L'Etrange Festival : jour 1
Espionnage à la coréenne et serial-killer eighties
C'est parti pour une nouvelle édition de l'Etrange Festival, et le programme de cette édition 2013 s'annonce de nouveau savoureux et riche en surprises. Laurence Herszberg (directrice du Forum des Images) et Frédéric Temps (président délégué général de L'Étrange Festival) sont, comme d'habitude, venus présenter cette 19ème édition et ont fait venir sur scène les deux prestigieuses marraines de cette année, les cultes Caroline Munro et Martine Beswick.
Par la suite, l'acteur Ryu Seung-beom (ou Ryoo Seung-bum) est venu brièvement faire coucou au public avant la projection du film d'ouverture, le thriller coréen The Agent, qui était précédé d'un court métrage à l'humour grinçant, le très drôle A Pretty Funny Story d'Evan Morgan, ou un couple se retrouve manipulé par leur voisin gay duquel ils se moquaient.
Nouveau film du réalisateur de City of Violence, Arahan et The Unjust (présenté l’année dernière dans ce même festival, notre avis ICI), The Agent (ou The Berlin File) est partagé entre actioner pur et film d'espionnage politique, un tumulte internationalement interne (les espions se traquent entre eux) mêlant la CIA, le Mossad, les Russes, et bien entendu la Corée du Nord et la Corée du Sud, dont le cinéaste Seung-wan Ryoo (qui a également écrit le marquant J'ai rencontré le Diable) exploite les tensions avec une certaine audace, voir par exemple l'association inattendue entre les deux camps, ou les allusions au Mur de Berlin. Tout en s'imposant comme l'un des premiers films coréens post-Kim Jong-il (bienvenue dans l'ère Kim Jong-un, qui est finalement la même), The Agent fait partie de ces productions coréennes subversives centrées sur la cohabitation fragile entre les deux pays, comme le JSA de Park Chan-Wook.
The Agent souffre des même défauts que The Unjust : c'est très long à démarrer (ça dure d'ailleurs deux heures), c'est bordélique, et ça manque clairement d'une rigueur formelle et narrative, comme tourné à l'arrache, avec son petit budget de 9 millions de dollars dont on entrevoit parfois les limites à l'écran. Par intermittences, avec ses plans cheap, son générique de début moche, sa structure décousue et sa musique extrêmement basique, The Agent peut renvoyer à un DTV avec Steven Seagal. Mais seulement par intermittence, car l'ensemble est d'un tout autre niveau que les productions avec le gros Steven et se révèle, certes tardivement, d'une redoutable efficacité.
Comme pour The Unjust, il faut s'accrocher un peu pour pouvoir finalement savourer cette intrigue certes peu originale mais dense et complexe, pleine de ramifications, d'enjeux politiques et moraux, de coups de théâtre et de coups de feu, de manipulations, de trahisons, etc. Autant la première heure est difficile à suivre, autant ça s'emballe sévère en milieu de parcours (à partir du moment où le héros comprends qu'il a été piégé et qu'il est traqué par des tueurs), virant à l'actioner brutal et nerveux, accumulant les rebondissements, enchainant sans répit gunfights, bastons et poursuites dans des morceaux de bravoure aussi too much que jubilatoires, notamment l'affrontement contre le tueur dans l'appartement, le guet-apens dans l'hôtel, la fusillade finale ou un duel intense au milieu d'un champs. Avec tout de même une histoire d'amour avortée au milieu de ce chaos. Avec cette deuxième heure qui met à rude épreuve un agent décidément indestructible, The Agent se pose comme un Jason Bourne coréen, tout en restant un thriller noir et subversif. Seung-wan Ryoo avait tapé dans l'anti-spectaculaire avec The Unjust, mais il revient ici aux scènes d'action sèches et violentes à la City of Violence, influencé par des cinéastes hongkongais comme Ringo Lam ou Kirk Wong.
Le cinéma coréen n'a pas son pareil pour instaurer des duels intenses entre les personnages, des jeux du chat et de la souris (la fourberie l'emporte toujours), ici entre la Corée du Nord, la Corée du Sud et d'autres services d'espionnage internationaux. Les trois principaux protagonistes qui se tirent dans les pattes sont incarnés par Ha Jung-woo (The Chaser, The Murderer, Time), qui « représente » ici la Corée du Nord, Han Suk-kyu (Shiri, La Sixième victime) pour la Corée du Sud et Ryoo Seung-bum (The Unjust, Doomsday Book, Arahan, Crazy Lee, City of Violence, autant dire l'acteur fétiche du cinéaste) dans le rôle du grand bad guy du film.
L’avis de Richard B concernant The Agent :
The Berlin File (titre de ce dernier au Nifff) nous amène dans un film de type espionnage avec son lot de dangers, d'actions, d'agents doubles, de conflits de nations et autres joyeusetés du genre sous la direction du réalisateur de City of violence ou encore The injust.
Vous l'aurez donc compris, dans The Berlin File, tous les ingrédients du film d'espionnage font acte de présence. Si le film commence avec une première séquence de fusillade assez classique et une présentation des personnages et des enjeux plutôt brouillons, donnant pour impression sur les trente premières minutes que le film ne sera pas une franche réussite, au fur et à mesure de son développement cet avis va complètement changer.
Car si Ryoo Seung-Wan n'arrive pas dès le départ à nous captiver, petit à petit on va se laisser entrainer dans les aventures de l'agent Pyo grâce à la relation qu'il entretient avec sa femme et les séquences d'actions qui seront de plus en plus spectaculaires, renvoyant celles de Jason Bourne et James Bond aux oubliettes. Les cascades, bien que complétèrent surréalistes sonnent vrais et chaque coup porté et douleur entrevus sur l'écran se ressentiront psychologiquement aux spectateurs. Certes la fin pourra paraître comme un poil tirant en longueur et on pourra penser que tout était bien compliqué pour finalement peu de choses, mais en attendant, on est globalement surpris par la tournure de quelques évènements, encore une fois complètement subjugués par les multiples cascades, chorégraphie et lisibilité de l'action et enfin, le principal, émotionnellement le film nous aura touché.
Le deuxième film de la soirée est, comme à l'accoutumé, plus orienté étrange et sordide. Un jeune garçon (formidable Gavin Brown) fan de films d'horreur découvre que son grand frère est un serial-killer. Found déroule son intrigue dans une époque non définie (probablement au début des années 80) mais clairement orientée nostalgie, avec ces collections de VHS et de films d'horreur mystérieux dont l'aspect interdit était une réelle motivation, les boitiers cassés difficiles à ouvrir, les vidéoclubs à l'arrache ou l'on pouvait tomber sur des boitiers vides, les fascinantes jaquettes (superbes illustrations) qui avaient plus de pouvoir que n'importe quel résumé, etc. Found ressemble d'ailleurs à une production sortie des années 80, avec son image très « grindhouse » (comme on dit maintenant), sa superbe bande-son (un des gros points forts du film), son inspiration très BD (dés son génial générique de début) et ses écarts trash typés Uncut Movies (le mystérieux film à tendance snuff-movie que regardent les deux amis est tout bonnement incroyable !). Adoptant entièrement le point de vue d'un enfant (comme dans les productions Amblin d'autrefois), Found ressemble d'abord à un songe éveillé, avant de virer au cauchemar, comme si l'un de ces films d'horreur devenait réalité dans la vie du jeune héros (la conclusion est très caustique).
Found se situe quelque part entre du Greg Araki, du Jason Eisener et du Uncut Movies. Mais son caractère fauché (le budget serait de 10 000 dollars) se fait rapidement oublier, en dépit des failles techniques (qui collent finalement parfaitement au sujet et à l'esthétique voulue) : l'intrigue et l'atmosphère happent le spectateur dans un tourbillon de pulsions et d'émotions contradictoires, et ce qui pouvait être une farce macabre se transforme peu à peu en un fascinant et glaçant drame psycho-horrifique qui ausculte l'origine de la violence. Sur ce dernier point, le réalisateur fait preuve d'une réelle subtilité, sans jamais appuyer lourdement son propos car masqué derrière les apparences d'une série B d'exploitation délirante, avec son tueur iconisé qui fait office de métaphore de l'adolescence. En effet, alors que les films d'horreur sont, depuis des années, constamment pointés du doigt lorsqu'un jeune spectateur commet un carnage, le réalisateur Scott Schirmer montre que ces pulsions ne naissent pas à cause de ces films d'horreur mais à cause de l'environnement familial dans lequel grandit l’enfant ; ainsi le jeune garçon sera influencé par son grand-frère lui-même influencé par son père (violent et raciste). Found se termine d'ailleurs sur une réplique d'une ironie grinçante. Sorte de miroir brisé et terni, ce film faussement malade mais en réalité d'une maitrise bluffante explose ainsi de l'intérieur le puritanisme américain et son cocon familial. Puissant, envoutant, original et d'une redoutable intelligence dans son propos.
Jonathan C
Publié le vendredi 6 septembre 2013 à 12h40
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