wake Wood. Comme pour Bruxelles et Neuchatel, l'affiche nous annonçait fièrement un "Hammer présente", mais pour nous la déception est de mise ! Wake Wood de David Keating reste au final qu'un sous-Simetierre plutôt prévisible, souvent poussif, mis en scène assez pauvrement avec beaucoup de gros effets appuyés. On retiendra bien quelques petits passages intéressants, comme le plan final, mais reste qu'on est très loin des promesses espérées. Heureusement The Woman in Black nous laisse beaucoup d'espoir sur le retour de la firme anglaise.
L'avis de Jonathan C. : Après la mort accidentelle de leur fille, un couple vient vivre à Wake Wood, un petit bled apparemment comme les autres. Mais Patrick (l’irlandais Aidan Gillen, le méchant de 12 Rounds, Shanghai Kid 2 et Blitz) et Louise (l’irlandaise Eva Birthistle, qui affrontait déjà des enfants pas nets dans The Children) se rendent compte que la ville est parfois animée par un étrange rite païen séculaire, qui permet de faire revenir à la vie pendant trois jours des personnes décédées depuis moins d’un an. Le gentil couple, d’abord choqué (mais pas pour longtemps), est évidemment tenté par l’expérience que leur propose le maire (Timothy Spall), ce qui leur permettrait de dire adieu à leur fille et de faire leur deuil. Mais quelque chose cloche, on s’en doute…
Après l'excellent Laisse-moi entrer et le très mauvais La Locataire, Wake Wood est la troisième production de la nouvelle Hammer et reste encore bien loin des réussites d’autrefois du studio mythique. Mélange exact entre Simetierre et The Wicker Man, qu’il pompe allègrement, Wake Wood pose une atmosphère inquiétante dés son générique de début, prometteur, mais va rapidement s’embourber dans les invraisemblances. Le pitch en soi n’est pas crédible une seconde : impossible de croire que des parents qui viennent de perdre leur fille se laissent embarquer si facilement dans un rite païen censé la faire revenir à la vie, et encore moins qu’ils aillent profaner la tombe de leur fille et mutiler son corps (pour prélever quelque chose qui lui appartient physiquement) ! La suite ne va pas en s’arrangeant, le film se clôturant sur un final grotesque et ennuyeux.
C’est d’autant plus dommage que le réalisateur David Keating (qui réalise là son second long métrage, 15 ans après la comédie dramatique The Last of the High Kings) n’est pas un manche (pas plus que celui de La Locataire, qui coulait aussi à cause de son scénario) et que son film est visuellement soigné, concocté à l’ancienne (c’est plutôt posé, sans effets tape-à-l’œil, privilégiant l’ambiance). D’un classicisme appréciable, sans refaire dans l’esthétique gothique comme ça semble être le cas de The Woman in Black (la prochaine production Hammer), Wake Wood retrouve une ambiance rurale et lugubre à la Hammer, plongeant ses personnages au cœur des secrets morbides d’une petite communauté d’un autre âge (on pense à L'invasion des morts-vivants ou au Cirque des vampires), avec ses habitants douteux, ses superstitions et ses traditions. Dans le dernier tiers, la partie horrifique (lorsque l’enfant revenue à la vie commence son carnage) est nettement moins réussie, reprenant une esthétique plus proche du slasher lambda dans une narration brouillonne et un rythme pataud.
Tout est déjà vu, sans surprises, et le film reste très sage, tant dans le fond (le versant transgressif du sujet est ignoré, tout comme sa mythologie) que dans la forme (seules trois scènes font leur petit effet : le générique du début, le fermier écrasé par un bœuf et les parents qui fouille la dépouille pourrie de leur fille). C’est bien fait, propre et très regardable (d’autant plus que ça se passe en Irlande, donc beaux paysages et charme bucolique), mais l’absence totale d’humour vis-à-vis d’un sujet aussi absurde plonge plusieurs fois le film dans le ridicule (la pirouette finale est cependant très ironique). Oubliable…
Les festivaliers de l'étrange ont pu aussi découvrir Milocrorze de Yoshimasa Ishibashi. Film plutôt déjanté aux allures cartoonesques, dans un esprit très « manga ». Ce film « ovni » est construit sous forme de 3 histoires. La première et dernière partie nous racontant les mésaventures amoureuses d'un jeune garçon dans un univers ultra-coloré, la seconde partie nous amène à suivre un conseiller – déjanté - en histoires d'amour, puis enfin une ultime histoire suivant un Samouraï à la recherche de sa chérie, kidnappée et qui est devenue suite à cela une prostituée. Amusant en première partie, le film possède cependant de grosses pertes de rythme et par moment on s'y ennuie presqu'à mourir.
L'avis de Jonathan C. : Un homme rencontre la femme de sa vie, mais elle est kidnappée par des yakuzas. L’homme va tout faire pour la retrouver. C’est à peu près le seul résumé que l’on puisse faire d’un tel OFNI, qui commence sur un conte coloré kawaii tout plein (un homme sans âge et sans histoires au nom imprononçable rencontre une femme, Milocrorze, dont il est éperdument amoureux) puis passe d’un gangster pop mué en prédicateur de l’amour (il donne des conseils online à de jeunes puceaux) à un ronin romantique au temps des samouraïs (il recherche sa Belle dans un réseau de prostitution), dans les deux cas interprété par Takayuki Yamada (qui tient aussi un troisième rôle). Le réalisateur Yoshimasa Ishibashi, ancien leader et vidéaste expérimental du groupe populaire Kyupi Kyupi (dont les clips sont très proches de Milocrorze), mélange les époques (le ronin percuté par la voiture du prédicateur fou), les esthétiques et les genres, passant à la moulinette le film d’animation, le film de samouraïs, le wu xia pian, le chambara, le film de yakusas, la comédie musicale pop, le manga, le drama, les séries télé des années 60 et 70, le western ou le polar. Dénuée de frontières spatio-temporelles, cette narration azimutée qui part dans tous les sens, passe du coq à l’âne et semble ne rien raconter, comme un film à sketchs sans queue ni tête et sans fil conducteur, est en réalité la jolie métaphore d’un état d’esprit et d’un état physique : l’amour fou. Derrière ses airs de film fait sous cocaïne, Milocrorze montre le monde vu sous le regard fantaisiste et excessif de l’amour fou. Et puisqu’il est question de folie, le réalisateur accumule les moments déglingués, de la partie avec le prédicateur trash de l’amour (franchement très drôle) à un interminable (mais jubilatoire) combat, plan-séquence en traveling et ralentis-accélérés dans lequel le héros affronte des dizaines de samouraïs pour retrouver sa bien-aimée. Sans oublier la rencontre candide autour des fleurs, ou le conte irrésistible, décalé et émouvant qui ouvre et ferme le film. Aussi kitsch que sophistiqué, débordant d’énergie, de couleurs et de vitalité, Milocrorze peut finir par fatiguer mais fait preuve, dans son esthétique mixte et son brassage culturel, d’une inventivité délirante et réserve beaucoup de surprises (dont de l’émotion). Une œuvre ensoleillée et radieuse, ode à l’amour fou et patchwork pop, sexy, fun et kawaii d’une passion créatrice.
Reportage de Jonathan C et Richard B.
Publié le jeudi 8 septembre 2011 à 16h30
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