Critique La Tour de Babylone [2006]
Avis critique rédigé par Manu B. le mercredi 5 mai 2010 à 00h11
Eganissades
"Si on pouvait coucher la tour dans la plaine de Chinar, il faudrait deux jours de trajet pour la longer d'une extrémité à l'autre. Dans sa position normale, l'escalader de la base au sommet demande un mois et demi, à condition d'aller sans fardeau. Toutefois, rares sont ceux qui effectuent l'ascension les mains vides. Pour la plupart, le chariot de briques qu'ils traînent derrière eux ralentit la marche. Il s'écoule quatre mois entre le jour où l'on charge une brique sur un chariot et celui où on la décharge pour l'incorporer à l'édifice..."
Comme il est écrit en quatrième de couverture (ed Denoël coll. Lunes d'encre) Ted Chiang est un écrivain discret et peu prolixe. Il n'a, depuis, écrit qu'un roman (The Merchant and the Alchemist's Gate) en 2007
La Tour de Babylone rassemble les rares nouvelles qu'il a publiées entre 1991 et 2002. Mais quelles nouvelles ! En effet, la tour de Babylone (Locus et Nebula), l'histoire de ta vie (Nebula), l'enfer, quand Dieu n'est pas présent (Hugo, Locus et Nebula) ont été récompensés par les plus prestigieux des prix. Le recueil est réédité aux éditions Gallimard Folio SF.
L'auteur marche dans les pas de Greg Egan, qui l'a inspiré et pour qui il a beaucoup d'admiration, et c'est tout naturellement qu'il écrit dans les mêmes sphères thématiques que son aîné.
Ainsi, en puriste qu'il est, l'écrivain américain s'immerge dans la biologie, les mathématiques et l'informatique. Dans comprends, des hormones sont injectées dans le corps d'un homme pour réparer les dégâts neuronaux subits lors d'un accident qui l'a plongé en coma dépassé. Le résultat est spectaculaire puisqu'en lieu et place des neurones détruits "poussent" d'autres connexions beaucoup plus performantes. Il devient beaucoup plus intelligent, d'une intelligence qui surpasse les capacités de tout être humain. Il s'enfuit dès lors qu'il comprend que l'armée commence à s'intéresser à lui. Le style épuré du texte rend le personnage central encore plus froid à mesure que son intellect se développe, car ici Charlie Gordon ne perdra jamais ses facultés.
Division par zéro est une étrange nouvelle car il s'agit de l'histoire d'une mathématicienne de génie qui prouve un jour que 1=2. En retournant le problème dans tous les sens, elle ne trouve pas de faille dans sa démonstration, ce qui la plonge dans la dépression. Il y est question du rapport entre les mathématiques et le monde. Si elles ont été inventées de manière empirique, leur théorisation ne risque-t-elle pas d'en faire une science sans aucun lien avec notre réalité ?
La courte nouvelle de quatre pages l'évolution de la science humaine raconte l'histoire de la race humaine. Elle a créé une façon de se transcender, mais le résultat de cette transcendance - une nouvelle race métahumaine - ne s'avère pas aussi coopérante qu'escompté. Le texte est une ébauche d'idée sur une espèce de singularité humaine qui mériterait une novellisation.
Enfin, le dernier texte, histoire de ta vie, hard-science se concentre sur le langage. Une linguiste est convoquée par les services gouvernementaux pour pouvoir communiquer avec une espèce extra-terrestre. Elle se rend compte qu'il va falloir qu'elle modifie complètement son schéma de pensée pour comprendre ce peuple, en particulier sur sa structure fondamentale. Quand les philosophes nous disent que pour connaître l'autre, il faut savoir parler sa langue... Probablement le texte le plus intéressant du recueil. Et pour ceux qui ont apprécié L'enchâssement.
Il y a les sciences et bien sûr la religion. Contrairement à Egan, athée pur et dur, Ted Chiang est plutôt agnostique, ce qui rend le traitement de ce thème beaucoup plus intéressant. Ainsi, il détourne la tour de Babel de la Genèse, dans la tour de Babylone, pour narrer l'histoire de deux hommes en chemin pour grimper tout en haut de l'édifice déjà bien avancé. C'est un monument colossal et au moment d'atteindre le paradis, Dieu leur a réservé une surprise. Il n'a pas dispersé l'entreprise humaine en inventant les langages mais joue un tour d'une autre nature aux hommes.
Le thème du langage, ou plutôt du verbe, intervient aussi dans la nouvelle soixante douze lettres. Les golems prennent vie grâce aux noms qui les animent. En même temps, Ted Chiang y introduit l'idée de la continuité de l'espèce dans les générations futures. Il reprend le prologue de l'Evangile selon Saint Jean: ""Au début était le Verbe, Le Verbe était auprès de Dieu et le Verbe était Dieu..." Le héros et ses partenaires se prennent vite pour Dieu. Pas sûr qu'ils en reviendront vivants. Le thème de la nouvelle suivante est suffisamment rare pour qu'on s'y intéresse chez un auteur de hard-science: ici, Dieu existe et les anges descendent sur Terre pour prodiguer miracles et miséricorde. L'écrivain s'intéresse cette fois-ci au Livre de Job qu'il revisite en narrant l'histoire d'un homme comblé par la vie mais pas spécialement pieux (contrairement à Job). Un jour, tout lui est repris par l'ange Nathanael. Intervient alors le personnage de Janice, pieuse mais pas aidée à la naissance. Or les miracles existent. Ted Chiang a juste changé la morale du Livre de Job.
La dernière nouvelle, Aimer ce que l'on voit : un documentaire, est une biographie orale (voir Peste de Chuck Palahniuk). Il y est question de l'appréciation de l'esthétique de l'autre et de son jugement. Un jugement qui est peut être éduqué en inhibant le sens de la beauté. On apprécie la forme. Un peu moins le fond.
La conclusion de Manu B. à propos du Recueil de nouvelles : La Tour de Babylone [2006]
Ted Chiang est le fils spirituel de Greg Egan. Aussi rare et aussi doué. La Tour de Babylone rassemble un bouquet de concepts romancés et de thrillers futuristes de haute volée.
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