Critique Voyage vers Agartha [2012]

Aujourd'hui nom incontournable de l'animation japonaise, Makoto Shinkai a commencé à faire parler de lui dès le début du XXIème siècle avant une consécration 15 années plus tard jalonnées d'étapes telles que Voyage vers Agartha.

Le réalisateur nippon commence à devenir une valeur sûre quand il prépare Voyage vers Agartha après ses deux premiers longs-métrages bénéficiant d'une flatteuse réputation, La Tour au-delà des nuages (2004) et 5 centimètres par seconde (2007), qui n'avaient pourtant pas en l'honneur d'une sortie en salles en France bénéficiant tout de même d'éditions DVD sur notre territoire. Après ces deux œuvres, l'homme sortit de son Japon natal notamment pour travailler au Moyen-Orient puis vivre à Londres. Des séjours lui ayant fait réfléchir sur la spécificité typiquement japonaise de ses œuvres comme sur le sentiment de perte à être ainsi éloigné de chez lui. Ces réflexions comme ses lectures de jeunesse dédiées au mythe du royaume souterrain d'Agartha le poussent à rentrer chez lui en 2009 pour démarrer l'écriture et la pré-production de son prochain projet qu'il souhaite beaucoup plus accessible pour le monde entier comme plus dépaysant. Une volonté d'apporter un peu plus de classicisme à son travail lors des différentes étapes de la production. Il reste néanmoins fidèle à lui-même en ce qui concerne le contrôle qu'il exerce sur son film en multipliant les casquettes de scénariste, réalisateur, producteur, directeur de la photographie, monteur comme story-boarder... Pour ce qui est de l'animation, elle est confiée au studio CoMix Wave Films déjà responsable des deux œuvres citées plus haut. Le film sort au printemps 2011 au Japon pour un réel succès mais ne sera toujours pas distribué au cinéma en France devant attendre son édition DVD/Blu-Ray par Kaze un an plus tard chez nous.

Le film se déroule dans les années 1970 dans une région rurale du Japon où l'adolescente Asuna Watase vit un peu livrée à elle-même car sa mère travaille loin en tant qu'infirmière de nuit. Bonne élève, l'héroïne aime passer son temps près d'anciennes mines abandonnées où elle tente d'écouter la radio avec un récepteur qu'elle s'est fabriquée fonctionnant grâce à un cristal que lui a légué son père décédé durant sa jeunesse. Lors d'une de ses escapades habituelles, elle tombe nez à nez avec une étrange créature belliqueuse sur un pont où elle est sauvé par un étrange adolescent portant un cristal magique appelé Shun. Ce dernier lui apprend qu'il vient du monde souterrain d'Agartha alors qu'ils se lient d'amitié. Malheureusement, les jours de Shun étaient comptés et Asuna se retrouve désemparée par sa disparition. C'est peu de temps après qu'elle fait la rencontre de son professeur remplaçant M. Morisaki qui semble bien renseigné sur la légende d'Agartha et encourage Asuna à s'y intéresser. C'est alors qu'elle rencontre un autre étrange garçon ressemblant à Shun avant qu'ils soient poursuivis par des hommes armés qui vont la pousser à se réfugier en Agartha où l'attend une aventure extraordinaire...

Si Voyage vers Agartha est un film très plaisant, il faut néanmoins avouer que son scénario est son principal défaut. Non pas qu'il soit mauvais, il est juste assez décevant pour ne pas dire frustrant sur certains points. Il mélange ainsi la découverte du monde souterrain d'Agartha tout en voulant raconter l'histoire d'Asuna dans une sorte de passage à l'âge adulte comme les destinés de Shin et de M. Morisaki, tous trois confrontés à des pertes et ayant du mal à complètement faire leur deuil. Le thème de deuil est assez bien traité entre celui que l'on arrive pas à faire, celui qu'on évite d'affronter de face et celui dont on ignore les effets... Le problème du scénario vient surtout de tout ce qui tourne autour d'Agartha, de ses créatures comme de son fonctionnement. Makoto Shinkai semble avoir été coincé entre l'envie de garder du mystère et celle de donner de nombreuses pistes.  Au final on a quand même l'impression de ne pas en savoir assez pour bien comprendre ce monde. De plus, les dialogues ne sont pas toujours des mieux réussis avec des personnages qui déclament souvent des réflexions sentencieuses bien trop sérieuses. On a aussi du mal à pleinement s'attacher aux errements des personnages secondaires dont les motivations arrivent parfois comme un cheveu sur la soupe. De plus la fin s'avère aussi confuse que précipitée pour pleinement convaincre.

Pour ce qui est de son univers, le film est avant-tout fantastique notamment le début où des créatures et des garçons aux pouvoirs étranges débarquent dans la vie assez banale d'Asuna. Avant qu'elle ne plonge dans ce monde souterrain ayant un aspect quelque peu fantasy avec cette ambiance médiévale et ses grands espaces surtout ruraux. Le film a aussi un léger aspect uchronique car Agartha est connue depuis longtemps par les puissants ou par une ancienne société secrète souhaitant s'y introduire. Cette découverte d'Agartha prend aussi la forme d'une sorte de fuite en avant pour nos héros s'avérant riche en rencontres amicales ou plus belliqueuses puisque le statut d'étrangers de Asuna et M. Morisaki va leur apporter quelques ennemis. Une découverte en tout point sublime car le film est réellement magnifique grâce à une direction artistique colorée qui fonctionne à merveilles. Que cela soit un Japon rural, les différents lieux d'Agartha visités ou les créatures rencontrées, tout attire divinement l’œil dans de magnifiques tableaux animés enfonçant encore une fois le clou sur la beauté insolente des films d'animation 2D japonais.

Une beauté qui doit évidemment beaucoup à l'expérience des équipes de CoMix Wave Films mais aussi au perfectionnisme de Makoto Shinkai. Cela se retrouve notamment dans des décors incroyables qui fourmillent de vie ou qui appellent à l'aventure comme cette zone rurale japonaise dans laquelle on aimerait se perdre. On est aussi frappé par les différentes créatures que l'on croise qui offre une originalité assez folle à un ensemble assez classique du reste. Mais cette approche artistique classique est justement ce qui permet au fantastique d'être plus impactant comme quand Asuna rencontre les créatures gardiennes d'Agartha. Et c'est aussi là que le travail d'animation se montre à son meilleur pour un résultat global d'un très haut niveau. Makoto Shinkai est incontestablement un chef d'orchestre doué dont la mise en scène permet parfaitement de faire cohabiter les personnages comme les grands espaces qu'ils parcourent. De même que le début au rythme assez lent, à la limite du contemplatif, permet de rendre plus forte les rencontres fantastiques qu'Asuna fait dans ces lieux qui font partie de son quotidien. Le réalisateur réussit ensuite à donner plus de rythme à son récit en dynamisant notamment les phases de dialogues via de bonnes alternances des plans. On retiendra aussi une incroyable course-poursuite avec des créatures se fondant dans les ombres à même de nous rappeler pourquoi on aime tant le cinéma d'animation. Enfin, le doublage original est d'une grande qualité dans la lignée de ce que propose l'animation japonaise via des comédiens expérimentés.