Critique Par-delà les murs du monde [1979]

"FROIDE, FROIDE ET SOLITAIRE, LA PRESENCE MALEFIQUE ERRE PARMI LES COURANTS DES ETOILES. ELLE EST IMMENSE, ET NOIRE, ET PRESQUE IMMATERIELLE: SES POUVOIRS DEPASSENT LES POUVOIRS DE TOUTE CREATURE CONSCIENTE. ET ELLE SOUFFRE..."

Sur la planète Tyree, les Pères et les femelles vivent en complète harmonie: pendant que les premiers pouponnent, les secondes s'occupent de la nourriture en domptant le vent. Les Ecouteurs ont capté des signaux inquiétants venant de mondes éloignés. Une menace effroyable, un dévoreur de mondes se rapproche de Tyree.
Sur la planète Terre, le docteur Daniel Dann s'occupe de patients très particuliers. Ils ont tous un don psychique qui, mal canalisé, a placé ceux qui le possédaient dans des situations tragiques. Dann est responsable de ces sujets dans le cadre du projet Polymère. Ces êtres sont destinés à se rencontrer, mais dans quelles circonstances ?...

James Tiptree Jr est l'auteur de deux romans et d'une bonne dizaine de recueils de nouvelles. Ses nouvelles, recueils et novellas ont été récompensés par plusieurs prix Hugo, Nebula, Locus et World Fantasy. Cet auteur fut célèbre parce qu'il n'a révélé que tardivement qu'elle était une femme. Par delà les murs du monde vient d'être réédité aux éditions Gallimard coll. Folio SF.

Celle qui a donné son nom à un prix très important et qui récompense justement ce qui caractérise les textes de James Tiptree Jr, à avoir les relations hommes-femmes, a écrit de belles histoires qui ont inspiré de grands auteurs, notamment de hard-science qui ont su humaniser leurs oeuvres. On pense à la génération des Stephen Baxter, Charles Stross ou Greg Bear mais aussi de plus anciens dont Gregory Benford.
Et pour cela, l'auteur s'appuie sur de très beaux personnages. A commencer par celui du docteur Dann, à la psychologie complexe, doté du don d'empathie, un don et une calamité. Ajoutons les autres humains également doués et à la fois psychologiquement dérangés, au passé parfois tragique, aux motivations et aspirations bien singulières.
C'est également vrai pour les extra-terrestres, et notamment Tyvonel et Giadoc, aux comportements à la fois humanistes (et oui!) et entièrement étrangers, donc difficilement compréhensibles. Pour les habitants de Tyree, James Tiptree Jr insiste sur les notions de paternité et de répartitions des tâches: là, le fait de porter les enfants offre aux Pères la place la plus importante de l'espèce, chose pas tout à fait reconnue pour les femme dans notre société, à l'époque de la parution du roman en 1978. C'est d’ailleurs un thème assez peu mis en valeur en SF.

Si l'on considère que le concept de destructeur de mondes a été plus exploité ces vingt dernières années (on peut citer Un Feu sur l'Abîme en 1992, le cycle de L'Espace de la révélation en 2000, parmi les plus célèbres), l'auteur en livre une vision assez évocatrice, à la fois inquiétante et très plausible, dans le sens où cette entité vit sur un plan complètement différent du nôtre.
La vérité sur sa nature est un beau rebondissement dans l'histoire.
Enfin, la dernière partie confirme l'originalité de ce roman avec quelques tableaux quasi oniriques de grande beauté.