Critique Amer [2010]
Avis critique rédigé par Romain B. le mardi 23 février 2010 à 14h37
Le goût du sang jaune
Sublime
Enivrant
Névrotique
Sonore
Obsédant
Radical
Insolent
Egoïste
Lancinant
Amer est un film à qualificatifs, essentiellement, chaque particule du film (de la moindre image au moindre son) cherchant à s’inscrire sur l’échelle infinie du ressenti humain.
Et quand on en vient à avoir les larmes aux yeux dès les premières secondes du générique d’ouverture d’un film, c’est évidemment que quelque chose d’unique est en train de se passer dans le corps et l’esprit du spectateur, qu’une expérience physiologique est à l’œuvre.
Parler de « narration » ici serait finalement assez vain. Posons-le d’emblée, le déroulement du premier long-métrage d’Hélène Cattet et Bruno Forzani ne s’exprime (et n’existe) qu’à travers la succession de ressentis provoqués chez son spectateur. Dès lors, si celui-ci y est hermétique, le voyage n'en sera que plus bref, voire peut ne jamais commencer. En effet, forcément sensitif avant d'être sensoriel, le film doit percer la sensibilité de son spectateur avant de pouvoir en éveiller les 5 sens. Ceci constitue indéniablement une limite, la seule du métrage, mais c’est également (et nous allons le découvrir par la suite) la rançon à payer lorsque l’on souhaite aboutir à une proposition de cinéma à ce point sincère et radicale, parce qu’Amer est avant tout une authentique déclaration d’amour et de dévotion au Cinéma. Et, forcément, ce genre de déclaration ne supportera jamais le compromis ou la demi-mesure.
Ainsi, bien que le film ne cherche jamais à brosser le spectateur dans le sens du poil (voire du cil), il lui est pourtant nécessaire de percer sa sensibilité pour l’emporter avec lui. Ce faisant, l’assimilation du métrage nécessite un bagage certain, tout du moins, disons, une certaine connivence. Au-delà de l’utilisation profonde du medium cinéma, le film parle le langage d’un sous-genre spécifique : qu’il s’agisse de l’échelle des plans employée et de leur alternance au sein d’une même séquence (un extrême close up succédant à un plan large par exemple), de l’importance de la bande son (de la soundtrack exclusivement empruntée et pourtant jamais référentielle à un Sound design qui n’est pas ici destiné à servir de trame sonore mais bel et bien à constituer un personnage à part entière), de l’utilisation outrancière de la couleur (les fameux monochromes Vert, Rouge ou Bleu), de la représentation particulièrement sensuelle de la figure de la femme, de ses thématiques (du désir à la mort en passant par le désir de la mort), etc. Amer est incontestablement un giallo, certes, mais c’est bien plus encore.
Film exclusivement « au présent », il fait fi de la traditionnelle continuité / narration inhérente à toute succession d’évènements (i.e. origines passées et implications futures) : Amer dit mais ne raconte pas. Ici, seul l’instant compte. L’instant et la sensation souveraine qui lui est associée. Dès lors, le film montre simplement, il donne à voir et à entendre, restituant le pouvoir originel de l’image : émouvoir, remuer, éveiller les sens. Point barre. L’image (et son habit sonore) est seule reine et doit se suffire à elle-même. Cette vision primordiale désormais oubliée du medium cinéma, les deux réalisateurs nous la rappellent brutalement. Leur métrage est l’antithèse de ce cinéma interactif prédigéré pour le spectateur, celui-là même qui vous prend par les deux mains et vous entraîne sur une autre planète, dans une histoire qu’il vaut mieux avoir déjà vécue plusieurs fois pour ne pas trop s’y perdre. Amer est à l’inverse une véritable proposition offerte au spectateur, une possibilité nouvelle, à savoir un film à sens unique qui ne pense jamais à son spectateur autrement qu’en tentant de lui livrer l’œuvre la plus entière et sincère possible. Ce qui s’avère toujours plus respectueux que de ne penser qu’à lui tout en le prenant pour un con. Amer n’est donc pas du genre à jouer du coude et de la paupière molle avec son audience, les réalisateurs n’ayant pas cédé aux codes faciles et attendus (exigés ?) par un spectateur trop habitué à ce qu’on lui serve toujours la même soupe régulée.
Amer « raconte » donc l’instant présent. De la même façon qu’un être humain serait sujet à une suite d’émotions multiples, le film s’articule autour de trois agitations différentes liées aux trois âges de la vie d’une femme -trois « éveils sensoriels » différents pour être exact- et pourtant intrinsèquement mêlées. Le métrage peut ainsi s’appréhender comme un film à sketchs, en trois actes, le spectateur découvrant d’abord la peur (enfance), puis la naissance du désir (adolescence) et enfin la fascination de la mort (âge adulte). Et c’est dans cette construction basée sur l’éveil sensoriel progressif, véritable fil conducteur du métrage, que repose son déroulement (i.e. « sa pseudo-narration ») puisque tout au long de ces trois actes le spectateur est amené à découvrir, à prendre conscience de ses 5 sens et ce d’une façon tout à fait « humaine » : schématiquement, le premier acte, lié à l’enfance, insiste naturellement sur l’éveil et les deux premiers sens à être sollicités dans la vie d’un homme, à savoir la vue, ce qu’implique le regard (voir, être vu, la curiosité, être surveillé, épié, etc.) et l’ouïe (ici, même la lumière émet un son !). Le second acte met davantage en avant l’odorat, taquinant les capacités olfactives du spectateur via les principaux plans en extérieur (un été fleuri en bord de mer) et en extrait toutes les possibilités charnelles pour souligner la naissance du désir dans le corps et l’esprit de la jeune femme (cf. extrêmes close up de sa peau diaphane, les gouttes de sueur ruisselant sur les bras des bikers, etc.). Quant au dernier acte, il met en évidence un sens sans doute beaucoup plus délicat à faire ressentir au cinéma : le toucher (séquence de contact entre bras tièdes et moites dans un train bondé l’été…). Indifféremment, quel que soit l’acte, quelle que soit la période de la vie de cette femme, chaque détail, chaque situation même triviale est matière à extrapolation sensorielle : un cabas en osier que la fille tend à la mère, le bruit des talons (aiguilles forcément) martelant le bitume, le bruit du vent qui s’engouffre dans un chapeau de paille ou qui soulève une robe légère, etc.
Plus encore, le génie -ou plus simplement le soin maniaque- de ses géniteurs permet à Amer de transcender les codes kitchs du genre, si bien que ces figures stylistiques imposées prennent un nouveau sens. Par exemple, lorsque le reflet lumineux d’une lame de rasoir ou d’un bijou émet un son brillant, il ne s’agit plus simplement d’un gimmick superbement absurde, mais davantage de la volonté de mélanger les sens, de les étendre en un réseau subtilement entremêlé : l’ouïe répondant à la vue dans un même élan sensoriel, l’un étant la continuité, la finition de l’autre. De la même manière, au-delà de la musique empruntée aux classiques du genre (notamment la trilogie des « Polizia… » de l’immense Stelvio Cipriani) c’est toute la matière sonore, des bruitages au Sound design, qui révèle encore une fois un travail monumental de recherche sensitive. Il est évident qu’Amer ne se regarde pas passivement. C’est un film qu’on appréhende avec le corps et l’esprit quand bien même toute tentative d’intellectualisation serait vaine. Ce n’est pas un film mental mais bien un film purement physiologique, un film qui se doit de pénétrer son spectateur tant et si bien que l'on aurait envie de le regarder les yeux fermés…
Amer pose finalement la question du « film parfait » en ce sens qu’il représente parfaitement la vision de ses auteurs, le métrage étant la traduction littérale en images d’un scénario extrêmement précis en termes de composition du cadre, de découpage et d’enveloppe sonore. Volontairement (qu’il s’agisse d’un point de vue artistique ou de la nécessité de ne pas déborder du maigre budget imparti), la phase de réalisation n’a jamais laissé de place à l’improvisation. Chacun des 900 plans a été méticuleusement préparé, repéré, répété, et même « testé ». En effet, quelques mois en amont du véritable tournage, le couple de réalisateurs se lance dans la réalisation d’une version préliminaire intégrale du film, dans laquelle ils éprouvent la faisabilité et le fonctionnement entre eux de tous les plans du film qu’ils ont en tête.
Cette démarche est évidemment unique et, bien que forcément source d’une légère austérité (ce trop plein de rigueur tuant dans l’œuf toute tentative d’adaptation), elle témoigne une fois encore du travail colossal et de la sincérité de ses auteurs de délivrer l’œuvre la plus proche de leur vision et de leurs intentions. Et cette « entièreté » radicale dans la façon d’aborder leur travail se ressentira fatalement dans la réception des spectateurs. D’avance, ceci est tout à fait légitime. Amer n’a jamais toléré le tiède dans sa confection, le métrage ne peut donc souffrir le mitigé dans les réactions qu’il produit. L’engagement et le jusqu’au-boutisme des deux réalisateurs forcent inévitablement le respect et imposent une appréciation aussi radicale que la vision proposée. C’est en quelque sorte ce que leur doit le spectateur.
La conclusion de Romain B. à propos du Film : Amer [2010]
Ainsi, on adore Amer… ou pas. Quoi qu’il en soit, on ne peut que trop vous encourager à y goûter. D’ailleurs, Amer est d'après ses auteurs le goût que laisse le film dans la bouche des spectateurs. Vous savez, comme celui du sang qui reste au fond de la gorge…
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