Critique La Ballade de Bêta 2 [1980]

"- La réponse est tout simplement: parce qu'ils sont là! Une lumière laiteuse provenant de la structure hélicoïdale venait jouer sur le visage anguleux du professeur. - Mais..., commença Joneny. - Il n'y a pas de mais, interrompit le professeur. (Ils étaient seuls dans son bureau) Ce n'est pas aussi simple que cela, vous savez. A une certaine époque, ils ont été nombreux et ont accompli quelque chose qui n'avait jamais été fait auparavant, qui ne sera jamais refait; de plus, ils n'ont pas entièrement disparu. C'est pourquoi vous devez leur consacrer une étude..."
Le recueil paru aux éditions Bragelonne collection SF contient deux romans (Nova et Babel 17) mais aussi cinq textes nouvelles/novellas déjà parues (La ballade de Bêta-2, empire star et la fosse aux étoiles) ou non (... et pour toujours Gomorrhe et le temps considéré comme une hélice de pierres semi-précieuses). Mais c'est surtout dans ce recueil que Samuel R. Delany exprime totalement toute l'étendue d'une écriture stylisée et enchanteresse.
La ballade de Bêta-2 nous transporte à des millénaires dans le futur où l'humanité s'est enfin essaimée parmi les étoiles. Or, avant de pleinement atteindre les systèmes voisins, la technologie n'a d'abord permis d'atteindre que des portions infimes de la vitesse de la lumière. Pour les habitants (le Peuple Astral) de ces vaisseaux stellaires, la vie doit se perpétuer à bord, où les générations doivent se succéder pour que leurs descendants puissent enfin pouvoir poser un jour le pied sur une planète habitable. Il s'avère qu'avant ce jour, la technologie avait évolué sur Terre et permis de voyager beaucoup plus vite que ces premiers vaisseaux à la technologie devenue primitive. Ils ont pourtant continué leur éternel voyage aux confins de l'espace. Mais un drame est arrivé...
Cette novella est typiquement le genre de texte où l'on découvre tout le talent de Samuel R. Delany. A la base, l'idée de décalage temporel et technologique est assez commune en science fiction (croisière sans escale de Brian Aldiss, la guerre éternelle de Joe Haldeman, aucune étoile aussi lointaine, de Serge Lehman...), et pourtant l'auteur l'exploite le filon pour en faire une histoire formidable: d'une part grâce au poème d'où tout est parti, et d'autre part dans l'enquête passionnante de Joneny, le cartésien, le sceptique. Un drame à l'arrivée.
Empire star est une nouvelle initiatique. Sur une planète extérieure à la civilisation galactique, un jeune homme pas brillant mais heureux et peut-être ambitieux décide de sortir de sa maison, de son village, de sa planète. Direction Empire Star. Etrangement, au cours de son voyage, il est instruit, acquiert des connaissances. Son esprit change et grandit. Reviendra-t-il sur son lopin de terre et son vieil arbre tordu au milieu ?...
Une fois encore, c'est sur un texte court que Samuel R. Delany émerveille le lecteur, par la justesse de son propos et la concision de l'intrigue. Or, après un début que l'on croit calamiteux (qui n'est qu'une variation des fleurs pour Algernon de Daniel Keyes) et obscur, l'histoire s'enrichit, se complexifie et la mise en abyme est brillamment mise en place. Le dénouement est tout simplement étourdissant.