Critique Le Haut-lieu et autres espaces inhabitables [2008]
Avis critique rédigé par Manu B. le dimanche 3 août 2008 à 09h45
Espaces inhabitables et autres lieux
"L'instant d'avant, l'univers semblait replié sur lui-même, immobile et silencieux, et la pénombre était si dense qu'on l'eût prise pour chose vivante. Puis, tout s'anima brusquement. Une sonnette émit un bourdonnement, six étages plus bas. La gâche d'une porte d'entrée céda avec un claquement sonore. Des pas résonnèrent sur le dallage. Des voix murmurèrent..."
Après avoir écrit quelques romans dans la collection Fleuve Noir Anticipation ( La loi majeure, espions de l'étrange) qui l'ont propulsé comme l'un des meilleurs espoirs de la SF française, après avoir été encensé par la critique pour la série F.A.U.S.T. (Grand Prix de l'imaginaire en 1996, Prix Ozone en 1997), après avoir été récompensé par les prix ozone et Grand prix de l'imaginaire en tant que nouvelliste, après avoir écrit l'une des plus belles fables SF françaises (Aucune étoile aussi lointaine en 1998, prix Ozone en 1999), après avoir calé sur Métropolis pendant quelques années, après avoir scénarisé la trilogie Nikopol d'Enki Bilal, après avoir fait son come-back en temps qu'écrivain avec le recueil de ses meilleures nouvelles (le livre des ombres en 2005), après avoir travaillé sur la bande dessinée (la saison de la couleuvre et Thomas Lestrange), Serge Lehman est de nouveau publié, chez Denoël Lunes d'encre avec ce recueil de nouvelles dont une inédite. Au sommaire: Le haut-lieu, le gouffre aux chimères, la chasse aux ombres molles, superscience, origami et la régulation de Richard Mars.
On regrette souvent que Serge Lehman soit si peu publié, qu'il n'écrive pas plus souvent car ces nouvelles (celles de ce recueil en l'ocurrence) sont des petits bijoux. Si on suit un tant soit peu son oeuvre, il se trouve qu'il semble à l'aise dans de nombreux domaines, et dans l'art, et dans l'histoire, et dans la science, et dans le développement de concepts.
Certaines de ses idées abordent des sujets d'ailleurs si pointus qu'elles nous dépassent. Prenons Superscience (novella parue en 2006 dans Bifrost n°42), par exemple. Cette novella s'inscrit dans son projet Métropolis (un roman pour l'instant suspendu, une uchronie et une utopie où l'histoire a bifurqué sur le point nodal de la deuxième guerre mondiale). Métropolis est une ville utopique (probablement inspirée du film du même nom) où la vie, l'art, l'architecture se conçoit selon des plans que l'on retrouve dans les archives, venues de l'autre alternative (notre monde où l'Histoire s'est déroulée comme nous la connaissons). Mais comme dans toute utopie, la gestion de cette ville tourne au vinaigre et la réfection d'un quartier tout entier soumis à l'arbitrage du conseil est un point de dispute entre l'un des trois architectes initiaux et un nouveau promoteur. Si le concept est vertigineux, c'est le nombre des références (artistiques et architecturales) qui laisse perplexe le lecteur ignorant. Il se sent passer à côté de l'essentiel d'un texte de haute volée, sans comprendre pourquoi. Cependant la réification décuplée par une substance halucinogène est assez impressionnante. Dickienne.
On retrouve ce concept dans la novella le haut-lieu (déjà parue en 1993 en tant que roman). Ce texte fantastique exprime avec une rare force la chosification d'un sentiment, d'une pensée, d'une déchirure psychologique. Je n'irais pas plus loin dans l'idée sans déflorer le dénouement, mais le haut-lieu est certainement le texte le plus marquant du recueil, au-delà de l'idée. C'est une atmosphère, un procédé extrêmement simple et pourtant extrêmement efficace. Un truc à vous filer la chair de poule.
Avec humour, il aborde de nouveau la concrétisation de l'idée dans la nouvelle le gouffre aux chimères (déjà parue en 2004). Ici, le propos tourne autour de l'inspiration, de L'Idée géniale qu'il faut concrétiser pour changer une existence, voire la société. Elle prend une forme totalement littéraire, originale et complètement folle. Une nouvelle preuve de la créativité et de la réflexion de cet auteur autour de ce concept.
Le haut-lieu et autres espaces inhabitables rassemble aussi d'autres thèmes plus scientifiques et sociologiques. Dans la chasse aux ombres molles (déjà parue en 1991), il dissèque le fonctionnement d'une compagnie dont l'obsession à suivre psychologiquement ses employés risque de nuire au fonctionnement de l'entreprise.
Enfin, il explore les concepts scientifiques avec Origami (déjà parue en 2006, dans ciel & espace et prix Rosny Ainé) et la régulation de Richard Mars (novella inédite). Dans la première, un journaliste scientifique est envoyé en séminaire chez un éminent physicien, en vue de comprendre ce qu'il a découvert. Il ne passe pourtant ses jours qu'en faisant des cercles, jusqu'à en faire un parfait. Une façon de formater l'esprit pour accepter l'inacceptable.
La deuxième novella réussit à rassembler science et sociologie avec des rats pour matière à réflexion.On y retrouve toute la poésie dont l'auteur est capable
La conclusion de Manu B. à propos du Recueil de nouvelles : Le Haut-lieu et autres espaces inhabitables [2008]
Au final, Le haut-lieu et autres espaces inhabitables est un recueil cohérent. Serge Lehman nous laisse entrevoir son univers conceptuel, pas toujours facile à pénétrer mais passionnant une fois décrypté. Ses espaces inhabitables sont hautement recommandables.
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