L'Étrange Festival 2012 - Jour 3
Courses-poursuites, nazis dans l'espace et mutations végétales
Ce samedi 8 septembre a été marqué par un pour/contre. Après des films qui nous ont laissés globalement unanimes, cette fois les débats ont bien eu lieu. Tout d'abord sur le Motorway de Soi Cheang, nouvelle production Johnnie To.
C'est l'histoire d'un super flic de la route qui trouve sur son chemin un truand encore meilleur que lui. Pas content de s'être fait avoir, le policier va en faire une affaire d'honneur et jure sur ses grands dieux que désormais il sera le plus rapide. La première initiative allant dans ce sens est de changer de véhicule, la seconde, finir par mettre la main sur ce chauffeur malintentionné !
CONTRE : Même si on peut décemment se mettre du côté des contres, non, Motorway n'est certainement pas un mauvais film. Motorway de Soi Cheang (Dog Bite Dog et Accident) est juste un de ces films qui se regardent, se suivent et d'ici un an s'oublient. Le poulain de Johnnie To n'arrive jamais à créer pleinement une ambiance, faute de personnages attachants, une direction de la photographie aléatoire et un montage pas toujours cohérent. Ainsi s'il y a bien en pièce centrale une course-poursuite alléchante construite autour de la stratégie de conduite, juste à côté on en aura une autre dans un parking bien trop sombre pour être compréhensible et quelque peu crétine. Au vu du sujet on pouvait s'attendre à une véritable "furie de la route" et pourtant on a vu bien mieux (les 5 minutes de poursuite du Connected de Benny Chan explosent les 1h30 de Motorway). Et même s’il est amusant de voir ces duels de voitures durant un temps, on reste toujours distants face à l'action et par moment on s'ennuie même. Puis s'il y a bien une habituelle relation maître/élève ou vieux briscard de cinquante piges près de la retraite et jeune loup avide d'action, émotionnellement les liens sont traités de façon trop distante et la complicité d'apprentissage trop peu abordée pour créer un lien palpable. Les intentions sont là, mais la mise en scène de Soi Cheang est comme ses voitures, trop mécaniques pas assez émotionnelles. Bref si Johnnie To n’était pas rattaché à la production, le film n’aurait certainement pas fait parler de lui. Un film du samedi soir vite vu, vite oublié. (Richard B.)
POUR : Deux flics (Shawn Yue et Anthony Wong), pilotes virtuoses, traquent deux gangsters dont l’un est aussi un as du volant. De la part du réalisateur de Dog Bite Dog et d’Accident, il ne fallait pas s’attendre à du Fast and Furious ou à du Initial D, encore moins avec Johnnie To/Milkyway à la production (comme sur Accident). De la même façon que Dog Bite Dog et Accident mettaient en scène des héros tragiques prisonniers de leur condition, Motorway montre des personnages mystérieux et obsessionnels enchainés à leur voiture (la dernière scène avec le bad guy est très évocatrice), relation quasi-fusionnelle comme si le véhicule était une arme à contrôler ou devenait un membre supplémentaire. Le héros, immature et accroc à son bolide au point de mettre un mois de salaire dans quelques pièces, utilise même sa voiture pour se lancer dans une parade amoureuse autour de la fille (la jolie Barbie Hsu, héroïne du Connected de Benny Chan), tentative de séduction ultra-beauf et assez drôle d’autant plus qu’elle se conclut sur un gros vent.
Une bonne partie du film est constitué de poursuites en voitures. Mais il y a quelque chose de contemplatif et de sensoriel dans les courses-poursuites (le réalisateur insiste parfois sur un détail en pleine action, comme une pause), qui n’en restent pas moins nerveuses, stratégiques et d’un rare réalisme : les voitures vont réellement à toute allure, se faufilent partout (même dans les ruelles), se jaugent, se tirent dessus, se lancent des pièges et se mettent littéralement sur la gueule (ou plutôt sur la tôle) dans un ballet véritablement chorégraphié, jusqu’au formidable duel final au lever du jour. Tout en conservant cette authenticité risquée (les poursuites et cascades ont probablement été faites à l’arrache et sans autorisation), Soi Cheang aborde justement son Motorway comme un film d’arts martiaux : apprentissage physique et spirituel des techniques de combat/conduite (précision, stratégie, coups spéciaux...), vieux maitre-mentor du héros-élève, sacrifice du maitre et vengeance du héros, affrontements chorégraphiés entre les voitures (qui exploitent judicieusement les décors), style aérien, vif et virevoltant, aspect méditatif important, les deux pilotes adversaires qui se lancent des défis…
Le traitement est donc intéressant, plutôt audacieux vu le pitch, et au final assez envoutant. C’est une sorte de film d’atmosphère (forcément noire) centré sur des courses-poursuites en bagnoles, et ça n’a rien à voir avec Drive (d'ailleurs la production HK a commencé avant celle du film de Nicolas Winding Refn) même si les deux films partagent certaines références (les polars crépusculaires des années 70 et 80) et une excellente bande-son connotée eighties (ici composée par deux frenchies). Soi Cheang place vraiment le spectateur au cœur des poursuites, partageant l’adrénaline du chauffeur à travers une mise en scène brillante, inventive (beaucoup d’idées), fulgurante et tumultueuse (c'est le style du réalisateur). Jamais des courses-poursuites en voitures n’ont été filmées de cette façon. (Jonathan C.)
Par la suite les spectateurs sont partis dans l'espace lunaire pour y retrouver une base en forme de croix gammée. Après avoir laissé une très bonne impression au Bifff, Iron Sky de Timo Vuorensola arrive pour faire son petit effet à l'Etrange Festival. Il faut dire que le film de Timo Vuorensola, en plus d'être aussi « fun » que ce que nous l'espérions, arrive à être tout aussi inattendu, original et offre même en bonus un fond politique bienvenu. Certes le film ne paraît pas toujours fluide dans sa narration, mais on reste perpétuellement dans le trip. Puis, pour à peine sept millions de dollars, le résultat à tendance à nous mettre sur le cul, les effets spéciaux en mettent plein la vue, et, surtout, il n'a rien à envier aux plus gros blockbusters américains.
Passons à une nouvelle Pépite de l'Etrange, qui nous a également divisé :
Dans The Mutations, le professeur Nolter (Donald Pleasence), en plus de vouer une admiration pour les plantes carnivores, mène des expériences pour prouver qu’il est possible de créer des mutations entre l'homme et le végétale. Il a pour complice un homme défiguré qui kidnappe des passants pour servir de cobayes.
CONTRE : Une fois encore, la voix du contre-enthousiasme pointe son nez. Je ne dis pas ça parce que je dois avouer honteusement m'être endormi une bonne dizaine de minutes. Mais quand on aime et admire Donald Pleasence, le voir ici pris entre cabotinage et ennui fait mal au coeur. Jack Cardiff a beau avoir été un directeur de la photographie exemplaire (African Queen, Les Vikings, Mort sur le Nil, Les Chiens de guerre, Le Fantôme de Milburn, Rambo 2...), sa carrière de réalisateur est hélas bien moins prestigieuse. Pourtant, les idées alléchantes ne manquent pas dans ce film datant de 1974 : traiter l'horreur sur un aspect végétal, exploiter un climax qui n'est pas sans rappeler Freaks : La monstrueuse parade de Tod Browning, créer un monstre qui aurait ça place du côté des Craignos monsters...Tout est fortement appétissant. Mais on s'ennuie. Il ne se passe rien et les apparitions (ou attaques) du monstre n'arrivent que trop tardivement. Au final, on retiendra juste une séquence spectacle de freaks assez dérangeante, mais hormis ça il ne reste pas grand-chose. (Richard B.)
POUR : The Mutations (ou The Freakmaker) est l’un des rares longs métrages réalisés par Jack Cardiff, l’un des plus grands chefs opérateurs de l’Histoire du Cinéma. Cardiff a travaillé pour les plus grands (Michael Powell et Emeric Pressburger, Hitchcock, Richard Fleischer, John Huston, Henry Hathaway, King Vidor, Mankiewicz, Kirk Douglas, Laurence Olivier…jusqu’à Rambo II et Conan le destructeur) et aurait pu obtenir des gros moyens, mais il choisit pourtant de réaliser une petite série B atypique influencée par la Hammer, un monster-movie renvoyant au genre des années 50 ; choix d’autant plus surprenant que le cinéma fantastique anglais était à l’agonie en 1973 et que Cardiff avait autrefois été nominé à l’Oscar du Meilleur Réalisateur (pour Amants et fils en 1960). L’expérience The Mutations sera plutôt négative pour Cardiff, puisqu’il abandonne ensuite la réalisation (c’est son dernier film) pour se consacrer de nouveau à son poste de chef opérateur…
Si le formidable générique de début (avec explications scientifiques en voix off et musique bizarre) renvoie à l’incroyable Phase IV de Saul Bass (c’est d’ailleurs le même Ken Middleham qui est derrière ces images impressionnantes), The Mutations va plutôt se tourner du coté de Freaks : La monstrueuse parade, auquel il rend hommage avec ce freakshow en partie interprété par de véritables freaks (comme dans le film de Tod Browning). Certains passages renvoient même directement au chef d’œuvre de Tod Browning (le show, les scènes de vie entre les freaks, ces derniers qui assassinent un des leurs…).
Quatre jeunes gens (stupides et mal joués) sont dans le collimateur du savant fou Donald Pleasence (peu impliqué), qui fait kidnapper de nouveaux cobayes par un colosse défiguré nommé Lynch (Tom Baker sous le maquillage) afin de mettre en pratique ses théories sur la manipulation de l’ADN pour obtenir un mélange entre humain et végétal ; à vrai dire, le scénario n’a guère d’intérêt pas plus que de sens. Ce qui fait le charme (certes kitsch) de The Mutations, c’est sa galerie de freaks, ses monstres craignos (l’hideuse créature végétale fait son effet, rappelant celle de La Créature du lac noir), ses effets spéciaux à l’ancienne (le maquillage de Lynch est encore saisissant !), ses scream-queens débiles et à moitié à poils (quelques « plans nichons » viennent égayer le spectateur), son atmosphère macabre (cf. la poursuite nocturne dans la fête foraine), son casting rigolo (Donald Pleasence, Tom « Docteur Who » Baker, Michael « Loveless » Dunn des Mystères de l’Ouest, ou Julie Ege des 7 Vampires d'Or)…Plus surprenant, le personnage tragique et pathétique de Lynch a quelque chose de touchant (notamment lorsqu’il va voir une prostituée). Tout ça sent bon le bis à l’ancienne et le travail d’artisan, mais dans un parfum insolite. Jack Cardiff oblige, les plans sont soignés et il s’en dégage parfois même une poésie noire. (Jonathan C.)
Enfin, après la nuit Sushi Typhoon et la nuit grindhouse l'année dernière, c'est une nuit zombies que programmait l'Etrange Festival ce samedi, avec des cas comme Zombie Ass: Toilet of the Dead, Osombie, Cockneys vs. Zombies et Gangsters, Guns & Zombies.
Publié le dimanche 9 septembre 2012 à 08h40
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The Mutations
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