Critique Vidéodrome [1984]

Avis critique rédigé par Nicolas L. le mardi 5 septembre 2006 à 08h42

Longue vie à la nouvelle chair !

Max Renn est un pervers. La chance pour lui est qu’il en tire également sa subsistance, en animant une chaîne de télévision spécialisée dans les spectacles pornographiques et violents. Pour sa clientèle, il cherche le meilleur de l’abject, le sensationnel de l’avilissement, le nec de la bestialité obscène. Et cela, il pense qu’il pourra les trouver dans les si mystérieux snuff movies. Hélas pour lui, jusqu’à ce jour, Max Stern n’a trouvé que des simulacres, des ersatz maladroits et inintéressants fabriqués de toutes pièces par des escrocs. C’est alors qu’il découvre Videodrome
Videodrome est l’émission ultime, l’arme psychotique par excellence, qui titille plus la glande pinéale que ne le fait le Resonator de From Beyond. Mais quand les moyens dépassent les simples objectifs fixés par de simples esprits humains non libérés, la porte s’ouvre sur une nouvelle conception physique de l’existence : la nouvelle chair ! Des paroles messianiques qui peuvent paraître décalés à l’occasion d’une vision brute de Vidéodrome, mais qui sont en fait les principaux éléments, dans un premier temps, sur lesquels est construit le film-puzzle de David Cronenberg.


Film-puzzle, mais surtout film crypté par son approche inhabituelle. En se concentrant essentiellement sur le regard que porte le héros sur lui-même et son entourage, le cinéaste égare volontairement le spectateur, le plongeant dans un état de questionnement ou de simple renoncement (le spectateur rejoint dans ce deuxième cas l’état d’acceptation de Max, mais dans la stase passive). La base de départ est pourtant assez simple : machination d’extrême droite – bien que Spectacular Optical n’est en fait que le symbole d’une quelconque autorité politique - destinée à manipuler les cerveaux, Vidéodrome créé sur un sujet sensible, en l’occurrence le sadomasochiste latent Max Renn, des hallucinations en rapport avec son milieu professionnel (la télévision) et ses fantasmes (la scarification et le branding).
Ce n’est donc pas un hasard si la découverte de Vidéodrome par Max Renn coïncide parfaitement avec un évènement essentiel : sa rencontre avec son initiatrice Nicki Brand. La jeune femme, adepte de l’amour vache, fait office d’un véritable catalyseur pour que la puissance de Vidéodrome pénètre l’esprit – et le sexe – de Max Renn. Immergé dans ses hallucinations, l’animateur perd pied et nous entraîne dans son délire émotionnel et charnel, Cronenberg continuant à prendre comme option de nous faire prendre connaissance de l’histoire du point de vue de Max Renn.

Le passage à l’état de conscience supérieur se fait à l’occasion d’une autre rencontre, celle de la jeune Bianca. Une nouvelle initiatrice, plus évoluée car fille du géniteur de cette drogue cathodique, aux objectifs indéterminés, qui lui présentera son état plus comme une évolution bénéfique de l’humanité que comme une pathologie nihiliste et condamnable. Un thème que David Cronenberg reprendra à l’occasion d’un nettement moins inspiré (trop ludique ? Trop argumenté ?) Existenz. Je préfère nettement ce choix de Vidéodrome dans lequel le monde virtuel du professeur O’blivion est plus la matérialisation d’un fantasme issu d’un esprit à la perception modifiée (Spider et le Festin Nu sont deux autres tentatives heureuses du cinéaste sur le sujet) que la découverte d’une simple nouvelle dimension un peu trop kitch.
Un niveau de lecture qui, au sujet d’une œuvre aussi complexe qu’est Vidéodrome, ne peut être considéré comme le seul, bien entendu. Chaque vision apporte de nouveaux éléments pour se forger un point de vue. Et c’est bien là la richesse de ce film qui se renouvelle presque entièrement à chaque fois que l’on tente une nouvelle ‘’expérience Vidéodrome’’.

Film essentiellement axé sur les rapports entre les personnages, il était indispensable pour David Cronenberg de trouver les bons comédiens. Le choix de James Woods, un acteur habitué aux rôles d’hommes forts, peut donc sembler, dans un premier temps, assez incongru. Il n’en est rien, car l’avilissement de Max envers le ‘’rayon’’ Vidéodrome et son passage dans cet état second en devient autrement plus efficace que s’il s’agissait d’un individu faible. Dans le rôle de Nicki Brand, Deborah Harry utilise tout son magnétisme pour interpréter ce personnage troublant et sensuel, et dieu sait que la chanteuse de Blondie en à revendre. D’ailleurs, dans un autre registre, plus obscur et manipulateur, la canadienne Sonja Smits, n’est pas en reste dans la gamme prédatrice des sens.
David Cronenberg, pour matérialiser les hallucinations de Max, a également eu le flair de faire appel à Rick Baker pour diriger l’équipe des effets spéciaux. Aidé par Steve Johnson et Bill Sturgeon, deux magiciens du latex, le génial technicien a doté le film d’effets étonnants comme la poche kangourou ou le magnétoscope humain. Du coté des effets visuels, c’est également un technicien chevronné, Frank C. Carrere, qui s’est attelé à la tâche, avec notamment une séquence dans laquelle Max entre dans un téléviseur. En résumé, si là ne se trouve pas la principale force du film, on peut affirmer que les effets spéciaux ne desservent pas l’œuvre. Bien au contraire.

La conclusion de à propos du Film : Vidéodrome [1984]

Auteur Nicolas L.
95

A l’occasion de la sortie de Vidéodrome, Jean-Pierre Putters (que je salue joyeusement !), l’ancien boss de Mad Movies, déclarait :’’(…) Si vous n’avez pas tout compris, ce n’est pas trop grave, l’essentiel est de participer et de ressentir.’’ C’est vrai, Vidéodrome est un film furieusement intello, rempli de messages cachés à travers des dialogues obscurs et des images déformées par les hallucinations de Max. Mais nul est besoin de comprendre tous les tenants et les aboutissants de l’œuvre, ce qui est impossible d’ailleurs à la première vision, pour l’apprécier. A la manière d’un tableau, Vidéodrome peut se lire sur plusieurs niveaux, du plus instinctif au plus réfléchi. Un véritable chef-d’œuvre.

On a aimé

  • Histoire simple et complexe à la fois
  • Atmosphère malsaine et dérangeante
  • Interprétation parfaite
  • Réalisation sobre et efficace
  • Plusieurs niveaux de lecture

On a moins bien aimé

  • Un peu intello, quand même

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