Critique L'Homme élastique [1938]
Avis critique rédigé par Nicolas W. le jeudi 9 juillet 2009 à 19h07
La taille, ça compte!
« En trois jours, toute la division de Ségur, s'élevant à sept mille quatre cent trente et un hommes, sera passée dans la partie sud du camp, après que la taille moyenne des hommes aura été ramenée à un mètre trente-cinq. A signaler que le colonel du 403ème régiment refusait de se laisser traiter. Le général de Ségur, qui est maintenant tout à fait familiarisé avec le traitement, l'a pris de très haut :
- Je ne m'attendais pas à voir un officier supérieur donner le premier l'exemple de l'indiscipline. C'est un ordre. Tous vos hommes sont passés par là. Qu'est ce qu'un colonel qui ne passerait pas où son régiment est passé ?
Le plus curieux est que le colonel était normalement de très petite taille. »
Le recueil Joyeuses Apocalypses se propose de faire revivre des romans de l'écrivain Jacques Spitz souvent difficiles à trouver et négligés de nos jours. Après La Guerre des mouches, nous voici avec une seconde « apocalypse » qui n'en est pas vraiment une au sens strict du terme. En effet, cette fois, il s'agit de suivre les expériences d'un savant résolument misanthrope, le Docteur Flohr, au sujet de la dilatation de la matière. Conséquence, en dilatant la matière, il en vient à agrandir et rapetisser tout ce qu'il peut et bien entendu des êtres humains. Pour trouver des « volontaires », rien de plus simple : s'adresser aux militaires pour leur vendre une arme nouvelle qui va changer la guerre. Ainsi se retrouve-t-il à rapetisser un régiment de 7000 hommes pour vaincre les allemands. Mais cette découverte, au-delà de résoudre le conflit, va bouleverser la société humaine...
Il est toujours aussi surprenant de voir Jacques Spitz emprunter une idée certes intéressante mais assez banale et en tirer des conclusions à l'échelle de l'humanité. Le roman est divisé en 2 parties, celle d'abord du journal du docteur Flohr qui relate ses découvertes et avancées mais aussi ses états d'âmes. On devine rapidement que le bonhomme est un misanthrope de premier ordre mais également un scientifique pour qui rien ne compte d'autre que les résultats obtenus. Ce n'est d'ailleurs pas sans rappeler les essais d'un autre Docteur bien connu de la science-fiction, le fameux Dr Frankestein. La seconde partie est constituée par le journal de sa fille Ethel et montre cette fois les bouleversements radicaux et incroyables que va donner la flohrisation (le nom porté par le processus de dilatation de la matière) sur l'échelle de l'humanité. On retombe ici plus dans une narration des divers changements sociétaux et moraux du genre humain.Cette fois, nous ne sommes pas vraiment dans une apocalypse, puisque la race humaine ne va pas disparaître au sens strict du terme mais évoluer vers une nouvelle forme. Ou devrait-on dire vers de nouvelles formes, puisque les possibilités offertes par la découverte du Dr Flohr va faire naître plusieurs communautés, des nains, des géants, des normaux et des extrêmes avant que finalement les changements s'effectue à l'échelle des nations puis du monde. Bientôt les humains normaux se retrouvent parqués à l'écart, reliquat d'un mode de vie dépassé. A cet égard, la fin n'est pas sans rappelée celle de La Guerre des mouches mais se différencie en cela que sa signification la rapproche plus d'un Candide. Le Docteur Flohr ayant voulu en effet pousser la race humaine qu'il exècre vers une voie nouvelle pouvant lui permettre de détruire ses vieux démons et peut-être de devenir meilleur. Pourtant on sent que ce pari est loin d'être gagné.
Encore une fois, l'auteur français nous offre au-delà du panel de trouvailles sur l'application de ces changements de tailles, une réflexion sur l'homme et les fondements de sa société tout à fait passionnante et...pessimiste. Semblablement à La Guerre des mouches, ce pessimisme est accompagné d'un humour cynique et d'une ironie aiguisée encore plus présente qui fera bien rire le lecteur. C'est ici un rire dû aux réflexions souvent du docteur Flohr, sorte de double de Spitz, qui se fout de l'homme et de ses triviales besognes quotidiennes. Mais un humour aussi sur les retentissements de la Flohrisation et bien souvent de la bêtise humains qui motive les changements de taille d'abord à l'échelle de l'individu puis à l'échelle des nations qui voient par exemple l'URSS porté la taille de sa population à quatre mètres pour prouver sa supériorité !On est encore une fois étonné, étonné de voir que Jacques Spitz, déjà en 1938, avait compris l'étendu de la bêtise humaine, ses travers et tout l'humour qu'y pouvait en résulter. D'une lucidité sans faille, le roman est surtout une démonstration du savoir faire de l'auteur, brassant ses thèmes favoris pour en ressortir une œuvre qui met l'homme au centre des préoccupations et qui se sert habilement d'une idée science-fictive pour livrer une critique acide de la société, que cela touche la guerre, la mode ou encore le nationalisme, tout y passe ou presque. Les idées sont encore une fois toutes plus farfelues les unes que les autres mais contiennent toujours une part de vraisemblance, quelque part, on ne peut s'empêcher de penser que si une telle découverte était faîtes, certaines des applications imaginées par Spitz seraient bel et bien tentées. Reste que le roman n'est pas du niveau de La Guerre des mouches, sûrement trop froid et avec une fin bien moins percutante que dans le roman précédemment cité. Mais ne nous y trompons pas, c'est encore une fois un excellent récit qu'a écrit Jacques Spitz.
La conclusion de Nicolas W. à propos du Roman : L'Homme élastique [1938]
Second Roman et seconde réussite pour cet omnibus. Joyeusement, Jacques Spitz nous donne à réfléchir sur la société et sur les conséquences d'un bouleversement scientifique. Souvent absurde, parfois humoristique mais toujours lucide, L'Homme élastique est une expérience à tenter.
On a aimé
- Un postulat de départ interessant
- Une excellent satire sociale
- Des Trouvailles toujours géniales
- L'humour et L'absurdité omniprésent
- Le Ton pessimiste et lucide
- Le personnage du docteur Flohr
On a moins bien aimé
- Une fin en demi-teinte
- Une certaine froideur qui pourra déplaire
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