Critique Eternity Incorporated [2011]

"En me réveillant ce jour-là, je sentis que l'aube nous avait apporté l'impossible.
Quand j'ouvris un oeil, le monde autour de moi était couvert d'une brume cotonneuse. Les contours de ma cellule n'existaient plus, seules quelques taches de couleur peuplaient mon intérieur..."

Dans la bulle, les habitants vivent à l'abri du virus qui a décimé l'humanité il y a quelques siècles. Le Processeur qui régit leur habitat et pourvoit à leurs besoins est malgré tout la seule interface avec l'extérieur. Aussi, lorsque ce matin il tombe en panne, ils sont paniqués et se sentent perdus face à la menace qui vit de l'autre côté de la paroi du dôme.
Sean est un artiste qui puise l'inspiration de sa musique dans les banques de données du Processeur. Membre de la faction des Déconnectés, il aspire à une vie sans l'omnipotence d'un processeur qui s'occupe de régir la vie des hommes.
Gina, plutôt Traditionaliste, est à a tête du département de la connectique et entretient une relation privilégiée avec le Processeur.
Ange est lieutenant dans la brigade des forces chargées des missions extérieures à la bulle. Elle côtoie le danger à chaque sortie dans l'atmosphère, protégée dans sa combinaison étanche.
Rien ne préparait ces trois là à survivre et à jouer un rôle déterminant dans ce qu'on appellera la Grand Panne...

Raphaël Granier de Cassagnac est, outre son métier de chercheur en physique des particules, directeur de la collection Ourobos chez Mnémos. Chez le même éditeur, il est coauteur d'Abyme, le guide de la cité des ombres et Kadath, le guide de la Cité Inconnue. Toujours dans la même maison d'édition, Eternity Incorporated est son premier roman d'anticipation. Un premier jet prometteur pour la science fiction française.

Le pitch est carrément alléchant à défaut d'être particulièrement original. Soyons francs: le pitch du roman post-apocalyptiques mettant en scène une bulle d'humanité coupée du monde hostile a déjà été traité.
Mais il y a le sujet et ce qu'on en fait. De ce côté, l'écrivain français s'en sort avec les honneurs.
Eternity Incorporated est un roman à plusieurs voix. Plusieurs voix de personnages au tempérament, à la fonction et à la position dans la société aux antipodes les uns des autres pour comprendre la problématique globale - qui s'avère assez complexe en fin de compte. Nous avons d'un côté une représentante de la police (ou de l'armée) à l'esprit pragmatique et au sens aigu de la loyauté, un marginal doué en bidouillage digital (assez pour en faire de la musique) et une femme capable de contrôler le réseau (si le Processeur tombe hors service, ce qui théoriquement est impossible).
La Grande Panne met évidemment les protagonistes dans un état de stress intéressant, point de départ de l'histoire (Curieusement, on apprend assez vite que les moeurs les plus décalées ne sont pas le fait de celui qu'on soupçonne). Dès lors, on se prend au jeu de découvrir comment tout ce petit monde va pouvoir se débrouiller tout seul, sans l'intervention paternaliste du Processeur, avec en question de fond: mais pourquoi le Processeur a-t-il cessé de fonctionner?

Ce roman se révèle vite comme un roman sociologique au delà du vernis de l'enquête policière, laquelle aboutit à une explication totalement impossible à découvrir avec les données initiales.