Critique Kidnappés [2011]
Avis critique rédigé par Jonathan C. le mercredi 7 décembre 2011 à 13h26
Un plan simple
Alors qu’elle vient d’emménager, une gentille famille, les parents et leur fille, voit débarquer chez eux trois hommes encagoulés aux intentions malveillantes. Le cambriolage va virer au cauchemar, aussi bien coté kidnappés que coté cambrioleurs...
Ce postulat de départ primaire a déjà été l’argument de plusieurs films (Otage avec Bruce Willis, les Funny Games de Michael Haneke, Mauvais piège avec Kevin Bacon, Firewall avec Harrison Ford, le Trespass de Joel Schumacher avec Nicolas Cage et Nicole Kidman, etc.). Mais l’intérêt de Kidnappés (titre pas très juste puisqu’il n s’agit pas vraiment d’un kidnapping avec demande de rançon), alias Secuestrados (soit « Les Séquestrés », ce qui est plus proche des évènements), ne réside pas dans son histoire (déjà vue) ni dans son déroulement (très banal, bien que particulièrement nerveux), mais dans son traitement formel. Chapeauté par les producteurs de l’excellent Cellule 211, joli succès espagnol en 2010, le film de Miguel Angel Vivas n’est en effet constitué que d’une poignée de longs plans-séquences, plus exactement au nombre de 12 (un tourné par jour, ce qui fait 12 jours de tournage), en comptant ceux des split-screen. Le plan-séquence, souvent utilisé pour une démonstration de virtuosité, retrouve ainsi sa définition première, puisqu’ici un plan couvre une séquence entière. Si chaque année apporte son lot de grands plans-séquences (pour 2011, les plus mémorables sont à trouver dans Les Aventures de Tintin : Le Secret de la Licorne, L’Ordre et la morale de Kassovitz, Hanna de Joe Wright, Paranormal Activity 3, This Must Be the Place avec Sean Penn ou même les moins connus Carancho de Pablo Trapero et Americano de Mathieu Demy (si vous voulez voir un plan-séquence de 9 minutes incluant un striptease torride de Salma Hayek, c’est encore à l’affiche au moment ou j’écris ces lignes), les films uniquement composés de plans-séquences ou d’un seul plan-séquence sont aussi rares que casse-gueule, qu’il s’agisse du savoureux La Corde d’Alfred Hitchcock, de l’ennuyeux et paradoxalement impressionnant L'Arche Russe d’Alexandre Sokourov qui ressemblait plus à une visite de musée, du fascinant mais difficile à suivre Timecode de Mike Figgis, du stressant The Silent House de Gustavo Hernandez qui se plantait dans son dernier acte, ou encore du mystérieux thriller The Circle de Yuri Zeltser avec Angela Bettis...On retrouve par ailleurs beaucoup de plans-séquences dans le cinéma ibérique de ces dernières années.
Dans Kidnappés, Miguel Angel Vivas exploite le plan-séquence à des fins purement dramatiques. Filmé et monté ainsi, le film n’en est que plus immersif, instaurant une sensation de temps réel. Sans coupes, le spectateur se sent alors enfermé, kidnappé avec les personnages, il ne peut s'échapper du cadre technique et géographique. Les plans-séquences, techniquement bluffants (le steadycamer est très fort), renforcent ce sentiment d’oppression, instaurent une atmosphère anxiogène, accentuent la peur viscérale et créent une tension en continue, en résulte un réalisme saisissant (proche du documentaire) qui colle aux tripes et ne nous lâche pas une seconde. Ne pas faire de coupes, même dans l’action et les effusions d’extrême violence, renforce chacun des points de vue, comme du subjectif en temps réel, ce qui rend certains passages particulièrement éprouvants ; la caméra finit même par se substituer au personnage du cambrioleur pendant la dernière séquence, particulièrement corsée et dérangeante (ou ridicule, c’est selon). Pour ces plans-séquences, le cinéaste dit d'être inspiré des frères Dardenne, d'Alfonso Cuaron, de Brian De Palma ou de John Cassavetes. Mais Kidnappés est surtout un rush d’adrénaline, un suspense nerveux et cauchemardesque qui pourrait tout aussi bien adapter un fait divers sordide. Comme ses personnages, qui se déplacent dans le plan comme s'ils suivaient une sorte de chorégraphie fluide et naturelle, le cinéaste est en permanence en mouvement, moulinant du stress et évitant d’entrer dans le domaine de la théâtralité que peut apporter un plan-séquence fixe. De plus, la lumière naturelle, en 35 mm, est étonnement contrastée et chaleureuse, symbolisant ainsi le confort faussement sécurisant du foyer.
Là ou le réalisateur fait encore plus fort (même si le Mike Figgis de Timecode était déjà passé par là), c’est lorsqu’il se met à utiliser le split-screen, révélant ainsi deux points de vue simultanément et chacun en plan-séquence. Si le procédé apparait d’abord comme gratuit (sa première utilisation ne sert pas à grand-chose), il trouve sa justification vers la fin, lorsque la tension est à son paroxysme et que les deux plans-séquences en split-screen se rejoignent au moment ou le père retrouve sa fille. Grand adepte de ces deux figures stylistiques que sont le split-screen et le plan-séquence, Brian De Palma avait déjà eu cette idée dans Soeurs de Sang. Miguel Angel Vivas, qui avait réalisé en 2002 le polar noir Reflejos avec Georges Corraface, est avant tout un habitué des courts métrages (donc à mettre en scène une seule idée et de l’exploiter), et on retrouve dans son deuxième film un concept parfaitement adapté pour un court. Mais les 80 minutes passent sans qu’on s’en aperçoive, en dépit des limites de l’exercice stylistique.
Cette construction en plans-séquences apporte une vraie fluidité au récit, qui avance comme spontanément, logiquement et irrémédiablement, au fil d’une angoisse de plus en plus accrue. L’exercice, brillant et parfaitement exécuté, ne cherche qu’à atteindre qu’un seul but, sans raconter quoique ce soit d’autre : remuer, choquer, illustrer une violence aussi sèche que démonstrative afin mettre mal à l'aise, selon l'aveu-même du cinéaste. A ce titre, le contenu de ces plans-séquences est parfois à remettre en cause. Miguel Angel Vivas, dont les précédents films et court-métrages étaient déjà très ancrés dans l’horreur viscérale et cauchemardesque, adopte en effet la carte de l’ultra-violence (d'ou la présence du film sur ce site), décuplée par le procédé subjectif/continu (mais aussi parfois amoindrie par un jeu suggestif de hors-champs et de focales), au point de renvoyer parfois au Irréversible de Gaspar Noé (dans les deux films : un viol en plan-séquence et un tabassage de tête en plan-séquence). Rien que l'intervention brutale des cambrioleurs fait sursauter, comme l'horreur s'invitant soudainement dans le quotidien. Pour se justifier, avouant être dégouté de certains films qui « semblent promouvoir la violence, ou encore la justifier », le cinéaste affirme : « Je voulais juste montrer la violence et ses effets. Je voulais faire un portrait du trauma de ce genre d'expérience dont certaines personnes sont les victimes aujourd'hui. ». A voir son film, il y a quand même de quoi douter de ces propos. Bruyant jusqu'à l'hystérie (les femmes hurlent et pleurent), Kidnappés est une graduation tragique dans la violence qui, d’abord crue, en devient grand-guignolesque, d'un sadisme presque galvanisant, d'ou une certaine forme de jubilation troublante. Les deux séquences citées (le viol et la tête éclatée) sont particulièrement dégueulasses et mettent mal à l’aise, mais on regrettera que les 5 premières et 5 dernières minutes du film soient aussi gratuites, bêtes et méchantes, ne se justifiant aucunement dans le récit (même si l’introduction peut indiquer que les cambrioleurs n’en sont pas à leur premier méfait). Si le plan-séquence d’introduction est tout de même étouffant (comme d’avoir la tête dans un sac plastique), la fin, d'une sauvagerie inouïe, en devient grotesque (le trio coup de massue + balle dans la tête + coups de poignard : ouch, c'est trop !), provoquant rires jaunes ou rires moqueurs, j’en veux pour preuve les réactions très divisées dans la salle, dans laquelle les spectateurs étaient pas loin de se mettre sur la gueule, les uns reprochant aux autres de rire devant un tel spectacle. Le réalisateur dit avoir voulu une fin aussi explicite pour rappeler au spectateur que « ce n’est pas un jeu, c’est du sérieux », mais c'est plutôt l'effet inverse qui se produit. Cette fin barbare et pessimiste en fera cependant aussi pâlir plus d’un à la sortie de la projection. Kidnappés aurait gagné à être délesté de ces quelques minutes racoleuses, ce qui le ramènerait tout de même à 1h10 de métrage.
Mais derrière ce récit en plans-séquences, il y a des genres très marqués, principalement le film de cambriolage/otages (une forme de huit-clos psychologique), qui oppose ici deux camps chacun constitué de trois membres, la brave famille composée du père (excellent Fernando Cayo, vu aussi dans L'Orphelinat et La Piel que Habito), de la mère et de la fille, et les cambrioleurs, trois stéréotypes (qu’on retrouve par exemple dans Panic Room) : le leader froid et impassible (l’inquiétant Dritan Biba, qui n’est pas sans rappeler le ravisseur encagoulé d’Otage), le psychopathe qui ne peut réfréner ses pulsions de meurtre et de viol, et le jeune novice plus humain et compatissant envers les victimes ; avec un tel trio (dont on découvre les visages au bout d’un moment), pas difficile de deviner rapidement pourquoi ça va déraper et à cause de qui, tandis que le réalisateur enchaine les passages obligés du genre (l'intimidation musclée, l’invité imprévu, le flic suspicieux, la tentative de fuite ratée, l’otage qui tente de prévenir discrètement une passante…). Les méthodes brutales des cambrioleurs se révèlent donc au fil du récit, tout comme leurs intentions. Si sa construction formelle et narrative ne le démarquait pas du lot, Kidnappés serait à ranger parmi ces thrillers sécuritaires old school de home invasion, ces films (qui pullulaient dans les années 80 et 90, surtout aux Etats-Unis) dans lesquels des étrangers malveillants s’infiltraient avec plus ou moins de brutalité au sein d’un foyer bourgeois paisible. Le réalisateur explique justement avoir voulu construire une « allégorie politique » sur la peur (notamment de l'étranger, les ravisseurs étant ici albanais) et l'insécurité (liée à l'étranger), à propos de la « profanation du lieu intime, sacré, qu’est la maison. », ce qui est justement le thème récurrent et par ailleurs réactionnaire de ce genre de films (mais aussi du récent et plus psychologique Malveillance de Jaume Balaguero), bien que le cinéaste précise qu'il n'y a aucun propos politique dans son film. Dans son imperturbable premier degré, Kidnappés serait comme un Funny Games dénié de réflexion, ne libérant qu'un message démonstratif propre à renforcer la paranoïa des gens. L’intérêt ici est bien entendu que ça parte en vrille et que les protagonistes plongent en plein cauchemar ; à ce niveau, Kidnappés va loin, trop loin, passant notamment le temps d’une séquence par le rape & revenge (viol/vengeance hardcore) ou adressant un clin d’œil à Shining (la fille bloquée dans la salle de bain). Dommage que Kidnappés évoque par intermittences du vulgaire torture-porn, certes beaucoup mieux foutu que d’habitude dans le genre, et ne dépasse jamais son cadre de petit film-choc très premier degré comme certaines série B des années 70 et 80.
On pourra toujours pester sur certaines réactions, notamment quand les victimes ont l’occasion d’achever leurs bourreaux mais ne le font pas (ça n’arrive qu’une fois et c’est pour le moins radical). Mais l’ensemble sonne juste, et c’est bien ce qui est effrayant. Auprès d’acteurs habités (la fille, si jolie au début, fera peur à voir par la suite), le spectateur est invité à vivre (et à subir) en continu et sans filtre le calvaire enduré par les personnages. De par cette démarche de gros bourrin qui apporte cependant une jouissance intérieure primitive, ce n’est évidemment pas agréable et encore moins fin, mais c’est imparable. La violence et la tension éprouvantes de Kidnappés, sa noirceur absolue et le fait qu’il s’agisse d’une production espagnole sans stars (et tournée en 35 mm) l’auront condamné à n’être projeté que dans une seule salle à Paris (l’indispensable Publicis), et à une seule séance par jour (évidemment le soir), mais les producteurs comptent énormément sur le Japon (toujours très friands de ce genre d’expériences cinématographiques extrêmes) pour faire recettes, en témoignent le site officiel du film et l’affiche ci-dessous.
La conclusion de Jonathan C. à propos du Film : Kidnappés [2011]
Avec ce thriller en plans-séquences saupoudrés de split-screen, Miguel Angel Vivas exécute un tour de force technique au service d’une trame classique, un peu comme le The Silent House de Gustavo Hernandez. Le procédé amplifie chaque parcelle de violence et d’angoisse, conférant un véritable sentiment de proximité, de temps réel voire même de subjectivité. Si Kidnappés verse dans l’ultra-violence avec des scènes-choc plus ou moins justifiées dans cette descente aux enfers d’un réalisme cru et saisissant qui évoque même le Irréversible de Gaspar Noé, la complaisance grotesque (quoiqu’efficace) de son introduction et surtout de sa fin en font hélas un rollercoaster en partie racoleur et gratuit à force de la jouer sans concessions. Le cinéaste orchestre ainsi, avec une réelle virtuosité, un carnage implacable et terrassant qui, cependant, n’a pas grand-chose à raconter, outre une réflexion has been sur l’insécurité qui renvoie aux vieux thrillers réacs des années 80 et 90. Avec son premier degré ambigu jusqu'au malsain, son goût pour la provocation, son caractère primitif mettant à l'épreuve le regard du spectateur et sa brutalité sèche, Kidnappés ressemblerait plutôt à une série B des années 70, subversive dans son immoralité.
On a aimé
- Une narration en plans-séquences immersive et virtuose
- Des acteurs crédibles et très impliqués
- Une expérience-choc rappelant les séries B des seventies
- Une tension graduelle dans l'horreur
On a moins bien aimé
- De la violence gratuite
- Un discours sécuritaire dépassé
- Pas grand-chose à raconter
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