Critique Les Continents Perdus [2005]

Avis critique rédigé par Nicolas W. le samedi 16 mai 2009 à 15h51

Ce n'est pas tant la destination que le voyage qui importe

Gilles Dumay, alias Thomas Day, directeur de la prestigieuse collection Lunes D’encre, nous propose un voyage en 5 Etapes à travers 4 novellas et une nouvelle.
Après une préface où l’anthologiste nous explique ses choix et motivations, on entre dans le voyage avec le premier auteur : Walter Jon Williams dans sa novella « Le Prométhée Invalide ». Ici, c’est plutôt l’uchronie qui domine car Mary Shelley n’a jamais créé son Frankenstein, Lord Byron n’a pas de pied bot et embrasse une carrière militaire. Il ne s’agit clairement pas d’une histoire avec beaucoup d’action, c’est peut-être d’ailleurs son plus gros point faible car le rythme est très lent même trop parfois. Cependant pour ceux qui ont eu la chance (comme votre serviteur) d’étudier l'oeuvre Frankenstein et son impact sur le monde littéraire (qui connaitra donc aussi lord Byron, Bysshe ou encore Mary Shelley), cette nouvelle sera beaucoup plus appréhendable par la personne qui se trouve avoir les mêmes connaissances que pour celui qui n’en a que vaguement entendu parler. Pour ce lecteur restera donc une nouvelle assez bien rendue dans son atmosphère de l’Europe après napoléon mais, il faut bien le dire, pas grand-chose d’autre. Pour les autres, la nouvelle se trouve être très intéressante pour ses tenants et aboutissants, mais aussi par la manière d’imaginer en quoi serait modifiés l’histoire des protagonistes et les répercussions sur le paradigme que créera alors Mary Shelley en enfantant une des premières œuvres de Science-fiction qui se trouve être tout autre que celle que nous connaissons. A l'arrivée une bonne novella que celle-ci avec ses défauts mais également d’indéniables qualités.

Passons ensuite à la nouvelle de Ian MacLeod, plus courte que les novellas du recueil, on assiste ici à la survie d’un unique chercheur dans l’antarctique qui se retrouve isolé avec une étrange inuit qui semble avoir des pouvoirs surnaturels. Présentée au début comme un journal intime, le reste est plus obscur dans sa structure à mesure que le narrateur semble perdre sa raison et se fondre dans l’étrangeté de son environnement. Le texte est bon, l’atmosphère est bien rendue mais il manque un souffle à ce récit, peut-être un peu trop ésotérique, même si force est de reconnaître que la descente dans les étages de la folie du personnage principal est très bien rendue, on a un peu de mal à appréhender la jeune inuit et à être touché par le destin du chercheur solitaire. Il en reste une nouvelle à l'ambiance assez réussie mais bien en dessous des attentes que l'on pouvait nourrir d'un MacLeod.


3ème arrêt pour l’Afrique du sud au temps de l’Apartheid par Michael Bishop. Un blanc va rentrer avec sa voiture dans un éléphant( !) et devenir invisible aux yeux des blancs. Il tombe alors sur un bus rempli de noirs où il fait la connaissance de Thubana, lui-même fortement intéressé par la théorie des Supercordes. Michael Bishop profite de sa novella pour mettre en relation la théorie scientifique des Supercordes et la ségrégation raciale ignoble de l’Apartheid. Cependant, j'avoue ne pas vraiment avoir réussi à comprendre cette fameuse théorie mais surtout le lien avec l’autre thème de la novella. Par contre, sur le thème de l’odieux traitement des noirs en Afrique du sud, la novella est une perle, effrayante et écœurante, l’auteur arrive très bien à distillé dans le texte cette répulsion envers ces blancs ségrégateurs et racistes mais aussi le sentiment d’injustice profonde. Et même sans comprendre la théorie des Supercordes, le texte reste excellent et très important pour appréhender l’horreur de ce qu’est l’Apartheid , pour ne pas l’oublier.


La prochaine novella nous emporte dans un étrange pays, le Delà, par le Train Noir de Lucius Shepard. Un marginal, clochard qui emprunte les lignes de chemins de fers pour vagabonder à travers le pays, se retrouve emporté par le mystérieux Train Noir dans une contrée fantastique mais aussi effrayante où vivent des dizaines d’autres vagabonds tels que lui. Cette novella est magnifique, l’imagination déployée par l’auteur est vraiment stupéfiante, des trains vivants aux terrifiants fricots, on est plongé dans une sorte de mi-rêve, mi-cauchemar. Construit comme une sorte de remise en question de la personne qui y accède, ce Delà se trouve aussi être une formidable mise à l’épreuve de ceux qui y résident non seulement par le fait que l'on doit s’adapter et refaire sa vie mais aussi par les étranges dangers qui s’y tapissent. Assurément, cette novella aurait pu être la meilleure du recueil, mais voilà, le dernier arrêt du grand voyage réserve une dernière surprise…


Cette dernière surprise est le texte OLNI de l’illustre inconnu chez nous, Geoff Ryman, avec son Pays Invaincu. On nous y compte l’histoire de Troisième, jeune fille que va vivre une période tragique de son pays et nous faire part de ses états d’âme mais aussi de sa perception des évènements. Ryman nous donne ici à réfléchir sur l’histoire cambodgienne à travers une novella fantastique, par un Cambodge fantasmé (comme le dit bien Thomas Day) et par bien des côtés envoûtants par ses images comme celle des maisons vivantes ou des terribles requins des Voisins. On vivra successivement l’invasion des Vietnamiens puis la prise de pouvoir des Khmers Rouges. L’histoire est sublime ,non seulement par l’atmosphère fantastique et irréelle, mais aussi par le destin tragique à la fois de Troisième mais aussi du peuple trahis par les siens et qui subit les pires misères. Ce texte est le meilleur du recueil, un vrai trésor à la fois touchant et terriblement original. A la façon de Bishop, Ryman nous force à nous rappeler du destin tragique des cambodgiens, donnant un texte nécessaire pour non seulement comprendre l’histoire du Cambodge mais aussi pour que cette histoire ne tombe pas dans l’oubli. Le pari de l’auteur est magnifiquement réussi.



La conclusion de à propos du Recueil de nouvelles : Les Continents Perdus [2005]

Auteur Nicolas W.
82

Au final, ces Continents Perdus forment un recueil excellent et très recommandable, avec au pire de bons textes et au mieux des perles rares, Le Pays Invaincu et Le Train Noir. Bravo à Mr Day pour avoir porté aux lecteurs une si excellente anthologie. Espérons que l'expérience sera renouvelée.

On a aimé

  • Une anthologie de qualité
  • Un choix de textes pertinent
  • Les nouvelles de Shepard et Bishop
  • La superbe nouvelle de Geoff Ryman

On a moins bien aimé

  • Une Première Novella particulière et lente
  • Le texte en demi-teinte de MacLeod

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