Rencontre avec... Yacine Elghorri
de « Titan A.E. » à « Factory» ... Interview

Rencontre avec Yacine Elghorri, dessinateur accompli puisqu’il a travaillé autant pour le monde de l’animation et du cinéma que, plus récemment, pour la bande dessinée.

Il semblerait qu’à 22 ans tu sois parti aux États-Unis pour travailler. Changer de mode de vie est-il facile ?

Non, ce n’est pas vraiment facile, car tu abandonnes ta famille et tu ne sais pas vraiment où tu vas. J’ai fait ça très spontanément. C’était un rêve aussi, je suis allé là-bas parce que j’en avais envie. Je voulais voir Los Angeles, et puis je me suis installé là-bas parce que je n’avais rien à perdre. Puis, si je me ratais, je pouvais toujours revenir dans ma famille, ce n’était pas donc pas un si grand risque.

Tu avais déjà un contrat en main en y allant ?

Non, pas du tout. J’avais juste un billet d’avion ! Je suis allé démarcher sur place les compagnies, jusqu’au jour où j’ai obtenu mon visa grâce à une boîte qui m’a proposé de faire de l’assistanat dans l’animation. Puis j’ai commencé à travailler, mais pas suffisamment, alors j’ai démarché dans d’autres structures qui m’attiraient plus. C’est comme ça que j’ai pu entrer plus tard chez Fox. J’ai dû avoir, en tout, quatre visas avant d’avoir la « green card ». Mais ce n’était pas facile d’avoir les visas à chaque fois, il fallait que je sois sponsorisé pour chacun d’eux.

Comment est-on accueilli, lorsqu’on arrive en tant qu’"auteur français" ?

On ne m’a jamais fait la moindre remarque sur le fait que je sois français. Ils voient tes dessins, ton travail, si tu es compétent… ils ont l’habitude d’embaucher dans le monde entier. Je n’ais jamais eu la moindre remarque.

J’ai vu que ton nom fut rattaché à des œuvres telles que « Titan A.E. », « Futurama » ou encore les « 4 fantastiques ». Comment s’est passée chacune de ces opportunités, à commencer par « Titan A.E. » ?

Je travaillé chez « Rich Animation Studios » chez qui j’étais assistant-animateur, je suis resté sur place 6 mois. J’avais un ami qui voulait démarcher un projet ambitieux chez « Fox » et pour l’aider dans son projet, j’avais signé quelques design. À ce moment « Fox » a vu mes dessins, ils ont aimé et ils ont demandé à ce que je travaille avec eux sur « Titan A.E. », qu’ils étaient en train de produire. Donc, j’ai dû démissionner du premier studio où j’étais pour arriver chez « Fox ». Quand je suis arrivé, j’ai fait du « Story-Board ». Puis, comme cela m’ennuyais un peu, j’ai proposé aussi quelques designs et dessins. Ça leur a plu et du coup, j’ai fait un peu des deux. Mais c’est complètement différent de ce qui est sorti au cinéma. Tout est différent, même le réalisateur. Avant, cela devait être « ultra réaliste » du genre Final Fantasy. Il y avait des designers de « Star Wars », de « James Cameron », ça devait être vraiment bien. Mais le réalisateur s’est planté sur le projet, alors ils ont tout arrêté et ils ont transféré ça à Don Bluth.

Tu as rencontré Don Bluth ?

Non, car quand ils ont arrêté le projet ils ont pratiquement viré tout le monde. Car nous étions situés à Los Angeles alors que Don Bluth a son studio en Arizona, vers Phoenix. Fox perdant beaucoup d’argents avec l’ancien réalisateur, ils ont tout arrêté et tout transféré là-bas. Après je ne sais pas vraiment comment cela s’est passé. Je sais qu’ils ont dû faire çà très vite, en 1 an et demi, ce qui est plutôt bien pour un long-métrage. Il a réutilisé ce qu’on a fait, car il y avait déjà beaucoup de travail effectué, entre autres, beaucoup de design. C’est pour ça que j’ai mon nom au générique comme designer, mais à la base j’ai fait du story-board.

Et après il y a eu « Futurama » ?

En effet, juste derrière. Au départ je n’avais plus de visas. Une fois que la boîte veut plus de toi, tu es « Out ». Je me suis dit que c’était dommage, mais qu’il me restait plus qu’à retourner en France. Cependant je leur ai demandé s’ils n’avaient pas un « truc » sous la main, afin de rester. Ils m’ont dit : « oui, il y a un truc de série de science-fiction qui se fait, si tu veux, tu peux y jeter un œil ». J’y suis allé, sans savoir ce que c’était. C’était dans un petit studio à la périphérie de Los Angeles. J’arrive et je vois plein de choses sur les murs. À ce moment je leur dis : « Mais c’est les Simpsons ! J’adore les Simpsons » ! Là ils me corrigent : « non, non, ce n’est pas les Simpsons », alors je leur dis : « Attendez, c’est le style Matt Groening, je le reconnais, j’adore Matt Groening », et là ils me répondent : « non, c’est la nouvelle série de Matt Groening, cette fois ils ne sont pas jaunes, ils sont de couleur chair et ça se passera dans l’espace !». En fan absolu des « Simpsons », j’ai de suite accepté… enfin, ils m’ont tout de même fait faire un test, car j’avais un style réaliste. Ils m’ont installé sur place et ils m’ont fait faire le test, et ça s’est fait ! Je ne suis resté que sur la première saison, je m’ennuyais un peu. Il fallait toujours faire le même style, les mêmes yeux, une dizaine de personnages par jour, au bout d’un moment ça devenait vite routinier.

Comment se passe la collaboration avec les autres dessinateurs ? Vous venez tous de divers endroits, comment est l’ambiance ?

Aux États-Unis, c’est : chacun vient, fait son boulot et se casse ! De plus, nous n’étions pas nombreux comme designer, nous étions que 2,3 designers de personnages. Il y en a beaucoup moins sur une série que sur un long. Ils sont en général très sérieux les Américains, très carrés.

Ton design des personnages est-il resté à travers les autres saisons de la série ?

En fait non, je suis arrivé comme « Character designer » secondaire. Tous les personnages principaux étaient déjà faits. Dès qu’il y avait un épisode avec un extra-terrestre ou un nouveau personnage qui intervenait, c’était à moi de le faire, en respectant bien le style de Matt Groening.

Peux-tu nous parler un peu de ton expérience sur la série animée des « 4 fantastique » ?

Il n’y a pas grand-chose à raconter, c’était essentiellement du story-board. Si… en France, quand tu story-board, tu fais tout le découpage. Donc, en fait, indirectement, tu réalises. Tu fais les cadrages plan par plan. Ce n’est pas toi le réalisateur, tu fais partie de l’équipe technique mais ça reste toi qui as décidé où est placée la caméra, le personnage… etc. C’est ça le problème en France, le réalisateur signe réalisateur, mais il n’a fait ni le story-board, ni le découpage, il a juste corrigé 2/3 plans, il supervise le son, la musique, il supervise quelques design, mais c’est tout ! De mémoire, j’ai fait le story-board du troisième épisode, mais tous les personnages principaux étaient désignés, donc je n’ai pas trop participé à la création. C’était une coproduction avec Marvel et je sais qu’ils étaient très satisfaits du résultat.

Tu as aimé dessiner des super-héros, tu es rentré avec enthousiasme dans ce projet ?

Non mais c’était sympa. Déjà, c’est de la science-fiction et par rapport à ce qui se fait en France, ce n’est pas si mal ! Mais c’est surtout la mise en scène, les plans, les cadrages, le rythme, le découpage, c’est surtout ça que j’ai aimé. J’avais demandé à avoir un script avec beaucoup d’actions. Il y avait une course poursuite au départ avec une voiture et tout. C’était vraiment sympa à faire. J’étais assez content du résultat, le « Timing» n’était pas celui que j’avais prévu, je n’avais pas fait ça malheureusement. Normalement tu inscris chaque durée de plan sur le story-board, mais je n’ai pas pu le faire… mais c’est long à préparer tout ça !

Il n’y a vraiment aucune différence entre ce que l’on voit et le story-board ? C’est vraiment très proche ?

Oui, c’est vraiment très proche. On ne peut pas se permettre de perdre de l’argent et du temps. C’est pour ça que le story-board est très précis, très coûteux, très long et élaboré. C’est exactement ce qui se passe à l’écran… normalement.

J’ai vu aussi que tu avais travaillé pour le cinéma. J’ai noté entre autres, « Évolution », « Spider 2 » de même que « The Other ». Sur lequel de ces 3 films le travail fut le plus important ?

C’est sur « Évolution » ! C’est les Studios de Phil Tippett qui m’avaient engagé pour Dreamworks. Ce même studio qui a fait « Jurassic Park », « Starship Trooper » ou encore « Robocop » que j’adore ! C’est Phil Tippett qui avait designé le ED-209 de « Robocop » ou le robot super vilain de « Robocop 2 ». Donc j’ai fait des designs de créatures sur « Évolution », mais je ne sais même pas s’ils les ont gardé pour le film des design. À cette époque j’étais à Los Angeles et chaque semaine, ils me payaient le billet d’avion pour aller à San Francisco. C’était vraiment bien ! Je précise que c’était parce qu’ils étaient localisés là-bas. Et chaque Week-end, je revenais à Los Angeles. C’est comme prendre un bus, c’est fou ça !

Tu prenais plaisir à dessiner des monstres ?

C’était plutôt bien, car ils avaient plein de livres de référence sur les poissons, les insectes, les dinosaures, ils ont vraiment une superbe bibliothèque. Puis ils ont des designers vraiment doués donc c’était très motivant et stimulant.

Un réalisateur un jour a dit qu’il était très difficile de designer un monstre qui ne faisait pas penser à l’ « Alien » ou au « Predator ». Penses-tu que cela est vrai ?

J’adore Giger, personnellement il m’influence, mais je ne sais pas… regarde « Godzilla », j’adore le design, fait par un français d’ailleurs. Je ne pense pas que cela fasse penser à un « Alien » ou à un « Predator ». C’est plutôt un dinosaure. Il y a des influences, mais je ne sais pas si c’est autant que ça.

Ton parcours a pris une nouvelle direction puisque tu dessines désormais de la bande dessinée. Qu'est-ce qui t’as fait passer du monde l’animation et du cinéma à celui de la bande dessinée ?

C’est très simple. En fait, c’est parce que j’ai commencé avec le monde de la B.D. Je lisais des fanzines, puis j’ai découvert l’école d‘animation des Gobelins. Je me suis inscrit, ça s’est bien passé et je suis resté dans l’animation parce que ça payait bien et qu’il y avait pas mal de projets. J’ai toujours mis la BD de côté, mais c’est mon premier amour. Pendant que j’œuvrais sur des films, en parallèle, je travaillais sur la série des «Heavy Metal » – le magazine américain, pas Metal Hurlant – en faisant des histoires courtes de science-fiction en noir & blanc avec Kevin Eastman qui dirige la revue et qui est le créateur des « tortues Ninja ». J’avais envoyé des pages, il m’a proposé de faire la couverture, ce que j’ai fait. J’étais très flatté, car c’était « Heavy Metal », c’est une référence ! Après, j’étais déçu par la vie à Los Angeles qui était assez superficielle, alors je suis retourné en France. En France il y a pas les studios hollywoodiens, mais je voulais faire de la bande dessinée et ici, on peu être un peu plus créateur dans la mesure où les projets sont plus petits. Mais ils sont moins ambitieux, malheureusement… Alors, j’ai fait Gunman, un vieux projet que j’avais en tête depuis longtemps, un récit fantastique que j’ai mené avec l’aide de Gabriel Delmas le scénariste. On a traité ça en noir et blanc, c’était plus simple qu’en couleur, car il y avait tout de même 70 pages… Il y aura peut-être un jour une réédition couleur, ça serait bien. Mais bon, la BD c’est vraiment un premier amour, je n’ai jamais vraiment lâché ça. Je pense que ça doit se voir dans mon dessin. Il n’y a pas trop d’influence de dessins animés dans mon dessin. Mes références sont très bande dessinée, Moebius, Bilal, Otomo, Liberatore, Corben

Ça se ressent encore plus sur Factory ou là tu es en plus scénariste et dessinateur. Quand as-tu décidé d’être scénariste et dessinateur sur Factory ?

Parce que Gunman, je l’ai écrit avec Gabriel Delmas et il avait aussi sa vision. Cette fois, je voulais faire un truc vraiment seul, voir ce que je pouvais vraiment faire dans le domaine un peu de Mad Max, Dune… et en plus en couleur, alors que je n’avais jamais fait une seule bande dessinée en couleur. Je ne savais même pas équilibrer l’harmonie des couleurs sur une même page, donc c’était vraiment un challenge que je me suis mis. Je ne suis même pas sûr que ce soit très efficace, mais je me suis éclaté et là, je fais la suite avec le tome 3. Après Gunman, je n’avais pas vraiment envie d’imaginer une suite, j’avais envie de faire un truc avec un peu de fond, de la science-fiction dans un univers désertique, je crois que c’est surtout ça.

Par moment, Factory est assez « gore ». On pense à l’univers de David Cronenberg et son côté « gluesque » et « fusion de la chair », y a-t-il un rapport ? As-tu des influences cinéma ?

En fait, j’adore « la chose » de Carpenter. J’étais fasciné par les métamorphoses de la créature. De cet être humain qui avait commencé à évoluer, mais qui n’était pas transformé jusqu’au bout, tu vois ces 2 visages sur un même corps, je trouvais ça beau et fascinant. J’adore tout ce qui est organique, donc il y a forcement Giger, il m’influence vachement. C’est très agréable de dessiner des formes « abstraites » qui ressemblent à des organes. Puis tu rajoutes des reflets, j’adore ça. C’est plus un désir graphique qu’un désir de montrer quelque chose de « gore ».

Hormis le tome 3 de Factory, as-tu d’autres projets en vue ? Que ce soit en bande dessinée ou en animation ?

J’ai quelques projets pour la suite, mais je ne préfère pas encore en parler, car ce n’est pas définitif. Puis aussi car que j’ai souvent été déçu quand les choses ne se sont pas faites.

Auteur : Richard B.
Publié le vendredi 15 août 2008 à 09h51

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