L'Etrange Festival 2012 - Jour 6
Insensibles et Comforting Skin

Seulement deux films pour aujourd'hui, mais deux films de qualité, un attendu et un outsider.

 

L'attendu, c'est Insensibles

L'avis de Jonathan C : Insensibles était en effet l'un des films les plus attendus de cette édition de l'Etrange Festival, il sort d'ailleurs au cinéma chez nous le 10 octobre prochain. Sans être novateur, Insensibles vient confirmer l'indéniable qualité du cinéma fantastique ibérique (même si ce film fut d’abord un projet français), sans cesse tourné vers les fantômes du passé, comme dans cette histoire à la fois belle et sordide au cours de laquelle se construit un monstre humain traumatisant. C’est en essayant de retrouver ses parents biologiques, qui pourraient lui sauver la vie grâce à une greffe, qu’un homme découvre ce sombre passé ou des enfants étrangement insensibles à la moindre douleur sont enfermés dans un hôpital pour être étudiés et même éduqués à la douleur. Car un enfant qui n’éprouve pas la douleur est extrêmement dangereux pour lui-même et pour les autres, ce qui sera efficacement démontré au cours de ce récit classique se déroulant sur deux époques, l’une (le passé) étant bien plus captivante que l’autre (le présent). Le cinéma fantastique espagnol n’a pas son pareil pour trousser des fulgurances chocs (de l’accident de voiture au début au final dans les décombres de l’hôpital), encadrées par une mise en scène élégante, une superbe photo et une jolie musique.  Bémol : un personnage principal amorphe à qui il arrive tous les malheurs du monde (ce pourquoi il fait la gueule du début à la fin). Rien de bien neuf dans le cinéma fantastique ibérique (encore que l’histoire est assez surprenante), mais un beau film, intense et émouvant, d'autant plus bluffant qu'il s'agit d'un premier film. On peut dire en tout cas que c'est un film qui porte mal son titre. Un bon candidat pour le Palmarès (ce n'est pas mon préféré mais c'est mon pronostic)


L'avis de Richard B : À la veille de la guerre civile espagnole, un groupe d’enfants insensibles à la douleur est interné dans un hôpital au cœur des Pyrénées.
De nos jours, David Martel, brillant neurochirurgien, doit retrouver ses parents biologiques pour procéder à une greffe indispensable à sa survie. Dans cette quête vitale, il va ranimer les fantômes de son pays et se confronter au funeste destin des enfants insensibles.

Tout premier film de Juan Carlos Medina, Insensibles annonce dès à présent un réalisateur à surveiller de très près. Initialement prévu pour être une production française (pour l'anecdote, on retrouve le nom de François Cognard, ancien journaliste de Starfix, à la production), la recherche de différents fonds financiers amène finalement cette entreprise à prendre la nationalité espagnole. Cela tombe bien, l'empreinte laissée par ce scénario touchant plus particulièrement ce pays. Écrit par son réalisateur et Luis Berdejo, comme pour L'échine du Diable, Le Labyrinthe de Pan ou encore Balada Triste, ce récit à différentes phases temporelles nous amènera dans le traumatisme de la guerre civile espagnol ou encore dans l'acceptation de l'héritage de son histoire, que ça soit à titre personnel ou avec un grand H. Les espagnols semblent avoir beaucoup à dire sur ce sujet, ce qui amène des films émotionnellement profonds. Juan Carlos Medina ne ménage pas quelques passages visuellement iconiques qui retiennent largement notre attention (rien que la scène d'introduction vaut à elle seule le détour), comme une ambiance parfaitement instaurée qui incite à une curiosité perpétuelle. Puis, comme régulièrement dans le cinéma hispanique, la photographie ici signée Alejandro Martínez est de grande qualité. Alors oui, à la fin on à l'impression que toutes les thématiques engagées ne trouvent pas toujours réponse, mais on ressort surtout plus impressionné qu'autre chose. 

Insensibles

 

 

L'outsider, c'est Comforting Skin

L'avis de Jonathan C : Porter un tatouage serait-il le signe d’un manque de confiance en soi ? Un psy vous répondrait par d’interminables palabres, mais Derek Franson en a fait un film (son premier), ce qui est quand même plus sympa.

Dans Comforting Skin (qu’on pourrait traduire littéralement par « peau rassurante », ce qui ferait un bon titre québécois), Koffie, une jeune femme en manque d’affection (et de cul), physiquement « banale » et mal dans sa peau  décide de se faire faire un tatouage, sur l’omoplate. Immédiatement, en portant ce tatouage, elle se sent mieux. Mais le tatoo semble prendre possession d’elle (c’est d’ailleurs un peu un film de possession aussi) et lui parle intérieurement. D’abord effrayée, Koffie l’accepte finalement en elle et il lui procure une sensation orgasmique de bien-être. Koffie devient accroc à son tatouage, ce dernier se s'avèrant même jaloux du meilleur ami colocataire…

Symbole d’une confiance en soi dévorante qui traverse tout le récit, ce tatouage est aussi un argument pour amener un thriller psychologique fiévreux, paranoïaque, oppressant et troublant dans la lignée des films de Roman Polanski ou Andrzej Zulawski, des films aux frontières du fantastique, ou la terreur se situe dans la tête de personnages qui sombrent dans une folie schizophrénique abyssale et autodestructrice.  A vrai dire, on est plus proche ici de Polanski que du cinéma organique d’un David Cronenberg (Comforting Skin est plus charnel qu'organique).

Déstabilisant et intéressant, Comforting Skin distille une atmosphère angoissante et étrange nourrie par une musique discordante, crispante et envahissante en accord avec l’emprise progressive du tatouage, mais aussi par des images surprenantes, crues mais non dénuées d’une certaine poésie, par exemple lorsque le tatouage se déplace (l’effet est saisissant) sur ce corps nu et imparfait qui devient subitement plus sexy avec un tatoo se baladant dessus. Filmé sans artifices et avec réalisme (ce qui, pour réalisateur venu du vidéoclip, est étonnant), Comforting Skin ne manque pas de séquences aussi hypnotiques que dérangeantes (Koffie nue sur son lit se laissant envahir par son tatouage, Koffie qui se laisse baiser par son amie…), jusqu’à une dernière partie cauchemardesque et fébrile (l’héroïne fait peur à voir).

Comforting Skin est également porté par une actrice extraordinaire, Victoria Bidewell (vue dans Apparences, Charlie les filles lui disent merci, Aliens vs Predator : Requiem et un épisode de Fringe), qui se livre corps et âme devant la caméra, performance marquante qui vient se poser entre la Catherine Deneuve de Répulsion, la Isabelle Adjani de Possession et la Isabelle Carré de Anna M. Dans le rôle du meilleur ami, Tygh Runyan (un mélange entre Mark Ruffalo et Sam Rockwell vu dans 15 minutes, AntiTrust, K-19 : le piège des profondeurs, Des serpents dans l'avion et le Road to Nowhere de Monte Hellman) a quelque chose qui accroche. Comme ce film.

Comforting Skin

L'avis de Richard B : "Une jeune femme solitaire, en manque désespéré d’échanges émotionnels et sexuels, se retrouve embarquée dans une relation surréaliste et destructrice avec son encombrant tatouage qui progressivement prend vie sur sa peau."

Le résumé fait par l'Etrange Festival est parfaitement représentatif de ce que va être le film. C'est-à-dire un film qui parle de la solitude, ou tout du moins de la peur de ne pas exister, en particulier vis-à-vis du regard des autres. Ainsi, lorsque l'héroïne de cette histoire se fait poser son tatouage, elle commence à croire qu'elle a quelque chose d'unique et reprend un peu plus confiance en elle. Parce que Comforting Skin de Derek Franson à un rythme assez lent, parce que le propos du film est sombre et proche de la folie communicative (la musique omniprésente y aidant), ce dernier pourra déplaire. Pour autant, l'interprétation remarquable des acteurs, le côté atypique de la mise en scène et de l'histoire arrivent à fasciner et au final on peut aisément être touché par cette histoire profondément humaine. La conclusion ne convainc peut-être pas totalement, mais c'est clairement un film intéressant au sujet contemporain.

 

Comforting Skin

L'avis de Jonathan C :
Auteur : Richard B.
Publié le mercredi 12 septembre 2012 à 09h30

Diaporama photo : Insensibles [2012]

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