Rod Serling and The Twilight Zone > En forme de conclusion

Interview de Richard Matheson

L'Écran Fantastique : Richard Matheson, qui était Rod Serling ? Richard Matheson : Un homme très gentil, très amical, quelqu'un qui prêtait attention aux autres. Je l'ai rencontré pour la première fois lors de la projection du pilote de Twilight Zone : Where is Everybody. Il était avec Charles Beaumont, qui collabora également à la rédaction de nombreux scénarii pour Rod. Ensuite, je l'ai revu régulièrement jusqu'à sa mort tragique en 1975. Il fut toujours un appui sûr et, plusieurs fois, me recommanda à des gens qui avaient des travaux intéressants à faire.
En quoi exactement consistait la magie de Rod Serling ? Avait-il une « recette » ? Je pense qu'il avait l'approche de celui qui ne connaît rien à la S.-F. ou au Fantastique. Autant que je puisse savoir, Rod n'était pas un fan et, à moins qu'il n'ait lu beaucoup de S.-F. étant enfant -ce que je ne crois pas-, il était totalement ignorant du genre. Il l'aborda sans idées préconçues ou préjugés, avec son seul talent. Il ne se laissait pas arrêter par une remarque telle: « tu ne peux pas faire ça parce que ça a déjà été fait » Il me semble que c'était cela, la « recette » de Rod Serling. On peut toujours reconnaître les épisodes qu'il a écrit des autres, précisément parce que ce sont des histoires qui viendraient à l'esprit de quelqu'un qui écrirait de la S.-F. ou du Fantastique pour la première fois ! Tous les nouveaux auteurs dans un genre ont le même problème : cela m'est arrivé quand j'ai commencé à faire de la S.-F. Le Fantastique, c'est différent, j'en ai écrit toute ma vie. Quand on commence à écrire dans un domaine avec lequel on n'est pas familier, on retrouve toutes les mêmes sortes d'idées, celles qui sont dans l'air... C'est ce qui s'est passé pour Rod, et cela lui a même valu quelques problèmes avec John Collier, qui avait écrit une histoire de mannequin dans un grand magasin désert assez semblable à l'épisode The Alter Hours écrit par Rod. Tout s'est arrangé car, par la suite, Rod a présenté The Chase de John.
En tant qu'auteur d'une bonne vingtaine d'épisodes, vous demandait-on de respecter certains concepts, d'en éviter d'autres, bref, de vous conformer à un certain style Twilight Zone ? Non. Je soumettais mes histoires et cela s'arrêtait là. Rod était originaire de ce qu'il est convenu d'appeler l'école réaliste de la télévision, vous savez, les dramatiques de Playhouse 90, etc… Par conséquent, son approche du Fantastique était une approche réaliste et comme ce que j'écris procède de la même inspiration, il n'y a jamais eu de problèmes. C'est même probablement la raison pour laquelle mes scripts furent parmi les plus appréciés de la série.
Dans quelle mesure étiez-vous associé à la production ? Assez peu. Ce qu'ils faisaient et qui semble avoir disparu de la TV de nos jours, c'étaient des répétitions avec les acteurs, le réalisateur et le scénariste pendant les 2 premiers jours précédant le tournage, qui se faisait le troisième jour. C'était une idée très intéressante, et assez évidente, au fond. Je regrette que la télévision ait abandonné cette façon de faire, sans doute pour des raisons de temps et d'argent. Je me souviens d'avoir été sur le plateau pour la répétition de l'épisode Steel, dans lequel Lee Marvin remplace son robot-boxeur pour un match parce que celui-ci est détraqué et qu'il a parié toute sa fortune sur lui. On était là avec Rod, le réalisateur Don Weiss, Joe Mantell, etc… Et Lee Marvin imitait des bruits de foule pour se mettre en condition !
Le robot, c'était un homme avec un masque en métal ? Oui, Lee Marvin dans certaines séquences. La série était réalisée sur un budget de 3 jours. Je n'ai aucune idée exacte de ce que cela représentait en dollars à l'époque mais ce n’était certainement pas un feuilleton coûteux ou ambitieux de ce point de vue-là. Je suis même surpris qu'ils aient tourné l'une de mes premières histoires, The Last Flight, dans laquelle un pilote de la première guerre mondiale revient atterrir à notre époque. Il leur a fallu trouver un aéroport, louer un vieil avion, etc...
Malgré son budget limité, Twi1ight Zone a quand même attiré de bons acteurs. Oui, ils réussirent à avoir des acteurs fantastiques ! Rod, bien sûr, eut les meilleurs, pour ses épisodes, mais j'en ai eu des bons aussi : Lee Marvin dans Steel, William Shatner dans Nick of Time, Nightmare at 20000 Feet, qui fut réalisé par Richard Donner qui vient de faire Superman ! J'ai aussi obtenu de Jacques Tourneur qu'il tourne l'une de mes histoires pour Twilight Zone. Malgré tout cela, la série était souvent moins bien qu'elle aurait pu l'être à cause d'acteurs et de réalisateurs médiocres, un éclairage très souvent insuffisant, etc…
La télévision des années 50 n'avait pas la qualité technique de celle d'aujourd'hui. C'est certain mais, malgré tout, je suis surpris que les jeunes d'aujourd'hui soient aussi fous de Twilight Zone qu'ils semblent l'être. Ce n'est pas une aussi bonne série que cela, et elle ne l'était pas plus à l'époque. Maintenant, elle est réduite à 21 minutes au lieu des 25 originelles, et pourtant continue à susciter l'enthousiasme. Je pense que cela s'explique par le fait qu'il n'y a rien de comparable à la télévision de nos jours. On m'a demandé récemment un scénario pour un pilote pour une série du type Twilight Zone mais je ne sais pas si cela aboutira ou non… Il y a L’Ile Fantastique. Ce n'est pas la même chose. D'abord, il y a beaucoup moins de fantastique que dans Twilight Zone, et ensuite il y a des personnages réguliers -M. Roarke et Tattoo- contrairement à Twilight Zone qui se présentait comme une anthologie.
A-t-on parfois voulu modifier vos scripts pour Twilight Zone ? Non, jamais. Ils ont toujours été réalisés, pas forcément de façon heureuse, mais conforme à la manière dont ils avaient été écrits. Rod devait avoir quelque influence... ou bien on le laissait tranquille et libre de faire ce qu'il voulait.
Je crois plutôt qu'il devait se battre contre le Network pour défendre ses histoires ? Oui, chaque saison, Twilight Zone passait de justesse dans le nombre des séries prolongées d'un an.
Mais vos histoires n'étaient pas "retouchées" ? Non. Mais, comme je le disais, je n'étais pas toujours très content de la manière dont elles étaient réalisées. The Invaders, par exemple, dans lequel Agnes Moorehead est attaquée par des êtres minuscules qui se révèlent être des cosmonautes terriens : Eh bien, franchement, le trouve la réalisation exécrable. Mon script avait plus de punch ! Les petites créatures montrées à l'écran sont tout simplement absurdes : on dirait des jouets. On ne voit pas comment quiconque pourrait avoir peur d'elles ! Dans mon script, c'étaient de vrais humains, courant mais restant toujours dans l'ombre... L'ouverture aussi était plus compacte. Dans le film, tout le début est consacré à Agnes Moorehead pelant des patates, les mangeant, etc… Ensuite, elle met une heure à grimper l'échelle du grenier où a atterri l'astronef terrien. A propos d'astronef, vous savez qu'ils ont réutilisé, pour cette scène, la soucoupe de Planète Interdite, les deux ayant été tournés à M.G.M. ? Enfin, les gens adorent cet épisode, ils me disent tous que c'est celui qu'ils préfèrent. Que voulez-vous que je fasse: Je souris sans rien dire. Je ne peux pas leur dire que je pense qu'ils sont fous !
Je crois que ce que le public d'aujourd'hui apprécie surtout, c'est l'idée de base, la superbe chute finale. Ils sont indulgents envers la réalisation. C'est possible. C'est comme pour l'épisode Nightmare at 20000 Feet dans lequel Bill Shatner est un malade mental qui voit un monstre sur l'aile de son avion, et ne peut convaincre personne car la chose s'éclipse chaque fois qu'il appelle quelqu'un. A la fin bien sûr, ils trouvent l'aile abîmée et sont tous convaincus qu'il n'était pas fou... La « chose » dans mon script ne ressemblait en rien à celle qu'ils ont montrée, qui pourrait passer pour un ours en peluche ! La mienne, curieusement, ressemblait plus à l'homme qui était dans le costume : Maigre, un visage de vautour, de longues oreilles !
Avez-vous un épisode dont vous êtes particulièrement satisfait ? Oui, dans l'une des dernières saisons. Pas celle d'une heure qui n'était pas très réussie, parce qu'une heure est un temps trop court pour présenter pleinement une histoire et trop long pour développer un conte bref. Bref, dans cet épisode, A World Of His Own, Keenan Wynn est un auteur qui a le pouvoir d'amener à la vie ses personnages en les décrivant au magnétophone. Il se "crée" ainsi une ravissante secrétaire... Au grand dam de sa femme. Mais, à la fin, coup de théâtre : On découvre que sa femme est aussi une « création » quand il se débarrasse d'elle en brûlant « sa » bande, conservée dans une enveloppe. C'est le seul épisode où Rod intervient dans l'histoire en quelque sorte : il apparaît, à la fin, comme chaque fois, pour résumer, et l'Auteur saisit une enveloppe marquée « Rod Serling » et la brûle. Pouf ! Rod disparaît, laissant à Wynn le contrôle total de la Twilight Zone ! C'était la fin de la saison et nous avions voulu finir avec brio. Cette histoire a plu à un producteur qui voulait en faire une pièce de théâtre pour Broadway, mais cela n'a pas abouti.
Avez-vous collaboré avec Rod Serling après Twilight Zone ? Lui et moi avons rédigé un script d'après The Last Revolution (une histoire de robots conquérant le monde) pour George Pal, mais aucun n'a été retenu. J'ai aussi écrit deux épisodes pour Night Gallery : The Big Surprise avec John Carradine et The Funeral dans lequel un vampire revient pour avoir de vraies funérailles.
Pour récapituler, comment résumez-vous l'influence et le rôle de Rod Serling ? Je dirais probablement que l'élément déterminant qu'il apporta à la S.-F. et au Fantastique à la télévision fut son approche réaliste, avec de bonnes histoires, des personnages bien fouillés, etc… Il fut le premier à le faire dans cette veine pour le Fantastique à la télévision. Quand on fait du Fantastique, on tend à oublier les personnages pour se concentrer sur les idées. Rod, au contraire, oubliait ses idées fantastiques pour se concentrer sur ses personnages. C'est pourquoi Twilight Zone a eu, et a toujours, un succès aussi considérable : Ce ne sont point des personnages hors du commun qui sont présentés aux spectateurs mais des êtres facilement identifiables des êtres humains, comme eux, comme nous.

Références

Ce dossier doit beaucoup aux références suivantes :
- L'Ecran Fantastique N°11 (Dont est notemment tirée l'interview de Richard Matheson - J'ai envoyé un mail pour avoir l'autorisation de la reproduire ici, mais pour le moment pas de réponse...)
- Mad movies N°31-67-73-86
- Ciné News N°49
- Fantastyka N°10
Ainsi qu'au nombreux sites sur le net traitant du sujet.
Havelock