Critique Fournaise [2007]

Avis critique rédigé par Nicolas W. le dimanche 31 janvier 2010 à 02h12

Au coeur des Flammes

"Il sentait la fournaise plonger dans la forêt et s'y enfouir devant lui, dans toutes les directions. Le sol devenait chaud sous ses pas et l'humus sombre fumait et puait. Dans le cauchemar, il n'y avait qu'une voie de sortie mais son beau-frère Vic la bloquait. Sauf que Vic y était un Pukpuk, l'une des torches humaines qui avaient amorcé l'incendie."

Prix Nebula 2007

Nomination Hugo 2006

La planète connue sous le nom de Pois de Moroboe a été acheté par un certain Président Winter pour en faire un "refuge des derniers vrais humains". Renommé Walden, cette planète aride se voit colonisée et transformée en planète forestière par ses nouveaux occupants. Ceux-ci suivent le dogme de l'état Transcendant instauré par le président : une sorte d'utopie écolo-pastorale qui prône le retour à la Terre et aux choses simples. La Simplicité doit délivrer l'homme du fléau de l'industrie. Malheureusement, les premiers habitants de la planète, les Pukpuks, se voient forcés de se retirer devant l'avancée des forêts. Acculés, certains deviennent des torches vivantes pour brûler les arbres qui les envahissent. Spur, volontaire dans le corps des pompiers luttant contre les incendies, voit ainsi son ami Vic brûler pendant une de ces fournaises. C'est lors de sa convalescence que Spur va aller fouiner dans le "Monde d'en-Haut" et déclencher, bien malgré lui, une série d'événements qui va chambouler la vie de son village PetitBourg.

Paru en 2007 chez les Moutons Electriques (et réédité en poche en octobre dernier), Fournaise est la première incursion de l'auteur américain James Patrick Kelly sous nos latitudes. Nominé au Hugo 2006 et lauréat du Nebula 2007, Fournaise est un court récit de 160 pages placé sous le signe philosophique de Thoreau et de sa vision utopique d'un monde revenue à l'innocence naturelle. Mais cette flatteuse réputation est-elle méritée ?

Tout commence donc avec le personnage central du roman, Prosper Grégoire Leung dit Spur. Celui-ci est entre les pattes métalliques d'un docbot de ceux d'en-haut pour soigner ses brûlures. D'emblée l'américain marque la fracture entre les habitants de la "paisible" Walden et le reste des humains dits "les habitants de l'en-haut". Car la particularité de cette planète est d'être une sorte d'utopie d'une vie faîtes de simplicité où l'industrie (et non la technologie) n'a pas sa place. Les colons de Walden s'apparentent donc à des fermiers ou des agriculteurs  vivant de et par la terre. Force sera d'ailleurs de constater la beauté de cette planète forestière dont les villages semblent tout droit sortis d'un âge d'or pastorale où l'homme vivrait en harmonie avec la nature.

Mais cette utopie révèle vite des failles... Dans les villages ont trouve des statues à la gloire du président Winter qui est vu comme une icône, une légende vivante. Le dogme de simplicité fait des habitants de Walden des gens reclus et fermés sur eux-mêmes redoutant l'étranger autant sur leur planète avec les autochtones appelés Pukpuks qu'avec ceux d'en-haut. On les apprends à se penser supérieur, avec un mode de vie parfait et que l'on ne doit pas remettre en cause. Bref, Kelly montre sans jamais forcer le trait que cette utopie a tout d'une dictature sous couvert de mille et une bonnes intentions. Le procédé est d'autant plus habile que cela ne pousse pas le lecteur à détester les colons de Walden, bien au contraire.

Tous ces habitants, aussi simplets soient-ils, sont très attachants mais...maintenus délibérément dans l'ignorance et effrayés. Leur mode de vie est certes par bien des aspects enviables mais il manque à un principe primordiale : la liberté. Chose surprenante, jamais les Pukpuk se seront vus ou n'apparaitront dans ce livre, les événements et les "autres" étant décrits par ceux de Walden. Cela crée une certaine étrangeté dans le récit, qui reste entre les deux camps sans jamais vraiment prendre parti. L'auteur nous fait sentir l'injustice envers les Pukpuks mais nous décrira aussi par le détail les catastrophes qu'entraînent les incendies déclenchés par ceux-ci. Le piège de manichéisme est donc évité...

C'est donc sur ce climat très politique autant que philosophique que repose Fournaise derrière sa simplicité de construction, de narration et de style. Plus loin encore, James Patrick Kelly pose une foule de questions intéressantes de façon plus subtile : Comment considérer une entité animale intelligente ou non ? Ou doit s'arrêter le rêve d'utopie avant de devenir dictature ? Vivre dans l'ignorance est-il préférable au savoir ? Et surtout comment influer sur le cours d'une civilisation tout entière sans l'anéantir sous la révélation d'un univers radicalement différent du leur ? Il est certain que beaucoup de ces questions trouvent une réponse implicite au cours du récit et la fin reste à ce titre tout à fait logique et bien amenée. Avec toutes ces interrogations, cette réflexion, l'auteur fait pourtant preuve d'une grande simplicité pour ne pas perdre le lecteur et desservir son propos.

La qualité du livre tient aussi beaucoup de son univers et de son atmosphère particulière. La rencontre avec la joyeuse troupe du Haut Grégoire et de Memsen lance le récit sur un panel de personnalités surréalistes et parfois franchement hilarantes soit par le décalage des deux cultures soit par la nature très absurde de ceux d'en-haut. On rit autant qu'on réfléchit bien souvent, ce qui n'est pas un mince exploit puisque jamais l'auteur ne décrébilise son récit. On pourra citer également les noms tellement simples des lieux et habitants de Walden qui prêtent souvent à sourire mais ne sont que reflet de leur culture. Souvent Fournaise fera penser à un classique de la science-fiction, le Demain, les chiens de Clifford Donald Simak autant par son aspect pastoral que par ses vocations philosophiques...

Pour terminer, rappelons que les personnages aux cœur de ce récit sont des plus attachants. Spur qui représente ceux de Walden et surtout le Haut-Grégoire, délicieux enfant aussi risible qu'intelligent mais aussi cette foule de personnages secondaires qu'ils soient issu d'un monde ou de l'autre. En fait, le seul défaut de ce roman est d'être bien court car au-delà de ces 160 pages, on sent beaucoup de choses non dîtes et non développées et c'est bien dommage au vu de la richesse de l'œuvre.

"L'idée que lui, un véritable humain, puisse être démodé, dépassé ou peut-être même au bord de l'extinction, dérangea tellement Spur qu'il se leva et se mit à arpenter la pièce. Il se dit qu'il payait le prix de sa curiosité. Il y avait de bonnes raisons pour lesquelles la Convention de Simplicité plaçait des limites à l'usage de la technologie. De la complexité naissait l'anxiété. La vie simple était la bonne vie."

La conclusion de à propos du Roman : Fournaise [2007]

Auteur Nicolas W.
82

Pourtant soyons tout à fait franc, il vaut bien mieux avoir fait court et très bon que le contraire. James Patrick Kelly a vraiment mérité cette réputation puisqu'avec Fournaise, il livre un récit des plus touffus et des plus intelligents tout en restant d'une accessibilité et d'une originalité surprenante. Alors si le cœur vous en dit, on ne peut que trop vous recommander ce roman. Ce sera une bonne occasion de découvrir l'américain qui vient de revenir en France, à nouveau par les Moutons Electriques, par son roman Regarde le Soleil dans la collection de la fameuse Bibliothèque Voltaïque.

On a aimé

  • L'originalité du récit
  • Des personnages attachants
  • Le personnage décalé de Spur
  • Le refus du manichéisme
  • L'accessibilité du roman...
  • ...Et son intelligence

On a moins bien aimé

  • Briéveté du roman

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