Critique Le Chat noir [1936]
Avis critique rédigé par Bastien L. le jeudi 3 novembre 2022 à 09h00
Frankenstein contre Dracula, premier round
Aux débuts du parlant, deux monstres sacrés du cinéma d'horreur et d'épouvante terrifièrent des millions de spectateurs. Boris Karloff et Bela Lugosi additionnèrent souvent leur talent dans des productions jouant beaucoup sur cette double-présence dont la première fut Le Chat noir en 1934.
Karloff et Lugosi, Frankenstein et Dracula, l'Américain et le Hongrois, deux monstres sacrés certes mais aussi deux poulains de l'écurie Universel qui décida rapidement de surfer sur leur popularité pour offrir aux spectateurs un affrontement tant attendu. Un face-à-face à remettre dans le contexte des productions horrifiques parlantes qui firent la gloire des studios Universal durant les années 1930 avec Carl Laemmle Jr. à la production. Et comme souvent, l'inspiration provient de classiques littéraires avec ici le grand Edgar Allan Poe et sa nouvelle éponyme. Un classique de la littérature fantastique qui ne fut finalement qu'une inspiration initiale (le générique dit que l'histoire a été « suggérée » par Poe) pour le scénario écrit par Peter Ruric et le réalisateur du film Edgar G Ulmer. Un scénario qui prit aussi son inspiration dans les sombres histoires tournant autour du célèbre occultiste anglais Aleister Crowley (1875-1947) ainsi que d'un engouement populaire pour la psychiatrie... Le Hongrois Ulmer fut donc désigné réalisateur faisant partie de la cohorte de cinéastes européens ayant rejoint Hollywood dans les années 20 et 30 après avoir travaillé comme décorateur ou assistant réalisateur pour Friedrich W. Murnau ou Fritz Lang (notamment sur Métropolis). Le Chat noir représente son second projet américain après le drame Damage Lives (1933). Le film sortit dans les salles américaines en 1934 (1936 chez nous) devenant le plus gros succès au box-office pour Universal cette année là.
Situé dans les années 1930, le film met en scène un jeune couple en lune de miel, le romancier Peter Alison (David Manners) et sa femme Joan (Julie Bishop, alors créditée sous son premier pseudonyme Jacqueline Wells) dans un train en partance pour la Hongrie. Ils font la rencontre dans leur wagon du psychiatre hongrois Vitus Werdegast (Bela Lugosi), survivant traumatisé de la Première Guerre mondiale, devant rendre visite à un vieil ami. Ils prennent ensuite un bus sous une pluie battante qui le fait sortir de la route blessant Joan. Les survivants sont obligés de trouver refuge en pleine nuit dans la demeure de l'ami de Virtus, l'architecte Hjalmar Poelzig (Boris Karloff). Ce dernier a construit une demeure très moderne dans ce lieu isolé surplombant un cimetière où s'entassent les corps de soldats morts dans une bataille meurtrière ayant pris place en ce lieu. Une bataille à laquelle Virtus et Hjalmar prirent part dans des camps opposés. Une fois Joan soignée, on apprend que Virtus est venu se venger de Hjalmar qui aurait profité de l'emprisonnement de guerre du premier pour lui prendre sa femme et sa fille. Quand Hjalmar lui explique qu'elles sont décédées, Virtus promet qu'il prendra sa revanche. Il devra aussi surmonter sa peur panique du chat noir qui rôde dans la demeure de Hjalmar. Ce dernier a aussi d'autres projets mystérieux tandis que les époux Alison se retrouvent bien malgré eux au milieu d'un affrontement dont ils pourraient être les victimes.
Le Chat noir est un film assez court (65 minutes) qui propose une structure finalement assez bancale. Il y a un réel déséquilibre entre sa première partie vraiment très intéressante et sa seconde trop précipitée. C'est d'autant plus dommage que le film prend le temps de vraiment bien installer son atmosphère avec cet affrontement assez feutré entre Virtus et Hjalmar tandis que les secrets inavouables de ce dernier sont dévoilés au compte-goutte avec une panique qui s'installe à petit feu chez les époux invités se sentant ensuite pris au piège. L'ambiance devient de plus en plus lourde ayant mis du temps à s'installer et ensuite, il ne reste plus que 15 minutes d'un film qui aurait dû en faire 30 minutes de plus. Il est donc obligé d'enchaîner les révélations, les péripéties, les affrontements et son dénouement à une vitesse folle cassant un peu tout ce qu'il avait si bien construit en faisant malheureusement fi de la crédulité des spectateurs qui est ici bien bousculée. Cela ne peut néanmoins occulter le reste du métrage qui propose de nombreux thèmes assez intéressants. Le personnage de Virtus est ainsi présenté comme un vétéran de la Grande Guerre (et de ses camps de prisonniers) ayant du mal à cacher ses traumatismes (sa peur panique du chat) et qui semble courir après sa femme et sa fille comme un vestige de sa vie d'avant guerre, d'un bonheur comme d'une innocence qu'il ne pourra jamais récupérer. Le personnage permet aussi de traiter du thème de la vengeance qu'elle soit froide ou violente. Quant à Hjalmar, ancien gradé en partie responsable du nombre de morts de la bataille, il semble symboliser le contrôle malsain que certains veulent exercer sur les vivants (ici des femmes) tout en voulant conjurer en partie la mort d'une manière qu'on vous laisse découvrir.
Considéré comme une des œuvres créatrices du sous-genre du thriller psychologique (qu'il aida ainsi à populariser), Le Chat noir ne propose donc pas de monstres fantatiques pourtant indissociables des productions horrifiques d'Universal. Le film en joue par ailleurs quand il nous présente ses deux stars avec un Bela Lugosi dont le reflet peine à prendre forme sur la vitre d'un train de nuit ou Boris Karloff qui se lève de son lit avec une rigidité intrigante. On assiste ainsi à l'affrontement entre deux cerveaux malades (chacun à sa manière) qui confine presque au jeu tout en ayant en arrière-plan la panique des époux Alison qui commence à monter par peur de découvrir ce qu'il se passe réellement que par une quelconque créature bien visible. Cette peur sourde qui grandit peu à peu fait tout le sel du film tandis que Hjalmar dévoile un jeu qui promet beaucoup. Encore une fois, dommage que le final précipité offre un arrière-goût de gâchis à la fin du film. Pour ce qui est de la direction artistique, le film repose sur une excellente idée à savoir représenter la demeure menaçante non pas par un vieux manoir décrépi mais par une maison extrêmement moderne au design perturbant pour les nouveaux venus. Une demeure trop propre sur elle cachant dans ses sous-sols de terribles secrets ainsi que des vestiges de bunkers militaires. Le décor sert ainsi le propos du film où le désastre de la guerre ne saurait disparaître par ce que les hommes tentent de reconstruire par dessus. Le film a néanmoins vieilli en ce qui concerne sa volonté de nous faire peur. On est certes plus proche de l'épouvante que de l'horreur pure mais il ne pourra faire peur à aucun spectateur du XXIème siècle qui en a vu bien d'autres. Enfin, le film est aussi connu pour l'omniprésence de sa musique orchestrale (apparemment présente sur 80% du film) qui joue beaucoup sur l'ambiance mais qui ici aussi s'avère datée.
On sera en revanche bien plus enthousiaste en ce qui concerne la réalisation de Edgar G. Ulmer qui réussit à offrir une mise en scène assez soignée malgré la quasi unicité de lieu. Il y a des placements de caméra intéressants permettant de bien insister sur les secrets inavouables de la demeure avec quelques bonnes idées comme l'utilisation d'un escalier tortueux ou d'une pièce aux murs coulissants avec de multiples portes. Ulmer utilise aussi avec brio les ombres et la luminosité comme tout bon cinéaste du noir et blanc permettant de jouer avec efficacité sur la suggestion. Bref, une mise en scène bien plus réfléchie pour un cinéaste aujourd'hui assez peu connu. Au niveau des interprétations, Boris Karloff (Frankenstein, La Momie...) est génial en homme froid et manipulateur se délectant du désarroi de ses « invités ». En face de lui Bela Lugosi (Dracula, Double assassinat dans la rue Morgue...) est au diapason avec un personnage apparemment calme laissant échapper avec conviction ses traumatismes puis sa folie qui explose. Un affrontement entre deux légendes qui porte ses fruits pour la première de leur huit collaborations. A leurs côtés, David Manners (Dracula, La Momie...) et Julie Bishop (Tarzan l'intrépide...) subissent des personnages stéréotypés, notamment cette dernière, avec lesquels les spectateurs doivent s'identifier. Rien de bien remarquable de leur part malheureusement.
La conclusion de Bastien L. à propos du Film : Le Chat noir [1936]
Si le film accuse son âge (notamment en termes de peur) et laisse un petit goût d'inachevé à cause de sa fin précipitée, il n'en reste pas moins plaisant à regarder. Il propose ainsi une ambiance prenante et mystérieuse avec une direction artistique surprenante et une mise en scène enchaînant les bonnes idées. Il vaut aussi surtout pour l'affrontement surtout psychologique entre Boris Karloff et Bela Lugosi au somment de leurs formes justifiant leur statut de maîtres de l'épouvante.
On a aimé
- Une ambiance pesante très bien mise en place grâce à la mise en scène de Ulmer
- L'affrontement entre Karloff et Lugosi, excellents
- La direction artistique
On a moins bien aimé
- Une fin bien trop précipitée
- Les époux Alison
- Cela a pris son petit coup de vieux (peur, musique...)
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