Entretien avec... Thomas Day
Pour la sortie de son roman: la maison aux fenêtres de papier

A l'occasion de la sortie de son roman, La Maison aux fenêtres de papier, aux éditions Gallimard Folio SF, et This is not America, aux éditions ActuSF, l'auteur de La Voie du Sabre, L'Instinct de l'équarrisseur, La cité des crânes et Le Trône d'ébène, nous a parlé de son personnage féminin, Sadako et de l'univers dans lequel elle évolue. Le Japon d'aujourd'hui de Thomas Day baignent dans la fantasy et le merveilleux.

Bonjour Thomas. Fin février début mars sortent deux ouvrages, le recueil « This is not America » (ActuSF « Les Trois Souhaits ») et ton nouveau roman « La maison aux fenêtres de papier » (Gallimard « Folio SF »). Si j'ai bien compté ce sont tes quinzième et seizième ouvrages depuis 2000 (« Sympathies for the devil ») . Que t'ont apporté les années dans ton travail d'écrivain ? 

Bonne question. On apprend des choses, on en perd d'autres. En ce qui me concerne, ça n'a jamais été aussi dur d'écrire que ces deux dernières années ; j'ai perdu en spontanéité, en hargne. J'ai gagné en technique, mais la technique ne fait pas tout et elle est plutôt traîtresse. Je me souviens de l'époque où je pouvais écrire une novella de quatre-vingt feuillets en trois jours, maintenant je suis aux anges quand j'écris dix feuillets dans une journée de travail, je suis content quand je n'en écris que cinq et j'accepte, non sans une grimace, qu'une journée de travail ne puisse donner que quelques phrases utilisables ou un bout de dialogue.
« Lumière Noire », la novella que j'ai écrite pour l'anthologie de Serge Lehman « Retour sur l'horizon » m'a demandé plus de travail que la plupart des romans que j'ai publiés (à part « Le Trône d'ébène » ou justement « La Maison aux fenêtres de papier »), je n'ai quasiment écrit que cette novella en 2008. C'est décevant de ne plus arriver à « jaillir », mais je crois qu'il faut l'accepter. Et comprendre que si on ne « jaillit » plus, c'est parce que nos centres d'intérêt se sont déplacés.

Cette difficulté ne s'explique-t-elle pas aussi parce tu as exploré beaucoup de continents (l'Afrique avec l'histoire de Chaka Zoulou, l'Asie avec « La voie du Sabre », « L'homme qui voulait tuer l'empereur », « La cité des crânes », « L'école des assassins »,  l'Europe avec « L'instinct de l'équarrisseur »), d'époques (le XVIIe, 1888, 1963, le futur proche, 2023) et de genres (fantasy, anticipation, steampunk) ? Verra-ton un jour Thomas Day faire du space op', de la hard-science, de la dark fantasy, de l'horreur... ? N'est-ce pas aussi difficile de mettre la barre un peu plus haut, à chaque fois ?

Je suis bien évidemment incapable d'écrire trois lignes de hard-science. J'ai déjà écrit du space opera (nombre de mes textes appartiennent à ce genre, notamment mon court roman « Les Cinq derniers contrats de Daemone Eraser »), de l'horreur aussi (mon recueil « Stairways to hell ») ; quant à la Dark Fantasy je ne suis pas tout à fait sûr de savoir ce que c'est, sans doute le contraire de la Pink Fantasy...
Les étiquettes, les genres, tout ça ne m'intéresse pas, c'est du marketing, ça n'a rien à voir avec la littérature... J'essaye d'écrire ce que j'ai envie d'écrire. Et donner à chaque fois le meilleur de moi-même fait partie de l'équation. C'est comme ça que je fonctionne ; je  ne dis pas que je suis bon, je ne dis pas que je mets la barre plus haut à chaque fois, mais plutôt que j'ai (vraiment) fait de mon mieux.
Ça ne me pose aucun problème d'être considéré comme un « écrivain de genre » et ça m'amuse de voir qu'il est difficile de définir le genre en question.

Peux-tu nous parler de « This is not America » (à paraître le 9 mars aux éditions AtcuSF les trois souhaits) et comment est né le projet ?

J'ai une histoire compliquée avec les USA. Mon grand-père paternel était américain de Louisiane (d'une lointaine origine française, donc), mon père a choisi la nationalité française à l'âge de 21 ans, je crois, et a fait la guerre d'Algérie. Une partie de la légende familiale veut que du sang séminole (indien de Floride) coule dans nos veines. Même si ce n'est que de la légende, il y a un peu d'Amérique en moi.
J'y suis allé de nombreuses fois ; j'ai traversé en voiture les USA il y a une dizaine d'années. Je n'en suis pas un spécialiste, mais c'est un pays dont je connais bien certaines facettes. C'est aussi une formidable source d'inspiration.
Il y a trois nouvelles dans « This Is Not America » : une, sur l'assassinat de Kennedy ; une sur la télé et une dernière, l'inédit du recueil, sur Air Force One, l'avion du président des USA, siège d'une attaque extraterrestre. Les deux premières nouvelles sont délirantes et la troisième, est à peine plus sérieuse. Dans ma tête cet inédit « Éloges du sacrifice » est un hommage à la SF de Poul Anderson. J'ai essayé de retrouver une façon d'écrire de la SF disparue depuis longtemps maintenant (en raccourci : écrire un roman de la taille d'une nouvelle).
Le recueil d'Actu-SF est une version courte d'un recueil que je finirai sans doute dans deux ou trois ans où il n'y aura non pas trois nouvelles sur l'Amérique, mais six, peut-être sept. Dont une, terriblement difficile à écrire, qui traversera l'histoire de l'ouest, de 1803 aux essais nucléaires des années 1950. 

« La maison aux fenêtres de papier » paraît le 26 février aux éditions Gallimard (Folio SF). Ce n'est pas la première fois que tu écris un roman se passant au Japon (« La voie du sabre », « L'homme qui voulait tuer l'empereur ») mais il a lieu de nos jours et les Samouraïs ont été remplacés par des Chefs Yakuzas. Comment est venue cette histoire de Yakuzas ?

Peut-être dois-je commencer par une précision, « La Maison aux fenêtres de papier » se passe en grande partie au Japon, de nos jours, oui, mais deux de ses segments ont lieu dans un Cambodge lointain et imaginaire, aux alentours du XIIe siècle.
Cela précisé... comment est venue cette histoire de yakuzas ? C'est comme d'habitude en ce qui me concerne un faisceau de choses indépendantes qui s'est agrégé en une envie, un élan. J'avais écrit une nouvelle sur les yakuzas (leurs tatouages, en fait), François Angelier m'avait demandé une pièce radiophonique pour France Culture sur le sujet. J'ai fait des recherches et la pièce radiophonique est devenue un roman. Je dois avouer que j'ai eu beaucoup de mal à l'écrire : au début c'était une novella (refusée par la revue Bifrost), puis c'est devenu un roman (refusé par les éditions du Bélial') que j'ai « remonté » (comme on remonte un film) avant de le proposer à Gallimard. Xavier Mauméjean a contribué au processus en « débloquant » le projet. Sans doute devrais-je lui reverser une partie de mes droits d'auteur.

On connaît ton énorme travail de recherche pour tes romans. Est-ce aussi le cas pour ce roman, alors qu'il ne doit pas y avoir tant de livres sur le monde des Yakuzas, un monde fermé ?

« Énorme travail de recherches », il ne faut pas exagérer. Je fais des recherches, mais je m'en affranchis volontiers et je fais aussi de splendides conneries, comme la majorité sexuelle au Japon que j'ai mis à 12 ans, suite à un article sur les sectes où j'avais lu ça, alors qu'après vérification il semblerait que ce soit plutôt seize ans. Pour le moment je préfère laisser l'erreur dans le livre, ça montre bien que son action se situe dans un Japon qui n'existe pas.
Je n'ai pas eu de mal à trouver des choses sur les yakuzas ; ce qu'il faut c'est ne pas régurgiter tel quel le travail de recherches. Je sais pertinemment qu'il y a un « problème » quand Wei explique le monde des yakuzas à Sadako, mais je suis parti du principe que Wei est un ancien instituteur et donc qu'il lui fait une sorte de cours magistral. J'ai relu/révisé ce passage trente fois (parce que plusieurs de mes bêta-lecteurs avaient mis le doigt dessus) et à mes yeux « ça passe », c'est limite mais « ça passe ».

Cette histoire pourrait se dérouler aujourd'hui, selon des règles "normales", et pourtant tu as voulu faire de tes chefs (Nagasaki Oni et Hiroshima Oni) des démons. Pourquoi y apporter ce zeste de fantasy (comme tu l'avais fait avec l'histoire de Chaka Zoulou) et pourquoi spécialement ici ?

Un zeste ? Des démons, une femme-panthère, une épée et un médaillon magiques, des contes ; il y a quasiment toute la panoplie extrême-orientale.
Ce qui m'intéresse c'est la magie, l'invisible, la légende, la mythologie. Écrire cette histoire de nos jours avec des yakuzas de chair et de sang, ça ne m'intéresse pas (pour tout arranger l'histoire en elle-même n'aurait plus lieu d'être puisque son enjeu principal est « le temps des hommes qui est venu ». On pourrait sans doute transposer l'histoire avec un chef yakuza progressiste et un chef yakuza conservateur, mais moi ça ne me motive guère.
Quand j'écris, j'aime l'incongruité, le décalage, l'imaginaire, l'excès.
Je me souviens qu'une des choses qui m'a poussé à traiter « La Maison aux fenêtres de papier » sous l'angle « fantasy excessive » c'est la série de mangas pornos « Urotsukidoji ». Elles ne sont pas terribles et en même temps je trouve qu'il y a une liberté rafraîchissante dans ces œuvres... Après, tout le trip nazi de la série c'est vraiment pas mon truc et ça ne le sera probablement jamais.

Ce roman est-il donc un manga littéraire, comme « L'école des assassins » ?

Oui, comme « L'homme qui voulait tuer l'empereur » aussi. Ça n'a pas d'autre prétention, en ce qui me concerne. Le degré d'élaboration de certains mangas est prodigieux (et réussir à être à ce niveau serait formidable et j'ai bien conscience que je n'y suis pas) ; après, je dois confesser que je n'en lis pas, jamais, je me contente des dessins animés. Le cinéma est ma vraie culture.

Il contient une bonne dose de sexe et de violence, parfois dans sa plus simple crudité, élément qui n'apparaissait pas vraiment dans ton précédent roman (« Le trône d'ébène »). Etait-ce nécessaire d'y revenir pour ce roman ?

Nécessaire, je ne sais pas. En tout cas, c'est comme ça que ça m'est venu. Ce sont des démons, ils ont une sexualité de démons, ils ont une violence de démons, alors « il faut y aller ». Je voulais faire un « Urotsukidoji » sans tentacule (j'ai longtemps surnommé ce projet « mon histoire de démons japonais à grosse bite »)... Par ailleurs, il y a beaucoup de perversions sexuelles chez Takashi Miike, qui est un des trois réalisateurs à qui je rends hommage avec cette « Maison aux fenêtres de papier ». Tout ça m'a semblé appartenir à la même sphère culturelle.

Pour une fois, le héros est la Femme. Sadako est un beau personnage en plus. De soumise elle devient maîtresse Yakuza et dirige les hommes, ce qui donne à la narration une certaine poésie. Elle arrive à adoucir Wei qui, de (psycho) rigide devient plus détendu. De qui est-elle inspirée ?

Sans doute du personnage central de « Kill Bill », même si l'analogie ne fonctionne pas totalement puisque j'avais écrit la version novella de « La Maison aux fenêtres de papier » avant « Kill Bill ».

Est-ce une façon de dire que les choses peuvent être au moins aussi bien gérées par une femme, mais d'une autre manière ?

Le roman est plein de messages « politiques » plus ou moins visibles ; après je me méfie des généralisations sur les différences entre hommes et femmes. Je travaille à l'échelle de mes personnages, de l'individu... Je laisse les échelles plus vastes aux sociologues.

Tu parlais tout à l'heure de messages politiques. Les références à Hiroshima et Nagasaki sont visibles. Y a-t-il aussi un message concernant le Cambodge, période 1975-1979 ?

Ma femme est Cambodgienne, de la région de Siem Reap, son père biologique et son beau-père qui l'a élevée, tout deux soldats de métier, ont combattu les Khmers Rouges ; j'ai donc eu accès à des souvenirs familiaux qui ont trait à l'épisode tragique du « génocide cambodgien ». Comme pour la Shoah, ce n'est pas un sujet que je tiens à traiter de façon frontale. Je suis capable d'en parler un peu, d'en tirer des images, des anecdotes, mais ça s'arrête là ; je me sens pas « au niveau » pour écrire des choses intelligentes sur le sujet.

Cela te donne-t-il envie de refaire d'autres personnages féminins aussi forts ?

J'ai souvent eu des personnages féminins forts ; du moins, je le crois. Il faut que le sujet s'y prête... Dans « Le Trône d'Ebène » il y a la mère et la sorcière ; deux personnages qui s'inscrivent bien dans la logique narrative du roman. Après, si vous écrivez une nouvelle sur la bataille d'Iwo Jima vous allez avoir du mal à y mettre des femmes. « 300 » était un mauvais film, pathétique illustration du choc des civilisations de Samuel Huntington, mais le plus pathétique là-dedans c'est d'avoir rajouté une ligne narrative avec l'épouse de Léonidas. Ridicule.

A cette narration, et surtout à l'histoire de l'Oni no Shi, s'opposent les dialogues, qui paraissent très secs, manquant de chaleur et tranchant avec la poésie de la légende de l'épée tueuse de démons. Etait-ce voulu ?

Pour les dialogues, j'ai essayé de faire un truc assez proche de la littérature et du cinéma japonais, alors c'est vrai que c'est particulier. Mais ça me semble cohérent avec le projet. Les Japonais ne sont pas connus pour leurs conversations professionnelles chaleureuses, et les yakuzas ne sont pas célébrés pour leurs « fêtes du saké » où tout le monde rirait en se frappant sur les cuisses.

On te l'a déjà reproché, mais ton roman est très court. Trop court dans le sens où on aurait aimé que les combats s'éternisent un peu, que l'on en sache un peu plus sur ces démons, les êtres-panthères. Considère-tus ton roman, dans la forme, conforme à tes attentes ?

Pour les combats trop courts, il y a une explication : dans le cinéma japonais les combats au katana ne durent pas, parce qu'il ne peuvent pas durer, c'est la lame parfaite, tout se règle en quelques secondes.
Pour le roman en lui-même, il est peut-être trop court mais personnellement je prends ça comme un compliment. En tant que lecteur, je n'en peux plus de ces romans de 600 pages où le personnage principal met trente pages à se lever, à se gratter le cul, à aller pisser et à faire son café.
Faut que ça aille vite, faut que ça cogne fort, c'est comme ça que j'ai imaginé « La Maison aux fenêtres de papier ». C'est comme ça que j'essaye de concevoir tous mes textes de cette veine particulière.

Tu puises, pour ce roman, ton inspiration dans la mythologie et l'histoire de l'Asie du Sud-est à laquelle tu sembles attaché. Peut-on imaginer, à la manière de Roger Zelazny, que tu écrives un roman sur les dieux hindous, grecs ou égyptiens ?

Oui, oui et oui. Ces trois panthéons m'intéressent, avec une préférence pour le panthéon hindou - le plus proche de mes penchants bouddhistes assumés.

As-tu déjà des projets en cours ?

Toujours. Je travaille sur un roman que j'écris pour mes enfants (ils devront cependant attendre un petit peu pour pouvoir le lire, vu leur âge actuel) ; j'appelle ça mon « steampunk breton ». J'ai aussi un projet avec Daylon et Lasth de livre illustré. Plus des projets de nouvelles et un roman/recueil au Bélial'. Les projets ça ne manquent jamais, ce qui me manque c'est le temps (et l'énergie, parfois).

Merci Thomas. Bonne continuation.

Entretien réalisé par email du 18 au 21 février 2009.

Auteur : Manu B.
Publié le jeudi 26 février 2009 à 00h00

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