Critique Warchild #1 [2009]

"Tapis sous la grille d'accès de service, tu ne vois pas leurs visages. La fumée s'insinue par les trous minuscules, vient courir sous ton nez, sur tes paupières, te force à retenir ton souffle, à cligner des yeux brûlants de larmes. Ou qu'elle aille, la fumée est suivie de bruits de pas, lourds, violents, sur le pont, qui sèment les cris, les hurlements, les tirs.
Tu ne sais même pas quoi chercher, ou comment; comment retrouver cette voix que tu as tellement besoin d'entendre entre toutes celles qui s'élèvent et retombent derrière cet écran. Cet abri. Ta lâcheté..."

Joslyn Aaron Musey est seul et caché, il a huit ans et il a peur. Ses parents lui ont toujours dit qu'en cas d'alerte, il devait se cacher là. Il sait aussi où se trouve l'arme, celle qu'il n'a pas le droit de toucher et dont il sait ôter le cran de sûreté pour s'en servir. Aujourd'hui, l'alarme a retenti dans le vaisseau Mukudori où il vit depuis toujours, et les cris qu'il entend ne sont pas les mêmes que d'habitude, pendant les exercices. Aujourd'hui, les pirates ont vraiment abordé et ils ne feront pas de quartier, pas de fioriture, pas de sentiment et forcément des prisonniers. Mais Jos ne veut pas aller au Centresclaves, là où les petits enfants vont quand ils ne sont pas sages. A huit ans, on croit toutes ces choses-là. Et les pirates ont investi le vaisseau et l'ont emmené avec lui...

Karin Lowachee est canadienne, née en 1973, et Warchild est son premier roman, paru en 2002, récompensé par un Warner Aspect Award et finaliste du Philip K. Dick Award. Elle a, depuis, écrit deux romans se situant dans le même futur: Burndive et Cagebird; le dernier a été récompensé par le prix Aurora 2006. Warchild se situe entre La Stratégie Ender et Etoiles, garde à vous !, le destin tragique d'un enfant dans le chaos d'une guerre qu'il n'a pas choisie.

2183. L'humanité a essaimé les hommes à travers les étoiles et on compte de nombreuses colonies à travers la galaxie. Mais elle est tombée sur un os extra-terrestre. En voulant s'approprier une lune qui contenait de nombreux minerais nécessaires à la construction des vaisseaux du ConcentraTerre, les humains ont déclaré la guerre aux ET, les Striviirc-na et que les hommes appellent vulgairement les Strits. Ce sont des humanoïdes, avec de transparentes petites ailes, et leur conception de la vie est radicalement différente, notamment en ce qui concerne leur environnement.
Cette vision des choses a touché le coeur de certains des humains qui se sont ralliés aux Striviirc-na, ce qui n'a pas du tout réjoui les forces du ConcentraTerre, spécialement les factions bellicistes. Les partisans des Strits sont donc passés à l'ennemi et se sont nommés les Symps (les Sympathisants). En 2183, il y a une sorte de statu quo et les Strivs et les Terriens s'observent de chaque côté d'une zone démilitarisée (la ZD), et attendent les incursions dans cette zone pour effectuer des frappes éclairs. Il faut dire que les pirates attaquent les nombreux transporteurs qui commercent entre les deux factions. Et les pirates n'ont aucun scrupule à aborder les vaisseaux, s'emparer de la cargaison et kidnapper les membres de l'équipage. En particulier les enfants qui sont destinés à l'esclavage et la prostitution. Falcone, avec son vaisseau le Ghengis Khan, est un des anciens capitaines du Concentra et le plus vil des nouveaux pirates. Il a aussi un certain appétit pour les jeunes enfants. Côté Concentra, le capitaine Azarcon et son vaisseau le Macédoine a la réputation d'être le meilleur tueur de Strits. Côté Striv, c'est le Warboy qui est légendaire. Ces deux-là risquent fort de se retrouver un jour face à face. Mais quand ?

Ce qui accroche le lecteur dès les premières lignes, c'est le style.  Karin Lowachee emploie la deuxième personne du singulier pendant toute la première partie. Et ce n'est pas tout: ce sont les mots d'un gamin de huit ans. Elle bascule ensuite à la première personne du singulier et on sent que Jos prend en maturité car les années passent pour lui, une dizaine, pendant lesquelles il prend conscience des évènements qui lui arrivent. Des choses vraiment moches, dramatiques pour la construction d'une vie.
On retrouve un peu l'histoire d'Ender, le héros de La Stratégie Ender d'Orson Scott Card, qui malgré son intelligence, n'a aucune idée de la finalité de ce qu'il fait. On retrouve aussi l'histoire de Juan Rico, le héros de Etoiles, garde à vous ! de Robert A. Heinlein, embrigadé dans l'infanterie pour vaincre la horde de Punaises. Ici aussi, il n'y a rien de manichéen avec les Méchants d'un côté et les Gentils de l'autre. Ici aussi, il y a un enfant puis un jeune homme qui souffre de faire ce qu'il a à faire, parce qu'il comprend petit à petit ce qu'on lui a fait, à lui.

Karin Lowachee raconte tout cela avec à la fois beaucoup de réalisme et beaucoup de pudeur. Elle mène son histoire avec justesse. Ses personnages, tous ses personnages sont convaincants. On pourra lui reprocher un manque d'originalité et l'inspiration un peu trop appuyée des deux romans majeurs cités. On pourra lui reprocher aussi l'inspiration trop humaine des aliens: les codes des samouraïs, les coutumes tirées du japon médiéval et même moderne (les Yakuzas). Mais l'ensemble reste assez cohérent. Et l'important réside dans l'histoire de ce garçon, devenu adulte bien trop tôt. On ne s'ennuie pas une seconde.