Redecouvrez un auteur de SF qui vaut le détour
Un recueil drôle et moderne chez Argyll
Chez Argyll, on aime dénicher d’anciens auteurs laissés de côté, des pépites oubliées. Le Temps des retrouvailles est un recueil de nouvelles écrites entre 1953 et 1960, treize textes surprenants de modernité et au style empreint d’humour. Son écrivain, Robert Sheckley a connu comme son compatriote Philip K Dick plus de succès en France qu’aux Etats-Unis. Qualifié d’un de plus subtils novellistes par Christopher Priest, cet écrivain a un style très agréable et surtout offre une réflexion sur la société, la place du crime et du criminel, le rapport à la machine et à l’extraterrestre, mais aussi sur la place des femmes, particulièrement fine et moderne. S’il ne ménage pas ses héros, l’humour est dosé avec parcimonie et fait passer des histoires parfois douces amères.
Parmi les nombreuses nouvelles de ce recueil, vous trouverez des ambiances variées, du voyage dans le temps, quelques textes de space opera et même de la hard science. Quelques-uns des textes résonnent particulièrement :
Dans la nouvelle, Le Prix du Danger, nous suivons un homme en pleine émission de télévision. Déjà au début des années 50, l’auteur dénonçait les dérives potentielles de ce nouveau mass média. Raeder notre héros a déjà participé à plusieurs émissions et c’est ainsi qu’il est qualifié pour une de plus importantes du moment. La récompense offerte pourrait changer sa vie mais il doit à la façon d’un Running man (roman bien plus tardif de 1982), survivre une semaine à la suite de tueurs professionnels qui le poursuivent. Raeder est aussi suivi par les caméras et des millions de téléspectateurs qui peuvent choisir de l’aider. Ces ‘bons samaritains’ auront ainsi leur moment de gloire télévisuel. Inutile d’en dévoiler plus mais vous l’aurez compris le cynisme n’a pas de limite.
Une autre nouvelle, La septième Victime, joue sur la notion de meurtre façon American nightmare : dans cette société, l’assassinat a été règlementé. S’il vous prend une envie de meurtre, vous pourrez l’assouvir à condition ensuite d’accepter d’être à votre tour une victime. En effet, si vous avez le droit de tuer, c’est dans un laps de temps déterminé et la victime vous est imposée. Seul quelqu’un qui a tué peut-être victime à son tour. Pour le héros de cette nouvelle, tout se complique lorsque la victime s’avère être une femme superbe dont il se verrait bien tomber amoureux.
Dans la nouvelle qui a donné son nom au recueil, le Temps des Retrouvailles, on découvre que pour pouvoir coloniser Vénus, planète dangereuse et mortelle, on a développé une technique qui consiste à scinder l’esprit humain et à en placer les parties obtenues dans des châssis mécaniques. Ces châssis sont humains pour qui ne le sait pas mais l’homme scindé ne peut le rester qu’un temps limité s’il veut ensuite retrouver un esprit qui fusionne correctement. Mais lorsque certaines parties ne veulent plus retourner auprès de l’esprit originel, les ennuis commencent.
Mais c’est une nouvelle utopique, un Billet pour Tranaï qui a particulièrement retenu mon attention : Marvin Goodman a un jour dans un bar entendu Savage, un capitaine de vaisseau évoqué la planète Tranaï, un monde utopique où les hommes ont conquis la liberté et découvert la vérité. Il débarque donc à l’Agence interstellaire de voyages pour acheter un billet pour Tranaï. La destination n’est pas connue et le jeune homme va faire un long trajet en plusieurs étapes dangereuse pour finalement atteindre cette mystérieuse planète bien loin de la Terre. Goodman découvre alors une société qui semble idéale sous tous rapports. Il est émerveillé et en même temps dérouté : il y a quelque chose d’intangible et d’insolite. Progressivement, l’homme construit une nouvelle vie dans ce lieu qui ignore le crime, et où l’on trouve l’emploi de ses rêves très facilement. Enfin, apparemment. L’utopie dépeinte est terriblement astucieuse et pose des questions sur notre propre société et nos règles parfois perçues comme un carcan inutile. Un texte fin qui fait réfléchir.
Le Temps des Retrouvailles est un recueil de treize nouvelles très variées portées par l’humour et le style de Robert Sheckley, un écrivain avant-gardiste et engagé, impertinent et qui n’hésite pas à malmener les humains dans ses réflexions. Incisif et nécessaire.
Publié le lundi 14 mars 2022 à 08h00
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