Critique La Puissance de Carthage #2 [2004]

"Dijon résonnait du tonnerre des moulins à eau. Le soleil blanc de l'après-midi flamboyait sur le jaune des champs de moutarde au loin. Des alignements de ceps de vignes, verts et taillés, se vrillaient au sol entre des rubans de terre brune. Les paysans grouillaient sur les champs. Le clocher de la ville sonna cinq heures et quart tandis que Cendres guidait Godluc à travers une affluence de chars à boeufs, jusqu'au pont principal menant à Dijon..."
Cendres et sa compagnie de mercenaires sont à Dijon, tandis que l'armée Wisigothe vient d'envahir le Sud de l'Europe, mettant à feu et à sang l'Italie, l'Espagne et la Suisse. Gênes a été rasée de la carte. La menace est effrayante, mais la Bourgogne semble être un des derniers remparts à l'envahisseur, fort de sa richesse et de sa puissante armée. Cendres et ses mercenaires sont engagés par le comte d'Oxford, anglais exilé, qui souhaite renverser la Couronne d'Angleterre. Cendres apprend par la bouche de la Faris, sa jumelle Wisigothe et accessoirement générale des forces d'invasion, que la voix qu'elle entendait viennent en fait du Golem de Pierre, situé au coeur même de l'empire: Carthage. Le projet de frapper dans cette ville prend forme tandis que l'affrontement entre les forces Bourguignonnes et Wisigothes se prépare...
Ce deuxième tome du livre de Cendres nous raconte les témoignages du soldat Angelotti et du mari infortuné de Cendres, Fernando Del Guiz, sur la vie de l'héroïne. Conté de manière magistrale, on suit toujours parallèlement les récits se situant en 1477, et de nos jours. D'un côté, le mystère entourant les découvertes de l'historien Pierce en 2000 s'épaissit d'autant que la situation politico-économique des fouilles se dégrade. De l'autre, l'histoire de Cendres et de ses origines s'éclaircit considérablement, même si elle semble de plus en plus incroyable.
Le talent de Mary Gentle réside toujours dans sa faculté de saisir le moment et de rendre crédible cette diablesse de Cendres. Car après nous avoir dépeint ce bout de femme énergique et meneuse d'hommes, capitaine de centaines de solides gaillards, elle nous dévoile l'autre facette, plus fragile et plus vulnérable que la condition de femme en elle-même au Moyen-Âge représentait. On ne saura répéter assez ce qu'il y avait de brutal et d'impitoyable à cette époque où le plus fort -physiquement- avait souvent le dernier mot. Et pourtant, elle fait son trou, par une volonté farouche de rester en vie et maîtresse d'elle-même. C'est aussi dans les scènes de batailles, de combats décrits dans leur brutalité réelle -donc crédible- que la plume de l'auteur excelle. On s'y croit. Vraiment. On a l'impression d'être parmi les soldats, au visage crasseux, dans les relents de merde parce que bon nombre des belligérants se font dessus au moment d'entrer dans l'arène. Et enfin, l'écrivain anglais entretient l'attention du lecteur grâce à la tournure que prend l'histoire, à la limite du vertigineux, dès lors qu'il s'agit de notre Histoire. Elle nous amène malgré nous à nous interroger sur les limites des connaissances réelles de ce qui s'est passé il y a deux cents, cinq cents ans. Alors que penser de ce qui s'est vraiment déroulé il y a mille ou deux mille ans !