Critique Le Dragon Griaule [2011]
Avis critique rédigé par Manu B. le mercredi 21 septembre 2011 à 23h58
Le dieu qui dort et qui rêve
"En 1853, dans un lointain pays du Sud, en un monde séparé du nôtre par la plus infime marge de possibilités, la vallée de Carbonales, une région fertile entourant la cité de Teocinte et réputée pour sa production d'argent, d'acajou et d'indigo, était placée sous la domination d'un dragon nommé Griaule. Il y a avait d'autres dragons en ce temps-là, vivant pour la plupart sur des îlots rocheux à l'ouest de la Patagonie - de minuscules créatures irascibles, dont la plupart avait à peine la taille d'une alouette. Mais Griaule était l'une des Bêtes géantes qui avaient régné sur un âge antique..."
Lucius Shepard est un auteur dont la notoriété en France a subit de grandes fluctuations. Dommage, car si l'on commence à s'intéresser à ses oeuvres, on peut devenir rapidement un fervent admirateur de l'auteur, toujours en marge des genres. Se réclamant soit clairement de la science ou soit d'une espèce de fantastique, il semble refuser de se laisser cataloguer. Comme il l'explique dans la postface de ce livre, il déteste de tout son coeur les elfes, les sorciers, les changelins et les dragons. Et pourtant, le thème, l'idée autour de laquelle les nouvelles tournent ici est un dragon. De la fantasy a priori.
Publié d'abord fin des années 80 jusqu'au milieu des années 90, il a largement été "redécouvert" en 2005 grâce aux éd. Le Belial'. Après Aztechs, Louisiana breakdown et Sous des cieux étrangers, Le Dragon Griaule est la dernière publication de cette maison d'édition. Bien que d'un genre différent de son précédent recueil, les textes de celui-ci sont aussi beaux, les deux derniers replongent même le lecteur dans l'ambiance moite et mystérieuse de La vie en temps de guerre, certainement son chef d'oeuvre.
Ce dragon Griaule a une histoire qui a traversé les siècles, et ce n'est pas par hasard que les récits le concernant ont transcendé les décennies en terme d'écriture.
Si l'on considère que L'homme qui peignit le dragon Griaule a été publié en 1984 et le crâne, le dernier en date, écrit en 2011, voila donc une idée quasi obsédante qui a fait son chemin pendant près de trente ans, et rien ne permet de penser que l'histoire est terminée.
Le monde du dragon Griaule est le nôtre, à quelques éléments près, un monde parallèle où le concept de dragon n'est pas issu de l'imaginaire (Comme Rosée de feu). Ils ont existé, il en existe encore et il en est un que l'on a sous les yeux tous les jours si l'on habite à Teocinte. Or le dragon Griaule, puisqu'il s'agit de celui-ci, long de 1500 mètres et haut de 200 mètres est pétrifié - on raconte qu'il a été défait par un sorcier puissant. Mais, sous la pierre et la végétation, ne reste-t-il pas une étincelle de vie dans cette montagne ? Un esprit ?
Voilà le concept de base.
A la manière des auteurs de fantasy, Lucius Shepard raconte une saga, des histoires qui se déroulent au pied de Griaule et qui nourrissent le mystère entourant sa supposée influence. D'une certaine manière, on retrouve les mêmes ingrédients qui ont fait le succès des oeuvres de Lovecraft (L'Appel de Cthulhu). Griaule est comme un dieu endormi mais néanmoins capable de manipuler les esprits. Mais il n'est pas tout à fait question de religion, d'incantation ou d'invocation. C'est plus subtil, plus pernicieux; le lien entre le monstre et ses ouailles tient plutôt de la superstition.
Si à l'origine la première nouvelle était une allégorie politique et sociale (on connaît l'attachement de l'auteur à l'Amérique centrale, en particulier le Guatemala), elle est rapidement reléguée au second plan pour disparaître au profit du mystère qui plane autour du dragon. Dans l'homme qui peignit le dragon Griaule, la fille du chasseur d'écailles, le Père des pierres, les personnages se rendent comptent à quel point ils ont été manipulés. Ecrits entre 1984 et 1989, ce sont certainement les textes les plus captivants du recueil puisqu'ils participent à bâtir le mythe. Notez que les deux derniers ont été récompensés par un prix Locus chacun.
Quinze ans séparent sa prochaine incursion dans ce monde. Dans les trois autres textes, l'écrivain américain imagine comment le dragon pourrait de nouveau fouler la terre ferme. Il imagine d'abord de la faire par le truchement d'un héritier (La maison du menteur), de se soustraire à la pétrification (L'écaille de Taborin) ou de revenir sous une autre forme (Le crâne). Ce dernier texte qui a lieu dans un Guatemala alternatif est largement autobiographique (il ne s'en cache pas) et rappelle pas bien des aspects La vie en temps de guerre par son ambiance oppressante.
La conclusion de Manu B. à propos du Recueil de nouvelles : Le Dragon Griaule [2011]
Au final, ces textes réunis forment une histoire cohérente, une chronologie sur deux siècles d'un monde alternatif très intéressant. Si l'on ajoute à cela la qualité stylistique de Lucius Shepard et sa capacité à évoquer des images frappantes, on ne peut qu'en recommander sa lecture. C'est un grand auteur.
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