Critique Notre-Dame-aux-Écailles [2008]

"La cité travestie ne dort jamais. Ses insomnies sont contagieuses. Depuis six mois, je hante ses rues. Ils sont des centaines à me croiser chaque jour pour m'oublier aussitôt. Avec mon sac en bandoulière et mes habits quelconques, on doit me croire touriste ou étudiant. Eux ne me voient pas, mais il en est d'autres qui guettent. Parfois, aux abords des canaux, je jurerais entendre le clapotis m'appeler par mon nom..."

Dernier recueil de nouvelles de Mélanie Fazi aux éditions Bragelonne, Notre-Dame-aux-écailles est un patchwork de sensations, une lecture aigre-douce. Il vient d'être réédité dans la coll. Folio SF éd. Gallimard.
Car si l'on compte douze nouvelles (la cité travestie, en forme de dragon, langage de la peau, le train de nuit, les cinq soirs du lion, la danse au bord du fleuve, villa Rosalie, le noeud cajun, Notre-Dame-aux-Ecailles, mardi gras, noces d'écume, fantômes d'épingle), nul doute que Mélanie Fazi vous fait passer par un éventail beaucoup plus grand d'émotions.

Pour celles et ceux qui ne sont pas amateurs de nouvelles, que le format n'intéresse pas, n'hésitez pas à vous faire violence. Alors en lisant ce genre de recueil, vous changerez vos habitudes, car après avoir lu Notre-Dame-aux-écailles, tout lecteur qui se respecte se remet en question.
Et puisque vous serez séduit par l'écriture et les sensations ressenties, vous pourrez vous plonger dans ce qu'elle a produit avant: Serpentine, Arlis des forains, Trois pépins du fruit des morts.

Si Serpentine décrit des histoires un peu gothiques, avec des personnages carrément borderline, où la mort prend une place considérable, si son style est sans concession, Notre-Dame-aux-écailles met d'abord le lecteur en condition avant de le faire basculer dans l'étrange. Soyez avertis car l'auteur vous met en confiance pour mieux vous surprendre en fin de compte. C'est le cas avec la cité travestie, dont le cadre romantique de Venise augure d'une magnifique histoire d'amour mais se révèle cauchemardesque, c'est aussi le cas dans le noeud cajun où une famille attendant un heureux évènement bascule dans l'horreur, tout comme dans noces d'écume où un couple qui a tout pour être heureux est soumis à l'épreuve de la nature, ou enfin dans mardi gras dans la ville de New Orleans pansant ses plaies dans un formidable carnaval qui occulte l'autre visage d'une ville meurtrie. Elle nous met même dans la peau d'une jeune fille, dans en forme de dragon, sans aucun doute la plus belle nouvelle du recueil, avec son lot de sensations, d'interrogations qu'elle se pose et d'interprétations de faits qu'elle ne comprend pas à cet âge là. Le point de vue d'une gamine et de son pouvoir. Une histoire à la Peter Pan.
Mélanie Fazi revisite aussi les thèmes caractérisant le fantastique: le loup-garou, le tunnel vers la mort sous d'autres formes, la maison hantée, les fantômes.

A lire ce recueil maîtrisé, on serait presque poussé à lui demander de laisser tomber la traduction pour se mettre à plein temps sur l'écriture. On peut toujours essayer...