L'Etrange Festival 2012 - Jour 10
Histoires de sushis, de tourisme et de chirurgie.
Un samedi chargé à l'Etrange Festival : du neuf comme du vieux, du bon comme du moins bon, la présence de Jan Kounen et Ben Wheatley...
Dans le cadre de sa carte blanche, Jan Kounen est venu présenter le délirant Mort sur le grill de Sam Raimi puis le sublime Koyaanisqatsi de Godfrey Reggio, documentaire contemplatif et expérimental fascinant dont la bande-son de Phillip Glass est un véritable chef d'oeuvre (Zack Snyder en a même repris un morceau pour son Watchmen).
Avant la projection de Mort sur le grill était montré le segment censuré de Jan Kounen pour Les Infidèles (comédie à sketch grinçante dans la tradition des comédies italiennes des années 60). Dans ce sketch très drôle et évidemment trash, Gilles Lellouche se laisse embarquer dans le piège d'une belle salope (Mélanie Doutey), si je puis dire. Le cinéaste joue avec les codes du cinéma d'horreur (la maison au fond des bois, les rednecks...) et ne laisse aucun échappatoire à son personnage. Jean Dujardin est hilarant en caricature de bobo.
Quand à Mort sur le grill, c'est un vrai plaisir de le revoir sur grand écran en 35mm (effet grindhouse assuré). Ce n'est que justice pour ce film réalisé en 1985 par Sam Raimi suite au succès d'Evil Dead mais qui sera un échec cuisant en salles (il sera réhabilité au fil des années par les cinéphiles), ce qui forcera le cinéaste à revenir aux Evil Dead (tant mieux !). Écrit par les frères Coen, ce cartoon live pastiche les films noirs des années 40 (un condamné à mort tente d'expliquer son innocence en se rendant à la chaise électrique, d’où le récit en flashback avec voix off), un peu comme dans Qui veut la peau de Roger Rabbit ? 3 ans plus tard, et y injecte une bonne dose de Tex Avery et de Trois Stooges (cf. les tueurs Faron et Arthur), dans une esthétique plutôt années 50. Hystérique, burlesque et nerveux mais non dénué d'une certaine tendresse (avec son héros naïf), Mort sur le grill cumule les grands moments (la poursuite à travers les portes, le face-à-face avec le black aveugle, la longue course-poursuite finale...) dans une mise en scène virtuose, passe-partout et constamment en mouvement. Mort sur le grill a marqué aussi pour son casting de gueules : Brion James et le maousse Paul L. Smith (Falkon dans Kalidor et Bluto dans le Popeye de Robert Altman) dans les rôles cultes des "exterminateurs", Bruce Campbell hilarant en goujat à tarter, le grand producteur Edward R. Pressman qui vient s'amuser un peu à l'écran, et des apparitions de Frances McDormand, Ted Raimi et les frères Coen.
-Dead Sushi
Keiko, une jeune femme de 21 ans, s’enfuit de sa maison pour ne plus avoir à subir les entraînements très stricts de kung-fu et de cuisine de son père. Elle trouve refuge dans une auberge où un staff excentrique et un groupe de pharmaciens en séminaire la ridiculisent. Mais un ancien pharmacien avide de vengeance répand un sérum capable de transformer les sushis en créatures affamées...
L'avis de Richard B : Le réalisateur de The Machine Girl, RoboGeisha ou encore de Mutant Girls Squad continue dans sa mouvance des films excentriques, décalés et gores avec cette fois des “attaques des sushis tueurs”. Si la bonne humeur reste de service (difficile de ne pas l'être avec un tel sujet) et la mise en scène s'améliore - un peu - avec quelques chorégraphies de kung-fu assez notables et un rythme un poil mieux géré, on est encore loin de la réussite (sauf pour les amateurs puristes du genre). En toute honnêteté, si les premiers films de ce type (petite pensée surtout à Tokyo Gore Police) avaient réussis par leur énergie et ce délire alors jusqu'ici peu rependu a créee l'enthousiasme, un certain nombre de films sont sortis depuis et désormais l'exigence en la matière se doit de grandir avec des scénarios pas forcément évolués (sinon on perdrait tout le côté fun), mais mieux structurés et équilibrés. Car une fois de plus, après 40 minutes de film, on a l'impression d'avoir fait le tour de l'attraction et l'amusement du départ laisse place à l'ennui. Il est certain qu'il est difficile de ne pas sourire lorsqu'apparait l'homme-poisson avec sa hache, ou encore le sushi-citron tout mignon (sorte de Gizmo modèle tranche de poisson accompagné de riz) aidant les humains dans cette confrontation assez hors-normes, pour autant le sourire a ses limites, car l'excès n'est jamais trop bon d'autant lorsque que certains CGI autour de ses sushis "volants" sont médiocres. Cette séance proposée par l'Etrange Festival restera tout de même marquante, en partie de par la bonne humeur du public, mais aussi parce que Justin Benson et Aaron Moorhead, les réalisateurs de Résolution sont venus présenter ce dernier avec un entrain communicatif :
L'avis de Jonathan C : Après Calamari Wrestler, voici les sushis mutants de Dead Sushi. Comme on pouvait s’en douter, c’est évidemment un grand n’importe quoi, dans la tradition Sushi Typhoon : réalisation pauvre, interprétations en roue libre, effets spéciaux aussi cheaps qu’inventifs (la patte de Yoshihiro Nishimura), histoire nonsensique, esprit pastiche (survival, film de kung-fu…), mises à mort délirantes, gags incluant du gore, des nichons et des pets…Ce qu’il y a de bien avec ces productions nippones, c’est qu’elles sont totalement libres et osent tout, exploitant leur pitch absurde en multipliant en crescendo les idées débiles (le Guizmo des sushis, le sushi-humanoïde-boogeyman armé d’une hache, le vaisseau-sushi, les zombies-sushis, le sushi lance-flammes…) et les situations de mauvais goût (la douche de sang dans la piscine, le pervers qui veut toucher les seins d’une fille en train de se faire manger la bouche par les sushis-tueurs, le riz débordant de la bouche des victimes…). Les scènes d’action sont même très fun (cf. l’héroïne qui dégomme les sushis volants à coups de katana ou à coups de pied), jusqu’aux combats finaux plutôt bien orchestrés et chorégraphiés (le duel entre l’héroïne et le l'homme-poisson ressemble à du Power Rangers sous acide). L’idée de l’art culinaire enseigné comme un art martial est évidemment empruntée au Festin Chinois de Tsui Hark, mais ça ne va guère plus loin. Le spectacle est hystérique et généreux, à la fois navrant et génial. C’est du pur slapstick, du burlesque, du cartoon, par le réalisateur déviant de The Machine Girl et RoboGeisha. Beaucoup de moments hilarants, mais comme souvent c’est trop long et ça finit par fatiguer malgré l’énergie et l’inventivité déployées.
-Touristes
C’est à l’Etrange Festival de l’année précédente que Ben Wheatley avait été découvert avec son implacable Kill List (lire l’article ici), c’est donc en toute logique que l’Etrange Festival lui dédie cette année un focus (projections de son désormais culte Kill List et de son premier film, Down Terrace, un film très noir dans lequel une famille de gangsters cherche à identifier la taupe qui les a envoyé en prison) et que le cinéaste revient présenter son nouveau bébé, Touristes.
(Ben Wheatley intervient sur cette vidéo à 6.40 minutes)
Tina a toujours mené une vie bien rangée, protégée par une mère possessive et envahissante. Pour leurs premières vacances en amoureux, Chris décide de lui faire découvrir l’Angleterre à bord de sa caravane. Un vrai dépaysement pour Tina. Mais très vite, ces “vacances de rêve” dégénèrent : touristes négligents, ados bruyants et campings réservés vont rapidement mettre en pièces le rêve de Chris et de tous ceux qui se trouveront sur son chemin...
L'avis de Jonathan C : Comme le schizophrénique et insaisissable Kill List, Touristes brouille les pistes et mélange les genres, pour un résultat inclassable. Quand on se lance dans un film de Ben Wheatley, difficile de deviner ou le réalisateur va nous amener. Mais à bien y réfléchir, Touristes est surtout une comédie romantique, au fil des pulsions meurtrières ou sexuelles des deux amoureux en road-trip. Avec ce road-movie aussi romantique qu’horrifique, Ben Wheatley fait sa version des Tueurs de la Lune de Miel, son Bonnie and Clyde à lui. Comme dans Down Terrace ou Kill List, les meurtres s’accumulent, les tensions montent, les personnages se révèlent fragiles, paumés et dépressifs, les certitudes laissent place au doute et un imperceptible malaise s'installe jusqu'à l'oppression. Comme toujours chez ce réalisateur, une première partie à priori anodine (des scènes de vie, une esthétique proche du documentaire...) va laisse place petit à petit au cauchemar (évidemment plus stylisé et plus surréaliste).
Et pourtant, malgré un humour noir méchant et ravageur, un ton caustique et acerbe, quelques élans trash (y compris dans les dialogues, cinglants et très drôles), des fulgurances macabres (les corps régulièrement écrabouillés) et une forte cruauté psychologique, c’est de l’émotion qui ressort. Même dans son style, Ben Wheatley est un cinéaste à part : la mise en scène âpre vire parfois à la stylisation (cf. le meurtre au camping) ou au lyrisme (quelques magnifiques plans des paysages naturels), le romanesque s’invite par instants dans le réalisme abrupt. La bande-son décapante en rajoute dans le cynisme (cf. l'utilisation de Tainted Love). Ben Wheatley laisse à ses deux fabuleux acteurs (également coscénaristes) une grande part d’improvisation (le cinéaste est un fan de John Cassavetes). Le cinéma de Ben Wheatley est définitivement hargneux, sauvage, crépusculaire et impitoyable.
Touristes est tranchant, vorace et terriblement romantique. Il est à la fois drôle, tendre et terrifiant. Ben Wheatley n’a pas fini de faire parler de lui, d’autant plus que son Touristes sort en salles à la fin de l’année (le 26 décembre !).
L'avis de Richard B : Le réalisateur Ben Wheatley est sur sa lancée : après avoir présenté l'année précédente son Kill List à l'Etrange Festival, il revient en 2012 avec un road-movie touristique quelque peu macabre (un plan sera même particulièrement gore). Commençant de manière assez froide, le film s'enfonce au fur et à mesure dans un humour de plus en plus noir. Parallèlement à la violence de certains actes du couple formé par Alice Lowe et Steve Oram, Ben Wheatley nous amène à découvrir des lieux reposants, avec par moment des brumes ou des levés de soleil construit comme de magnifiques tableaux. Globalement le film de Wheatley fonctionne, même si parfois on peut reprocher quelques lourdeurs autour de certaines séquences. Pour ma part j'ai particulièrement apprécié la présence d'un chien auquel on impose un problème de crise identitaire.
-Excision
Excision nous amène à découvrir une adolescente en mal-être prénommée Pauline. Son grand rêve de carrière : devenir une grande chirurgienne ! Le problème c'est que son fantasme se situerait plus dans l'opération elle-même et dans le côté bien glauque engendrés de par ces situations que dans l'idée de sauver des vies. Pauline aime aussi être en marge non seulement de ses parents, mais aussi de ses camarades de classe, cherchant à tout instant la meilleure situation pour les provoquer. Mais y a-t-il un retour possible pour Pauline, ou est-ce que le chemin entrepris par cette dernière pourrait la conduire droit vers une folie meurtrière ?
L'avis de Richard B : Le premier des atouts d'Excision se situe ici dans l'interprétation remarquable d'AnnaLynne McCord (Nip/Tuck, 90210 Beverly Hills - Nouvelle génération), livrant un personnage complexe, intriguant et souvent en perpétuelle mutation physique comme intellectuel. Les fans de cinéma de genre trouveront d'ailleurs aussi une forte réjouissance à retrouver quelques « tronches du cinéma » tel que Traci Lords, John Waters, Malcolm McDowell ou encore Ray Wise à travers des seconds rôles plus ou moins importants. Outre la qualité d'interprétation, Excision vaut aussi particulièrement par l'atmosphère qu'injecte Richard Bates Jr à travers sa réalisation et son montage. L'humour noir, ainsi que le penchant pour le glauque extrême, sont parsemés de tout le long avec une savante harmonie. Mais voilà, on dénote par moment quelques essoufflements, notamment dans la seconde partie et dans la fin, abrupte et précipitée, qui déçoit quelque peu en ne se montrant pas à la hauteur du reste du film, bien qu'avec le recul elle soit assez marquante. Excision mérite donc à être découvert.
L'avis de Jonathan C : Pauline est vierge, elle a de l’herpès et des fantasmes sordides à tendance nécrophiles, sa sœur est atteinte de mucoviscidose, sa mère est psychorigide, son père n’a aucune autorité…Voilà le topo de ce nouveau film indé pseudo-choc estampillé Sundance, qui vient se placer quelque part entre du Gregg Araki, du Sofia Coppola, du Lucky McKee et le Teeth de Mitchell Lichtenstein.
Comme peut l’indiquer son casting truffé de figures marginales et sulfureuses (outre l’héroïne sombre et torturée campée par AnnaLynne McCord, on croise les cultes Traci Lords, John Waters, Malcolm McDowell, Ray Wise…), Excision tape dans le trash et la provoc. Mais entre les rêves tapageurs (l’héroïne dans des situations macabres), les confessions de Pauline s’adressant à Dieu et les scènes de déjeuner/repas, le récit tourne en rond et le film en devient rébarbatif. Le réalisateur Richard Bates Jr adapte au format long son court métrage homonyme qu’il avait réalisé 4 ans plus tôt, d’où cette impression qu’il brode pour atteindre la durée d’un long métrage (le Sean Ellis de Cashback avait un peu le même problème). Les acteurs incarnent (certes avec conviction) des caricatures antipathiques, tandis que John Waters (en prêtre improvisé psychiatre !), Malcolm McDowell et Ray Wise n’ont chacun que deux scènes. D’habitude superbe, AnnaLynne McCord (la Eden de Nip/Tuck, Naomi Clark dans la nouvelle série Beverly Hills et l’une des victimes du remake du Jour des morts-vivants) est ici anti-glamour au possible (cernes, herpès, boutons, cheveux gras…).
Comme la plupart des films indépendants du même genre, celui-ci parle du mal-être adolescent et de l’absence de communication entre une fille et ses parents (la relation entre Pauline et sa mère formidablement jouée par Traci Lords est le bon point du film), ce qui mène forcément au drame pour une dernière scène assez forte quoique grotesque. Malgré quelques moments assez drôles (le dépucelage, le vomi…) et des répliques cinglantes (l’humour est très noir), Excision se suit d’un ennui poli et donne surtout l’impression d’être totalement gratuit et racoleur, impression renforcée par une mise en scène clinquante voire tape-à-l’œil (les rêves). Dans le genre film indépendant avec une ado fascinée par la mort, mieux vaut se tourner vers le beau Restless de Gus Van Sant.
Publié le dimanche 16 septembre 2012 à 11h27
Fiches de l'encyclopédie du fantastique en rapport avec l'article
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Mort sur le grill
1 fiche
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Ben Wheatley
6 rôles
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