Critique Starfish #1 [2010]
Avis critique rédigé par Nicolas W. le vendredi 20 août 2010 à 18h00
Plongez dans les abysses
"Clarke se retourne à temps pour voir son propre bras disparaître dans une gueule qui lui paraît démesurée. Des dents comme des cimeterres se referment sur son épaule. Clarke se retrouve face à une tête de cinquante centimètre de large recouverte d'écailles noires. Une minuscule partie d'elle-même cherche très calmement deux yeux dans cette monstrueuse fusion de piquants, de dents et de chair noueuse... et n'en trouve pas. Comment fait-il pour me voir ? se demande-t-elle."
Les abysses, même dans le futur, représentent une des régions les plus dangereuses et méconnues de la planète. C'est pourtant à cet endroit qu'une société d'exploitation de sources géothermiques, l'ARE, a décidé d'envoyer une équipe pour entretenir les génératrices qui bordent la faille de Juan de Fuca. Pour vivre dans de telles conditions, 6 personnes sont recrutées mais pas n'importe lesquelles. Modifiées physiquement pour évoluer dans ce milieu hostile, et surtout aptes mentalement à y survivre. Parmi ces "rifteurs", Lennie Clarke, une femme au lourd passé qui va devoir affronter ses propres démons et les manigances de la multinationale. Car les monstres ne résident pas que dans l'obscurité des profondeurs.
Après la publication remarquée l'année dernière de l'excellent Vision aveugle (critiqué ici) par les éditions Fleuve Noir, c'est au tour de Starfish, son premier roman, de paraître en France. Il s'agit également du premier volume de la trilogie des Rifters, dont le second tome intitulé Maelström est déjà paru outre-Atlantique. Dans cet univers, les abysses remplacent l'espace mais le huit-clos et l'atmosphère oppressante restent. L'occasion pour l'auteur canadien Peter Watts qui travaille aussi comme biologiste marin, de revenir sur un thème cher : l'océan.
Starfish apparait clairement comme le précurseur du futur Vision aveugle. Dans ce roman, Peter Watts avait déjà installé ses thématiques fétiches que l'on peut résumer en plusieurs axes : le huit-clos, la psychologie, l'ambiance oppressive d'un milieu inhospitalier et des personnages singuliers. D'abord, l'auteur canadien nous expose un environnement aussi étrange qu'unique, celui des abysses. Inquiétantes voir terrifiantes, mais surtout étouffantes, les profondeurs océaniques donnent l'occasion à Watts de discuter sur la faune extraordinaire et monstrueuse qui y réside ainsi que sur les conditions de vie extrêmes qui y règnent. On imagine dès lors que le séjour de l'équipe de rifteurs sera des plus oppressants. A ce niveau, nous ne sommes pas déçus. Logeant dans un exigu module sous-marin appelé Beebe, Lennie Clarke et ses collègues doivent faire face aux dangers multiples qui les guettent. L'auteur, à cet égard, ne choisit pas la simplicité. Au lieu de monter une histoire avec des monstres sous-marins, il choisit d'installer un climat de paranoïa et de tension au sein même de cette équipe humaine. Dans les abysses, les monstres prennent l'apparence des hommes.
" Des vampires. C'est une bonne métaphore. Ils évitent la lumière et ont supprimé tous les miroirs. Ce qui pourrait expliquer une partie du problème."
Pour se faire, et à l'instar de l'équipage du Thésée dans Vision aveugle, les personnalités qui résident dans Beebe ne sont pas des plus communes. En effet, les rifteurs se révèlent bien vite des êtres instables à la psychologie complexe et épineuse. A titre d'exemple, l'héroïne - Lennie Clarke - s'avère porter le poids d'abus sexuels ainsi que de violences. Les autres membres, tels que Brander ou Fischer, présentent d'autres secrets qu'on laissera au lecteur le plaisir de découvrir. Parmi ces fortes figures, l'énigmatique Ken Lubin n'est pas sans rappeler le vampire Sarasti de Vision aveugle - un mythe déjà mis en avant de façon ingénieuse dans le présent ouvrage. Peu présent, énigmatique mais fascinant à l'arrivée. Autre bonne idée, celle d'introduire à mi-chemin du roman une sorte de psychologue en la personne du Dr Yves Scanlon. Ceci a le double intérêt de parler d'une affection médicale, l'effet Ganzfeld qui cause des hallucinations en cas de privations sensitives, mais surtout de donner un point de vue radicalement différent des rifteurs. En suivant par l'intérieur l'équipe du Beebe, le lecteur adopte leurs perceptions et leur "normalité", mais en donnant voix à Scanlon, on découvre toute l'étrangeté et la folie de ces personnes. Un très intéressant renversement des perspectives.
Mais Starfish ne saurait se limiter au huit-clos au fond des océans. Peter Watts démarre avec ce roman une trilogie dans un futur proche où l'internet a été infecté par des virus auto-réplicants et nécessitant de ce fait l'emploi de gels intelligents - sorte de culture de neurones - pour contrôler le web. On se rendra bien vite compte que leur emploi ne se limite pas à cette menace puisque le monde décrit par petites touches dans ces pages s'avère loin d'être idéal. On y parle de camp de réfugiés, de surpopulation, de coalition militaire, d'explosions atomiques ou encore de manque de ressources énergétiques. Bien que peu esquissé, on sent bien que Watts met en place un cadre pour les futurs Maelström et Béhémoth. On insistera également sur le fait que contrairement à certains auteurs de hard-SF, le fond sert la forme. De nombreuses théories et informations scientifiques - sur lesquelles revient l'auteur en fin d'ouvrage - permettent non seulement de faire avancer l'histoire mais aussi de lui donner un cadre des plus crédibles.
Malheureusement, comme tout premier roman, Starfish n'est pas dénué de défauts. Le plus voyant d'entre eux réside dans l'aspect décousu de la trame générale. A l'origine publié sous la forme de deux nouvelles, le récit de Starfish donne l'impression de coller plusieurs histoires les unes après les autres. Ce défaut saute au yeux, notamment dans la première partie du livre d'abord avec les deux nouvelles qui on servit de base, puis deux parties distinctes et consacrées chacune à un personnage, Gerry Fischer et Karl Acton. Ce trait se dissipe ensuite dans la seconde moitié pour laisser place à des enjeux plus vastes et un fil rouge plus lisible. Il s'agit là en fait de l'exacerbation de ce que l'on ressentait dans la structure de Vision aveugle, ce qui prouve que Watts a pris soin de corriger cette fâcheuse tendance. Autre défaut relatif, notamment pour ceux qui connaissent déjà le canadien, le manque de chaleur et d'émotion du récit. Nous avons plus à faire à la plume d'un clinicien que d'un romancier véritable. Un défaut qui en gênera certains. Enfin, et comme pour tous les premiers volumes, on reste sur sa faim à la conclusion du roman... en attendant Maelström.
"L'abysse devrait vous clouer le bec. Le soleil n'a pas touché ces eaux depuis un million d'années. Les atmosphères s'y accumulent par centaines, les fosses pourraient avaler douze Everest sans le moindre rot. On dit que la vie elle-même a commencé au fond des océans. Possible. Sa naissance n'a pas du être facile, à voir ce qu'il en reste... des créatures monstrueuses, aux formes cauchemardesques façonnées par la pression, l'absence de lumière et les famines chroniques."
Remerciements à Amandine V. pour la relecture.
La conclusion de Nicolas W. à propos du Roman : Starfish #1 [2010]
Véritable plongée dans les abysses, Starfish figure parmi ces bons premiers romans qu'on lit sans déplaisir. Truffé d'idées ingénieuses et bâtisur une galerie de personnages fascinants, le récit de Peter Watts mêle thriller et huit-clos oppressant. Les lecteurs de Vision aveugle se précipiteront dessus. Les autres trouveront une nouvelle occasion de découvrir un excellent écrivain de science-fiction.
On a aimé
- Les personnages
- Les idées scientifiques
- Le monde décrit
- L'atmosphère des abysses
- Le huit-clos
On a moins bien aimé
- La structure de la première moitié
- Une style rude
- Nécessite la suite
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