Critique L'été-machine [2006]

Avis critique rédigé par Nicolas W. le mercredi 6 octobre 2010 à 16h40

Douce Apocalypse

"Le conteur m'appela Roseau Qui Parle. On me choisit ce nom à cause du roseau qui grandit dans l'eau et qui, par des jours d'hiver comme celui de ma naissance, semble parler tandis que les rafales de vent transpercent sa tige morte et creuse."

Au sein de Petit Belaire, les parleurs véridiques racontent  la Tempête et les anges. Roseau Qui Parle y découvre le passé grâce à sa Mbaba et aux conteurs. Dans ce paisible village, les secrets s'accumulent au sein des chaînes, ces familles qui n'en sont pas. Un jour pourtant, inspiré par les saints de jadis, Roseau Qui Parle s'embarque dans un voyage qui le mènera à la recherche des choses perdues. Clignotin, Rien Qu'une Fois et les membres de la liste du Dr Boots, autant d'individus qui le feront grandir et mûrir, autant de rencontres qui lui apprendront le passé pour construire son futur.

Auteur souvent qualifié d'exigeant, l'américain John Crowley figure cependant dans les incontournables de la fantasy et de la science-fiction. L'auteur du Le Parlement des Fées (pour lequel il a reçu le World Fantasy Award) ou de L'Abîme fait preuve d'une originalité surprenante avec ce roman post-apocalyptique, L'été-machine. Faisant fi des canons du genre et composant une société entièrement nouvelle, le récit de Crowley atterrit naturellement chez les Moutons Electriques. Un choix d'édition certes risqué, mais ô combien intéressant.

Evacuons d'emblée les coquilles qui parsèment l'ouvrage (Une nouvelle édition en format Voltaïque serait dans les tuyaux) pour nous intéresser au roman lui-même. S'inscrivant dans le genre post-apocalyptique, L'été-machine prend le risque de faire dans la redite. Mais ce serait mal connaître John Crowley. Le lecteur est convié dans une Terre qui n'a plus grand chose à voir avec notre société. Composée de villages et de communautés comme celle des parleurs véridiques du Petit Belaire, la nouvelle société humaine n'a rien de désespérant. Contrairement à des œuvres comme La route de Cormac McCarthy, Crowley prend le parti de construire une civilisation aussi étrangère à la nôtre que poétique. La principale difficulté du récit de l'américain se concentre donc sur ce point. Dans le roman, les mots employés désignent des choses différentes - "saint" n'a plus du tout la signification que nous lui donnons mais s'apparente plus à une sorte de sage -, voir n'existent simplement pas dans notre vocabulaire - Mbaba désigne la grand-mère - rendant dans un premier temps le récit difficile à comprendre. Mais comme l'énonce André-François Ruaud dans son excellente préface, il suffit de croire à l'univers posé et de se laisser porter pour rentrer définitivement dans la lecture. Ce choix singulier s'appréhende comme un défaut ou une qualité selon la sensibilité du lecteur. Certains resteront au bord du Sentier là où d'autres se perdront dans l'univers de l'américain. Ce qui est certain c'est que les aventures de Roseau Qui Parle sort des sempiternels mondes détruits que l'on a connus. Jusque dans les noms des personnages : Roseau Qui Parle, Rien Qu'une Fois, Rouge Peinte, Bouton... la personne elle-même en devient poétique.

La poésie et la sensibilité du récit occupent le centre de L'été-machine. Parcours initiatique du personnage principal, le récit n'oublie jamais de magnifier chaque chose ou chaque histoire pour en faire un moment doux-amer. Le lecteur retombe en enfance lorsque les conteurs du Petit Belaire racontent les saints d'autrefois et les anges disparus. Comme l'enfant, nous ne comprenons pas tout mais la beauté des mots employés nous subjugue et nous emporte. Un simple mot recèle des mystères sans fin et des enseignements primordiaux. Crowley applique le vieil adage qui veut que le sage s'étonne de tout. Ses personnages sont curieux et cherchent la connaissance. Si certains la veulent sans autre raison particulière, ceux du Petit Belaire cherchent à connaître comme un enfant découvre le monde, sans égoïsme et sans arrière-pensée, juste pour la beauté de la chose. Plus fort encore, l'américain fait parler à ses personnages d'inventions d'une société humaine futuriste disparue aujourd'hui... avec cette même grille symbolique. On s'émerveille devant les arbres à pains. On frémit en pensant aux Quatres Hommes Morts. Mais on rit aussi, beaucoup. Avec des choses banales pour nous qui semblent miraculeuses aux habitants de ce monde lointain.

Les personnages de L'été-machine jouissent de cette innocence qu'ont perdue depuis bien longtemps les anges, ces hommes du passé dont la société s'est effondrée. En se préservant de la technologie, analysée comme une des causes de la déchéance de l'homme par Crowley, ils préservent mieux leur humanité. Pour autant, comme le découvrira Roseau Qui Parle, tout sentiment de violence n'a pas disparu. Mais le monde est plus calme. Plus facile à vivre. Surpopulation et guerres n'existent plus, la fameuse "Tempête" marqua un nouveau commencement pour les hommes. Particularité du récit, la place faite aux femmes. A travers la Ligue des Femmes, elles apparaissent comme les responsables prépondérantes de la sauvegarde de cette humanité. L'homme sauvé par la femme. Tout au long de l'histoire, Crowley jalonnera son récit de figures féminines fortes -Mbaba, Rouge Peinte ou Rien qu'une fois - qui bâtissent la personnalité de l'homme de l'histoire, Roseau qui Parle. Sans elles, le genre masculin semble voué à la solitude, comme Clignotin dans son arbre.

Restent quelques mystères jamais vraiment éclaircis par l'écrivain, des mystères qui forment le charme de ce futur atypique. La fin quant à elle constitue une excellente chute. Elle magnifie l'histoire qu'on nous a contée précédemment tout en y jetant un nouvel éclairage. Définitivement mêlée de tristesse et d'un formidable espoir, la conclusion de L'été-machine est à l'image du roman, inattendue et poétique.

"Et tandis que les lumières s'éteignaient une à une, et que les rêves réduits en poussière abandonnaient les anges à leur solitude, dans cette obscurité terrifiante, les planteurs plus forts et plus  sages qu'aucun être humain obéirent aux derniers ordres des anges et sillonnèrent les cieux pour rapporter avec eux les arbres à pain et toutes ces choses qui désormais sont perdues. La Tempête se calme et les anges qui s'étaient réfugiés dans les bois regardèrent hébétés le vieux monde, comme s'il était aussi étrange que tous leurs rêves réunies."

Remerciements à Amandine V. pour la relecture.

La conclusion de à propos du Roman : L'été-machine [2006]

Auteur Nicolas W.
84

Par son originalité de tous les instants, L'été-machine entre dans le cercle fermé de ces livres qui laissent un goût particulier au lecteur. Le goût d'une poésie germant sur les ruines d'un monde oublié. Dans ces pages, on y découvre une société inconnue mais si belle, à l'image de cette écriture raffinée et inexplicablement envoûtante de Crowley. Rares sont les apocalypses de cet acabit, et c'est bien pour cela qu'il faut la vivre.

On a aimé

  • Le style
  • La poésie
  • La société post-apocalyptique
  • Roseau Qui Parle
  • La fin
  • La réflexion sur l'homme

On a moins bien aimé

  • La difficulté de lecture
  • Les coquilles

Acheter le Roman L'été-machine en un clic

Nous vous proposons de comparer les prix et les versions de L'été-machine sur Amazon, site de vente en ligne dans lequel vous pouvez avoir confiance.

Retrouvez les annonces de nos dernières critiques sur les réseaux sociaux

Sur Facebook | Sur Twitter