Critique Rois et Capitaines [2009]

Avis critique rédigé par Nicolas W. le vendredi 14 août 2009 à 17h19

Gouverner et Combattre

« Un essaim de rocs, de moellons et de pierraille part à l’assaut du ciel, plane avec une légèreté irréelle, s’abat en rafale sur les faîtages, les tours et les pignons de la ville. Des façades se crevassent, des cheminées s’effondrent, des toitures explosent.
Montefellone fume, s’écorne et branle. Montefellone vacille.
Montefellone doit tomber. »

Le festival des Imaginales d'Epinal pour cette année 2009 s'associe aux éditions Mnemos pour offrir aux lecteurs une anthologie de Fantasy rassemblant les grands noms du genre. Stéphanie Nicot, Directrice artistique du festival, se trouve donc anthologiste pour l'occasion. Saluons d'emblée cette entreprise d'autant plus risquée dans le paysage littéraire français lorsque l'on sait le peu de succès de ce type de publications à l'heure actuelle. Passons ensuite au sommaire de l'anthologie qui comporte 12 nouvelles:

Jean-Philippe Jaworski, Montefellòne
Rachel Tanner, La Demoiselle et le Roitelet
Claire Belmas & Robert Belmas, Dans la main de l’orage
Maïa Mazaurette, Sacre
Lionel Davoust, L’impassible armada
Catherine Dufour, Le prince aux pucelles
Thomas Day, La Reine sans nom
Armand Cabasson, Serpent-Bélier
Pierre Bordage, Dans le cœur de l’Aaran
Johan Heliot, Au plus élevé trône du monde
Julien d’Hem, Le Crépuscule de l’Ours
Laurent Kloetzer, L’Orage

Sous une couverture auquel on reprochera son classicisme mais qui pallie celui-ci par un trait à la fois sombre et élégant, se découvre la nouvelle d'ouverture intitulée Montefellone de l'écrivain primé au festival, Jean-Philippe Jaworski. Ayant pour cadre l'univers désormais bien connu du Vieux Royaume, le texte retrace la chute de la ville fortifiée de Montefellone, déjà évoquée au cours de l'imposant Gagner la Guerre. Isembard D'arches du royaume de Léomance a pour mission de prendre la place forte des mains du sénateur Antinéo Sicarini épaulé par ses plus proches conseillers et son meilleur capitaine, son propre fils Raban D'arches. Bientôt, il apprend que son entreprise est mise en danger par l'arrivée de renforts venant de la République de Ciudalia. Montefellone tombera-t-elle ? Quel sera le prix à payer pour cette conquête ? Comme à son habitude, la langue et le style sont magnifique, la recherche lexicale est impressionnante, l'histoire haletante. Malgré le manque d'originalité des événements, le tout est parcouru par un souffle épique qui emporte le lecteur au cœur de la guerre. On y retrouve de plus des personnages issus de ses précédents ouvrages, clins d'œil à son lectorat. Porté par des protagonistes forts, c'est simplement le meilleur texte du recueil qui remplit parfaitement le cahier des charges de l'anthologie et justifie le statut de « chouchou » du festival.

Rachel Tanner a de fait la lourde tâche de prendre la suite avec son texte La Demoiselle et le Roitelet. Le roi de France, Charles VII, est en difficulté face aux anglais qui assiègent Orléans. C'est en ce moment de doute qu'il fait appel à une jeune femme, Catherine, surnommée la Sorcière pour ses facultés de mener la guerre et de cerner les hommes d'un coup d'œil. Ainsi, à la tête de l'armée française, cette téméraire guerrière va devoir bouter les ennemis du roi français hors des limites de son royaume. Mais gare aux jeux de pouvoirs... On pourra bien entendu essayer de justifier la déception ressenti à la lecture de cette nouvelle par le fait qu'elle arrive après la perle de Jaworski...Mais c'est bien vite oublier qu'on est au final devant une histoire vue et revue qui rappellera immédiatement une autre célèbre femme guerrière historique. Sans surprise donc et loin d'avoir le style raffiné du précédent auteur. A oublier.

Suite à cette déconvenue, c'est Claire Belmas et Robert Belmas qui nous offre Dans la Main de L'orage. Dans celui-ci, nous suivons l'histoire de Florée, orpheline de sang royal, qui se retrouve enrôlée par le seigneur Bohor et va bientôt rejoindre la troupe des guerriers ou Kadours qu'il entraîne au sein de son domaine. L'arrivée de quelques étrangers va cependant l'entraîner dans une toute autre aventure...Rédigé sous la forme d'une succession de récits et teinté de saveurs celtiques, le texte s'avère intéressant mais l'écriture, volontairement très recherchée, en devient trop lourde et peine à faire décoller cette histoire. Malgré la présence de quelques personnages intéressants tel que le seigneur Bohor et d'éléments fantastiques bien trouvés, la nouvelle est ici aussi une déception.

Alors que l'enthousiasme soulevé par la nouvelle d'ouverture est retombé avec ces deux textes, c'est finalement Maïa Mazaurette qui va relever le niveau avec sa courte nouvelle Sacre.  Le petit roi Louis, qui n'aura 12 ans que dans onze mois et onze jours, est piégé au sein de sa forteresse d'Avignon assiégée par les Albigeois. Alors que les catapultes font trembler les murs et que sa mère Blanche se démène pour défendre le jeune roi, celui-ci se perd dans ses pensées avec son fidèle capitaine Jones. En voilà donc un texte qui prend le sujet de l'anthologie et l'emmène là où on ne l'attend pas ! Bien écrit et assez court pour ne pas lasser, la nouvelle de Mazaurette est de surcroît un vrai délice d'humour avec une chute assez intelligente pour mériter de relire ce court écrit. Assurément la plus originale des nouvelles de cette anthologie.

« De notre côté, Blavious et moi, on a assomé discrètement - et doucement, c'était un camarade, quand même - le garde des signaux pour adresser un message bien particulier aux pirates. Un très simple et très universel La prochaine fois, c'est les yeux dans les yeux.
D'accord, je romance un peu. Les feux ne permettent pas autant de nuances, mais ils ont compris le principal, surtout quand on a brûlé un drapeau noir en baissant nos culottes. C'est le genre de choses qui se voit à la lunette. »

Après tant de guerres sur la terre ferme, Lionel Davoust lui choisit de nous emmener sur l'océan dans L'impassible armada. C'est l'occasion pour le lecteur de rencontrer Davenport et ses amis marins servant dans la flotte de Sa majesté lancée ici à la poursuite de pirates ayant fait prisonnière lady Bourneswatting. Bien malheureusement, cette poursuite tourne court lorsque, arrivés dans les eaux glacées du Pôle, les navires se trouvent immobilisés par les glaces. Rendus progressivement fous par cette situation, les hommes commencent à se sentir appelés par la glace et sautent par-dessus bord. Il est donc grand temps de prendre les choses en main. Ce jeune auteur et traducteur, déjà détenteur du prix Rosny aîné pour sa première nouvelle, étonne et impressionne. D'une grande maîtrise, alliant un humour certain et une histoire intelligente autant que loufoque, cette virée en pleine mer est une grande réussite. Entre des personnages savoureux et attachants, une situation originale et une langue impeccable, il est certain qu'il faudra désormais suivre Lionel Davoust de très près.

Le Prince aux pucelles est le titre de la nouvelle d'une des grandes dames de l'imaginaire français, Catherine Dufour. Un homme s'y retrouve nommé Prince dans la principauté de Hulst par la châtelaine. Sa tâche est en prime des plus étranges : il sera chargé de recueillir les pucelles de sang nobles et de les protéger envers et contre tout. Confronté aux famines, aux révoltes et à l'évêque de Vittinghof, la tâche du prince s'annonce ardue. Coutumière de l'humour en fantasy, la nouvelle de Catherine Dufour ne fait pas exception. Malheureusement, rapidement la française déçoit. Trop brouillon, le texte devient vite chaotique et difficile à lire, les exploits du Prince s'éparpillant bien trop pour nous tenir en haleine. Malgré des touches d'humour savoureuses et quelques bonnes trouvailles, la faiblesse globale de l'histoire et de sa chute font de cette nouvelle la déception de l'anthologie. Dommage.

Autre nom très connu, Thomas Day livre aux lecteurs une courte nouvelle intitulée La Reine sans nom. Cette reine s'éveille donc dans sa tombe au milieu de ses suivants. Ne comprenant pas ce qui lui est arrivée, elle va bien vite demander à ses serviteurs de creuser pour lui permettre d'aller chercher les réponses dont elle a besoin à la surface... En à peine 8 pages, l'auteur brosse ici la légende d'une reine d'Extrême-Orient au travers d'un récit poétique et à l'écriture ciselée. De toute beauté donc et tranchant avec les textes précédent, c'est une véritable réussite.

De la poésie, il en reste dans le texte d'Armand Cabasson, Serpent-Bélier. Nous sommes au XIIIème siècle au cœur de l'Ukraine. Alors que les tribus mongols ravagent les steppes de l'est et anéantissent tous ceux qui s'opposent à eux, le prince Mikhail Doniev de Mazersk va tenter de concilier les croyances anciennes des peuples de Lituanie et celles, orthodoxes, de son propre peuple par l'intermédiaire d'une étrange créature découverte dans une des tribus parcourant les contrées sauvages de l'Ukraine. Arrivera-t-il ainsi à stopper l'avancée mongole ? Cette longue nouvelle mélangeant guerre et religion sur fond de créatures mythiques permet de rester vers l'orient, au cœur des steppes russes. Emmené par un propos fort intelligent sur la tolérance et les difficultés des hommes pour surmonter leurs différences, le récit est passionnant. Il serait aussi injuste d'oublier ces créatures mythiques et ce final cruel pour finir de faire l'éloge du texte de Cabasson.

« Je devine dans ta voix de la pitié et de la moquerie, mon garçon. Tu penses que les esgasses n'existent que dans l'imagination des vieux radoteurs de mon genre, pas vrai ? Eh bien, moi qui te parle, je te jure que j'ai vu une esgasse, de mes yeux vu, avant qu'ils ne se soient éteints à force de contempler la lumière du jour. Ne pars pas, petit, laisse-moi m'installer confortablement, vider ma chope et te raconter mon histoire. »

Pierre Bordage, nul besoin de le présenter, est également de l'anthologie avec Au Cœur de l'Aaran. A l'instar de Lionel Davoust, sa nouvelle se passe sur un navire mais celui-ci est un navire des sables, le Xerken. Main de Pierre est un de ces marins enrôlés par un mystérieux capitaine pour parvenir au cœur du désert à la recherche de la vie éternelle. C'est ainsi qu'une fine équipe de bras cassés se met à la recherche de la promesse d'éternité... D'une originalité assez rafraichissante au cœur de cette anthologie puisqu'exploitant un imaginaire à base de pirates des sables et d'aéroglisseurs, Au cœur d'Aaran est une bonne nouvelle. Même si elle n'atteint pas l'excellence des autres textes, le récit et la galerie de personnages sont assez intéressants pour tenir le lecteur en haleine. De même, cette réflexion simple qui consacre la vie par la mort ajoute quelques intérêts à cette aventure.

Pour la dixième nouvelle, Johan Heliot nous ramène vers l'époque des mousquetaires enfin...pas tout à fait. Au plus élevé trône du monde... revient sur la mort de Charles De Batz-Castelmore alias D'artagnan. Celui-ci se retrouve alors sur la Lune en compagnie de Cyrano qui lui apprend les intentions du roi de la Lune d'envahir le royaume de France dont on lui a tant vanté les beautés. Mais D'artagnan est bien décidé à protéger sa patrie...Inscrit dans la lignée de l'œuvre du français, ce texte est un réjouissant récit bardé de clins d'œil historiques et qui se propose de détourner l'histoire pour raconter sa version de l'homme au masque de fer. Surréaliste et non dénué d'humour,Heliot donne un bon texte... mais pas inoubliable.

Le petit nouveau de cette anthologie, qui remplace Michel Robert, c'est Julien d'Hem avec Le Crépuscule de L'ours. Le dernier combat d'un guerrier aussi valeureux qu'ignoble se joue au cœur de ce récit. L'ours se souvient pourtant des atrocités qu'il a commise, d'une vie dédiée à la guerre et à la fureur. Le jeune et téméraire adversaire qui lui fait face a-t-il conscience des doutes du guerrier impitoyable qu'il s'apprête à combattre ? Bien que la chute du texte ne soit pas convaincante et que celui-ci aurait mérité d'être légèrement écourté, on ne peut que saluer ce premier écrit de ce jeune auteur. Compté à la première personne et largement constitué de flash-back, le récit est très bien écrit avec quelques grands moments, notamment cette description de la chute d'Héliothys. Et si les personnages restent caricaturaux, pour un premier texte, c'est réellement une bonne surprise ! Un auteur à suivre...

Le dernier écrivain de ce recueil n'est lui pas un nouveau venu, puisque Laurent Kloetzer, l'auteur du roman Le royaume blessé, boucle cette anthologie par la nouvelle L'orage. Reprenant un des personnages de ce roman, Jaël de Kherdan, il nous transporte dans les rêves enfiévrés de celui-ci. Mais entre rêves, hallucinations et réalité, bien vite, Jaël se perd en lui-même. Par une langue étudiée et de toute beauté, Kloetzer perd le lecteur dans les délires de son personnage. Une histoire donc labyrinthique, peut-être trop d'ailleurs puisque le lecteur doit s'accrocher dans sa lecture...Autre bémol, il est difficile de voir en quoi ce texte ce rattache au thème de l'anthologie. Reste pourtant une histoire belle et tortueuse à souhait.

La conclusion de à propos du Roman : Rois et Capitaines [2009]

Auteur Nicolas W.
80

A l'arrivée, Rois et Capitaines est une bonne surprise et une entreprise à saluer (et à renouveler ?). Au travers de 12 nouvelles qui rassemblent les grands noms de l'imaginaire français, cette anthologie livrera un excellent moment de lecture à qui recherche diversité et qualité. Seul 3 textes déçoivent, mais rien que pour la nouvelle d'ouverture de Jean-Philippe Jaworski, on pardonnera aisément ce reproche.

On a aimé

  • Un excellent niveau global
  • Montefellone
  • Deux jolies découvertes
  • Un thème bien respecté

On a moins bien aimé

  • Deux nouvelles faibles 
  • Un texte décevant

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