Critique Ordre noir [2010]

"Ils suivaient un chemin tracé longtemps avant le jour de leur naissance, un chemin emprunté depuis par un tout petit nombre d'élus. Ils suivaient ce chemin pour celui qui avait été d'abord leur chef, ensuite leur maître, enfin bien plus encore: pour eux et beaucoup d'autres, presque un roi..."

De nos jours. Patricia est une jeune femme, quoique solitaire, contente de son travail de professeur dans un lycée de Bowden. Profitant de son jour de congé, elle se remet du stress de la semaine écoulée en se promenant dans le centre commercial. A l'occasion, peut-être ferait-elle la rencontre d'un jeune homme charmant qui la changerait de son quotidien de célibataire un peu pesant. En passant dans le rez-de-chaussée, près de la fontaine, elle fait une curieuse rencontre: une petite fille s'adresse à elle et lui donne un énigmatique avertissement. Il faut faire attention, la catastrophe est proche. Intriguée, elle se dirige vers la devanture d'un magasin lorsqu'elle voit un homme se déshabiller lentement, révélant une machinerie qui ne laisse aucun doute sur sa nature. La bombe explose quelques secondes après...

Johan Heliot est l'un des rares écrivains français qui a su s'imposer aussi bien dans la littérature jeunesse qu'adulte. Par exemple, il sort en 2010 trois titres jeunesse (Les Pirates de fer, La Confrérie des naufrageurs et Les Flibustiers du vent) et un livre pour les moins jeunes (ce roman). Il n'avait pas écrit de roman adulte depuis 2007, mais que son public lui  pardonne son absence: Ordre noir (aux éditions Fleuve Noir coll. Rendez Vous Ailleurs) est un très bon roman.

Johan Heliot est intéressé par l'Histoire: antiquité, XIXe et XXe siècle, il a exploré au travers d'uchronies (Dont La Lune seule le sait et suites) différentes périodes avec un plaisir non feint tant les détails y abondent. Normal puisque c'est son (aujourd'hui ancien) métier. Avec le scénario qu'il s'est concocté pour Ordre noir, ce n'est pas un mais de nombreux pans de l'Histoire dans lequel il peut laisser libre cours à sa plume. Il vous sera donc possible de remonter dans le temps jusqu'à l'antiquité, revenir en 1917, 1933, 1949 ou 1969. A chacun de ces noeuds l'Histoire peut basculer d'un extrême à un autre. Temporel, ce roman est aussi un voyage spatial de la Palestine jusqu'au Etats-Unis, en passant par l'Allemagne.

Tout cela est intéressant car tout est bien documenté, mais cela pourrait vite devenir ennuyeux si la construction n'était pas maîtrisée. En organisant l'histoire selon trois axes très équilibrés, le roman ne souffre pas de longueurs. L'un concerne l'histoire de Patricia, une orpheline qui ne souvient pas de ses origines, l'autre raconte celle de Matt, avocat alcoolique sans avenir, et le dernier est celle d'Avraham, soldat juif converti par des évènements extraordinaires. A priori, ces trois-là n'ont absolument aucun rapport. Mais là où Johan Heliot démontre toute sa maîtrise, c'est que les liens qui les unissent ne vont être révélés que tard dans le roman et pas de manière artificielle.
Il en découle naturellement que l'intérêt et la curiosité du lecteur sont attisés du début à la fin et sa lecture est au final captivante de bout en bout.

L'idée qui se dégage après la lecture de ce roman, c'est que l'Histoire tient parfois à peu de choses. L'analyse des grandes tragédies a posteriori nous enseigne que les détails font toute la différence, au risque d'énoncer des lapalissades.